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L’utilisation de meules à rotation manuelle semble donc avoir été répandue dans tous les foyers, tous les bú117. Pour cette raison, le métier de meunier n’est jamais devenu une profession à part entière en Islande, mis à part un cas connu au XIXe siècle à Reykjavik, comme nous allons le voir plus loin. Les pierres sont prises au gré des besoins mais surtout au plus près de la ferme. C’est cette affirmation trouvée dans tous les textes que viennent affirmer les différentes roches utilisées pour la confection de meules à grains. Cependant, il est possible qu’une légère mais sensible modification se soit faite au cours du dernier quart du XVIIIe siècle. En effet, l’augmentation des imports en grain favorise le renouveau de la mouture et par là même donne l’occasion à certains de se spécialiser dans la confection de meules, même si cela ne devient pas leur occupation unique, ni même principale. S’il faut donner un exemple, on trouve ainsi à la page 170 du livre de Guðmundur Þorsteinsson mention de l’industrie familiale de Hùsafell, à Borgafjöður, qui fit fortune grâce à son entreprise de pierres tombales et accessoirement de pierres de meules. Dans le document Excel, que l’on trouvera sur le cd joint, on apprend par Björgvin Stefánsson que des pierres sont taillées vers Byggðasafn, près de Burstarfell ou encore qu’un homme taillerait des meules à Hraun, à partir de basalte pris à Kappeluhraun118. Il s’agit cependant de décrire les pierres d’une ferme particulière. La toponymie insinue

néanmoins que certaines vallées devaient être privilégiées pour la confection de ces objets, tels le nom de

Kvarnárdalur, « la vallée de la rivière aux meules », près de Vopnafjörður dans le Nord Est119. La qualité de la

taille de certaines pierres invite également à penser que le métier tend à se professionnaliser, dans une certaine mesure. Ainsi, on trouve parfois mentionné dans les lettres de l’enquête de 1976, retranscrite partiellement dans le document Excel, que certaines personnes ont taillé plusieurs pierres, les leurs ayant fait leurs preuves120.

116 Voir Jónasson S. J.,1945.

117 Voir encore une fois le document Excel joint, ainsi que l’annexe 67 représentant un petit échantillon de clichés

effectués par hasard lors de divers déplacements.

118 Voir la lettre de Gísli Guðjónsson, doc. Excel.

119 Árbók hins Íslenska fornleifafélags 1977 , p.162.

120 Dans son mémoire, Bjarnardottir site le nom de personnes ayant reçu de l’argent pour la taille de pierres, Pàll

Meules et Moulins en Islande, histoire d’une amnésie

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Mais ce mouvement ne s’effectue qu’à la moitié du XIXe siècle, comme nous l’explique indirectement Sigriður Olaffson 121: le roi aurait envoyé en 1777122 quelques deux cent pierres du Danemark, probablement

d’origine norvégienne, qui seraient devenues des hreppakvarna, des meules communales, destinées à rehausser la qualité de l’alimentation et par la même occasion à servir de modèle pour que les Islandais fassent les leurs. Il aurait même, d’après notre auteur, toujours offert des primes à qui taillerait des pierres de meule. Cependant, Sigriður semble le déplorer amèrement, son offre serait tombée dans des oreilles de sourds, mis à part quelques rares exceptions. Dans tous les cas, le mouvement aurait attendu une bonne cinquantaine d’année avant de se mettre en marche.

Perspectives

La raison d’un tel désintérêt semble obscure, chacun essayant d’avancer son hypothèse. Bjarnardottir avance dans son mémoire que les Islandais avaient des pierres de bonne qualité, ce qui est démontré par l’excellence des dents retrouvées sur les squelettes fouillés. Ce à quoi on peut répondre que c’est parce que les Islandais ne mangeaient pas de farine qu’ils avaient de bonnes dents123. Cette inhabitude de l’alimentation

céréalière s’explique par les difficultés de culture, ou plutôt par la facilité de l’élevage. Les Islandais sont devenus Islandais au fur et à mesure qu’ils n’étaient plus Vikings et délaissaient l’agriculture. Ce que le roi n’avait pas prévu en incitant les Islandais à tailler leurs pierres, c’est qu’il faudrait également leur apprendre à manger des céréales, et pour cela leur apprendre à les cultiver. Mais cette étape devait attendre l’abandon du monopole commercial, dans lequel la part des farines prenait une proportion non négligeable.

Les encouragements envoyés aux Islandais dans l’espoir de les voir se réconcilier avec la meunerie sont peut-être à envisager dans une autre perspective que celle de la meunerie manuelle. En effet, on a vu que quelques individus avaient peut-être essayé de vivre du travail conjoint de meunier et de maintenance des meules. Ce travail prend certainement plus de pertinence si l’on parle de moulins que de simples meules à bras. De plus, pour paraphraser Alain Belmont, le moulin à bras souffre d’un handicap majeur : sa petite taille et donc sa capacité de production nécessairement limitée, toute aussi perfectionné qu’il puisse être. Il peut éventuellement convenir à un usage domestique, mais ne peut survivre à l’urbanisation (Belmont, 2006 : 18). Si l’on regarde encore une fois de plus près certaines meules de notre présente étude, et qu’on les compare au schéma ci-contre, reproduit d’après la page 39 de La pierre à pain, il semble qu’il faille laisser le doute s’immiscer : certaines d’entre elles124 ont pu

être des pierres de moulin, non des meules à bras, à l’instar de ces meules de moulin retrouvées à En Chaplix, à Martres-de-Veyres, ou encore à Barbegal (Belmont, 2006 : 21) si l’on excepte qu’elles n’ont sans doute pas conservé leur aspect bombé. Le doute étant si important, il a fallut reprendre une recherche qui s’était pourtant avérée sans issue au départ de notre étude. Les résultats s’en sont révélés étonnants, et c’est ce que nous allons voir maintenant.

voyagerait autour des régions de Skagafjörður et gagnerait sa vie en repiquant des meules. Ne pouvant accéder aux références qu’elle a utilisées, nous nous contenterons de le noter en bas de page. Cette remarque renforce la thèse selon laquelle c’est vers le XIXe siècle que quelques individus on commencé à envisager la mouture comme une source de revenu potentielle.

121 Ólafsson, S., Um Vatnsmyllur, Búnaðarrit 1896, 166-177.

122 Agùstsson Hörður, p. 55, situe cette expédition en 1770 quand Jónasson S. J.,1945 : 98-9, la situe en 1777.

123 On suivrait ainsi l’opinion de Þorsteinsson G., 1990: 171.

124 Tels numéros 10, 16, 17, 59, ou 65 pour n’en citer que quelques unes : celles n’ayant que peu ou pas d’inclinaison

par exemple, ou encore celles pourvue de ce sillon énigmatique, etc. illustration 19 : Coupe d’une meule de moulin.

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