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Meules et Moulins en Islande, histoire d’une amnésie

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Introduction

Certaines meules étudiées plus haut ressemblent étrangement à des meules de moulin, et non à des meules à main125. Il n’est pourtant pas facile de les distinguer toujours, car certaines d’entre elles peuvent

avoir fait double emploi. De plus, comme le rappelle Alain Belmont, ces meules « se rapprochaient d’avantage

des meules rotatives à main, d’autant plus que certaines avaient gardé le profil fortement bombé » (Belmont,

2006 :21). Pourtant, Mme Kristiansdottir était formelle : il n’y a jamais eu de moulins en Islande, mis à part ce grand moulin à vent construit au XIXe siècle dans le centre ville de Reykjavik126 ! Peut-être cette remarque

était elle entachée de l’idée selon laquelle l’archéologie ne se pratique que sur des sites préhistoriques, soit en Islande des sites de la période Viking, et déborde parfois sur la période Médiévale. Pourtant, le hasard fit remonter à la surface un tout petit document rédigé en langue anglaise intitulé Windmills and watermills in

Iceland.

Ce texte d’une dizaine de pages fait référence à une étude réalisée par le professeur Arni Björnsson en 1976. Cette année là, une équipe d’étudiants parcourt le pays, ferme après ferme, et interroge les personnes âgées afin de recueillir une somme d’informations conséquente sur les pratiques et coutumes d’autrefois. Ces témoignages couvrent la période d’un siècle environ, des années 1850 aux années 1940, associant mémoire et souvenirs. Les interviews ont été, normalement, réalisées selon un plan défini auparavant. Le pays a tout d’abord été découpé en zones de recherche correspondant, selon la densité de population, aux délimitations de départements ou de cantons. Un questionnaire passant en revue tous les aspects de la vie quotidienne est ensuite remis à chacun des étudiants afin de leur servir de trame. Une feuille est ainsi consacrée aux moulins. Elle se compose de 22 questions portant sur le moulin lui-même : où était- il ? Qui l’avait construit ? Quand ? Pourquoi ? Comment ? Sur ses particularités techniques : combien de pales contenaient la roue ? Dans quel axe tournait la roue ? Comment l’eau était elle amenée au moulin ? Sur ses capacités : quelle quantité de grain était moulue ? Quel type de mouture ? En combien de temps ? Et enfin sur les modalités de fonctionnement du moulin : à qui appartenait-il ? Qui le faisait tourner ? Qui en profitait ? Qui s’en servait ? Cet outil faisait objet de transactions financières ? etc, etc. A ce questionnaire était jointe une feuille descriptive servant de guide à une future cartographie des informations recueillies. Devaient figurer sur les schémas le nom de la ferme et l’emplacement des moulins. Ces moulins étaient représentés par différents symboles correspondant aux différentes énergies motrices utilisées, mais aussi au type de mécanisme –vertical ou horizontal- utilisé. Certaines de ces cartes sont conservées dans les 16 cartons dédiés à cette seule étude aux archives nationales. Pour la plupart des régions cependant, le travail spécifique aux moulins n’a pas été isolé et se mélange aux nombreuses autres thématiques. Il a donc fallu beaucoup de temps afin de décortiquer la totalité de ces documents rédigés exclusivement en islandais. L’étude qui va suivre se fonde sur cette recherche, et est en cela lacunaire : il est probable que bon nombres de moulins et d’informations aient été omises. Le document Excel joint est un condensé des informations récoltées. Une description la plus précise possible du site probable sur lequel se situait le moulin est apportée en complément, et résulte d’une recherche cartographique réalisée à partir du site Internet http://atlas.lmi.is/atlaskort/. Ce site abrite la carte topographique du pays en entier réalisée en 1930, puis scannée en 2002. La précision de cette carte ferait pâlir les cartes IGN actuelles. Un petit moteur de recherche permet de rechercher n’importe quel nom de ferme. Cependant, il n’est pas possible d’y trouver aucune référence de moulin. Ces localisations sont donc données à titre indicatif, afin de servir de base à une

125 Une particularité des meules de moulins est qu’elles possédaient des petites encoches dans lesquelles ont fixait des

petits balais ramassant la farine moulue. Puisque nous n’avons jamais eu l’occasion de voir ce mécanisme, il n’est pas évident de le reconnaître sur les artéfacts étudiés précédemment, mais peut-être l’un d’eux en est il pourvu (Eysteinsson Er.G., 2000).

