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Géologie générale et choix des matériaux employés.

Il est tout d’abord nécessaire de faire quelques brèves remarques lacunaires concernant purement la géologie de l’Islande. Il faut bien se représenter premièrement que l’île est en constante formation. Des centaines de sites habités dans le passé reposent maintenant sous des mètres de cendres et de lave. C’est le cas bien sûr des premiers peuplements au centre du pays, dévastés par les coulées volcaniques tout comme par l’érosion résultant de leur propre présence, mais aussi de nombreux sites de la côte Sud-Est, près du parc naturel de Skaftafell, des abords du volcan Hekla dans le Sud Ouest, près de Selfoss, ou encore des rives très peuplées du lac de Mývatn, dans le Nord Est du pays. Par conséquent, l’étude primaire des matériaux minéraux s’effectue non pas par type de roches : toutes, ou presque, sont du basalte vacuolaire. Pour ce qui est ensuite de reconnaître tel ou tel type de matériaux, il est nécessaire d’être géologue et de connaître parfaitement tous les systèmes volcaniques présents sur l’île. Ce travail ne peut se faire qu’en laboratoire. Pour cette raison, il n’a pas été possible de déterminer la provenance des meules de la présente étude, et l’auteur se contente de la supposer locale. Pourtant, la couleur des roches, leur poids, leur densité, leur forme et leur composition minérale, si tant est qu’elle est visible à l’œil nu permet de regrouper les artéfacts par groupes, en espérant que ces groupes correspondent plus ou moins à des aires géographiques homogènes et distinctes les unes des autres. Cependant, tout cela reste très imprécis, dans le sens où il faudrait pouvoir analyser proprement des échantillons de roche, une fois ces groupes bien déterminés et validés par un géologue. Cette étape accomplie, il serait alors possible de réaliser une ébauche de géographie de la provenance des pierres de meules retrouvées. Cependant, une embûche de taille s’élève encore contre ce schéma trop simpliste. Comme le faisait remarquer très justement Jakob Krøve Jakobsen lors de notre entrevue destinée à constituer les groupes géologiques du matériel de Bessastaðir, une identification du système volcanique exploité ne pourrait en aucun cas donner une carte précise des lieux probables

52 Commentaire personnel du conservateur du musée de Skógar.

53 Idem.

54 Voir à ce sujet les travaux de Régis Boyet, et en particulier ces travaux sur l’identité des paysans islandais dans la

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d’extraction. En effet, mis à part le cas où le matériaux serait extrêmement jeune, il est fort probable que les glaciers aient charrié et ainsi déplacé sur de longues distances des roches provenant d’une tout autre aire géographique. L’extraction de la pierre se serait faite bien loin du lieu de sa naissance. Il est donc indispensable d’oublier réaliser, grâce par exemple aux lames minces, une cartographie des zones privilégiées de meulières, et de cette façon de retracer certains schémas des voies de commerce et de communication à l’intérieur du pays, celles-ci étant absolument inconnues55. Enfin, c’est remarquable sur la carte ci-jointe, les

systèmes volcaniques d’Islande se caractérisent schématiquement par une orientation Sud-Ouest / Nord- Est qui rend très difficile toute tentative, même approximative, de régionalisation des lieux d’extractions : par la lame mince, on peut ainsi découvrir qu’une meule découverte près de Reykjavík peut tout aussi bien provenir des proches environs tout comme de la lointaine province des Norðurþing ! Ce qui est néanmoins réalisable, c’est l’étude pure des matériaux employés en tant que tel. Quelle pierre est favorisée au détriment de quelle autre ? Y a-t-il des distinctions régionales importantes au sein d’un même système ? Et à travers les âges ? Le catillus bénéficie t’il d’un traitement de choix, comme c’est le cas sur le continent européen (Belmont, 2006) ? Les roches utilisées étaient-elles finalement de bonne qualité, ou non, ce qui se voit certes dans la proportion de sable retrouvée dans la farine, mais également dans la composition minérale de la pierre employée 56 ? Etc.

Figure 4 : Carte géologique générale de l’Islande

Sources : Jakob Krøve Jakobsen

55 Les travaux contemporains d’archéologie du paysage effectués par des archéologues tels Oscar Aldred s’attèlent

partiellement à l’étude des voies de communication internes du pays, mais focalisent cependant leurs études sur l’aspect phénoménologique du mouvement induit par ces déplacements. Fondée sur l’analyse des cairns, seuls témoins matériels des anciens chemins parcourus à cheval, cette étude n’effleure le sujet des voies commerciales que par anecdotes, comme si elles ne constituaient que des phénomènes périphériques aux mouvements pastoraux.

56 Et ainsi répondre au débat lancé entre la littérature du XXe siècle et les anthropologues contemporains. Nous

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Cette question de la qualité des roches est en effet très importante, pour des raisons de rendement comme pour des raisons sanitaires. En effet, si « la résistance à l’usure, […] la rugosité naturelle,

des écarts de dureté entre les différents composants de la roche répartis de façon aussi homogène que possible, sont les principales aptitudes requises pour la transformation des grains qui suppose le déroulage et le curage des sons et non leur déchiquetage57 » sont des préoccupations d’ordre « matériel » pourrait on dire, la composition pétrochimique est également d’une importance cruciale, étant donné l’importante quantité de sable ingérée par l’organisme qui mange la farine ainsi moulue. Ainsi, de la qualité de la pierre dépendra la présence ou non de silice, aluminium, fer, manganèse, calcium, sodium, potasse, titane ou autre phosphore dans le pain ou la bouillie de gruau (Belmont, 2006 : 92-96). La pierre volcanique semble avoir été parfois perçue comme un bon compromis entre les deux58, cependant en Islande de nombreuses voix s’élèvent contre la

lave employée dans le pays (Jónasson, S. J., 1945 : 56 ) : trop sableuse, peu solidaire, les gravillons polluent une farine déjà maigre et parfois malsaine. De plus, si facile à se procurer qu’elle puisse être, cette roche ne semble pas moins être très fragile et se brise régulièrement (Bjarnardóttir, E., 2007: 5). Il faut ainsi retailler des meules à intervalles réguliers, d’autant plus que cette fragilité structurelle s’ajoute à l’usure précoce des pierres friables.

Ces remarques indispensables mais d’ordre général maintenant achevées, passons plus en détail au cas de l’Islande.