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recherche future plus approfondie. Les résultats de ce travail sont étonnants. D’une Islande sans moulin, on arrive à une île emmaillotée dans une toile tissée de plus de 400 moulins hydrauliques127 au tournant du XXe

siècle. Aux mailles de la toile il faut ajouter la présence d’au moins 41 moulins à vent, et trois moulins à marée motrice128.

Rappelons rapidement, avant de terminer cette introduction, les grandes lignes de l’histoire des moulins. Nous avons vu que les meules à rotation manuelles montrent leurs limites dès que la population augmente et que l’urbanisation apparaît. L’homme va alors très vite inventer de nouvelles techniques afin d’optimiser le rendement de ces pierres, et surtout, gagner un temps précieux. Après toute une série de modifications129, on parvient à la réalisation du moulin hydraulique un siècle avant notre ère environ. Ce

moulin fonctionne avec des pierres de meules de forme et de taille relativement similaires à celles des meules manuelles. Ne change fondamentalement que l’énergie motrice employée. Il faut attendre l’explosion de l’urbanisation au Moyen Age, puis à l’époque Moderne, pour voir ces pierres gonfler en taille et en poids. C’est à cette époque environ qu’apparaissent les moulins à vent, dont l’origine remonterait peut-être au XIIe siècle (Belmont, 2006 :27) et atteindrait la Scandinavie aux alentours du XIVe siècle afin de remplacer le moulin à bras toujours utilisé (Janken Myrdal in Pulsiano, 2003). En Islande, il semblerait qu’il faille attendre la toute fin du XVIIIe siècle avant de voir construire le premier moulin. Plus précisément, il s’agirait selon la lettre de Sigurður Olafsson de l’année 1781 pour les régions du Sud, à Öræfi plus précisément, et des années 1840 seulement pour le Nord du pays (Ólafsson, 1896). Il faut donc mettre ce phénomène en relation avec l’envoi en 1770 de pierres de meules. En 1777, Jens Larsen Busch aurait été envoyé avec les pierres qu’il aurait taillé, afin d’en expliquer le fonctionnement. Si le texte de Jónasson ne donne pas plus d’informations à ce sujet, il donne cependant fort à penser qu’il peut s’agir de pierres de moulin, et non de pierres de meules à main. Cette personne a certainement donné par la même occasion des indications et conseils pour la réalisation de moulins hydrauliques. On apprend ainsi dans Íslensk byggingararfleifð I, Ágreip

að húsagerðarsögu 1750-1940,qu’en 1778 accoste à Kaupmannahöfn l’homme de loi Bjarni Einarsson avec en sa possession un manuel de meunerie rédigé en islandais, le seul, intitulé « Stutt undervisan um

vatnsmilnur » (Ágústsson, 1998 :55). Certains schémas imprimés dans cet ouvrage sont reproduits dans les pages suivantes.Un petit corps de ferme venait donc s’ajouter au réseau formant l’úti du bú. Le moulin allait dorénavant faire partie à part entière de l’organisation systémique de la vie quotidienne de la ferme, au même titre que l’avait fait avant lui la kvarnarhùs. Ce mouvement est évidemment parallèle à l’effort de modernisation du pays impulsé en 1754 par Skùli Magnùsson. Bien que ruiné par l’éruption catastrophique du volcan Laki en 1783, cet effort sème cependant les graines d’une industrialisation qui germeront le siècle suivant, aux alentours de 1840. La naissance des moulins islandais est donc à prendre en compte dans la logique de mécanisation et d’industrialisation qui mobilisa tout le pays au court du XIXe siècle.

C’est ce mouvement que nous allons maintenant étudier, en organisant cette dernière partie selon une logique mécanique, nous arrêtant tout d’abord sur les moulins hydrauliques, puis les moulins à vent, avant de nous arrêter finalement sur les moulins à marée motrice.

127 Le document Excel joint fait état de 381 moulins. Il est cependant impensable de prendre ce chiffre pour argent

comptant : il ne faut y voir que l’expression de la grandeur des recherches à effectuer. 381 n’est ainsi que le chiffre des moulins que nous avons trouvé et n’est donné qu’à titre indicatif.

128 Voir la Figure 13.

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