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Mouillabilité des surfaces réelles

3.3 Modification de la mouillabilité des surfaces structurées

3.3.2 Mouillabilité des surfaces réelles

3.3.2.1 Hystérésis de mouillage

En théorie, l’équation d’Young définit de façon unique l’angle de contact d’une goutte posée sur une surface solide, car ce solide est considéré comme étant idéal, autrement dit parfaitement lisse et de composition chimique homogène. Or expérimentalement, une surface solide possède toujours une certaine rugosité et n’a pas une composition chimique identique en tous points. L’angle de contact sur une telle surface, qualifiée de surface réelle, n’est pas unique et a une valeur comprise entre deux valeurs extrêmes d’angle de contact. Ces angles correspondent aux valeurs maximale et minimale mesurées juste avant le déplacement de la ligne triple selon deux méthodes. La première méthode consiste à mesurer les angles de contact juste avant le déplacement de la ligne triple, lors de l’augmentation et de la diminution du volume de goutte (Fig. 3.18-a) [Callies

Reyssat 2007]. Lorsque l’on dépose une goutte d’un liquide sur une surface réelle et que l’on gonfle

le volume de cette goutte, l’angle de contact augmente sans que la ligne triple ne bouge. L’angle de contact atteint une valeur maximale à partir de laquelle cette ligne de contact avance : cet angle noté , est appelé « angle d’avancée ». A l’inverse, lorsque l’on pompe le liquide de la goutte, l’angle de contact diminue jusqu’à atteindre une valeur minimale . A partir de cet angle, dit « angle de reculée », la ligne triple commence à reculer.

La différence entre ces deux angles limites est appelée « hystérésis d’angle de contact », et est définie par :

∆ = − . (3.11)

La seconde méthode de mesure de ces angles limites d’avancée et de reculée consiste à incliner la surface et à relever les valeurs des angles d’avancée et de reculée de la goutte juste avant que la ligne triple bouge (Fig. 3.18-b). Cette méthode permet également de définir l’angle

appelé « angle de glissement » (en anglais de « sliding angle » ou « roll-off angle »), qui correspond à l’angle d’inclinaison de la surface lorsque la goutte commence à glisser [Marmur 2004 ; Nakajima et al. 2001].

Ces différents angles , et sont liés par la relation suivante, qui prédit l’angle d’inclinaison minimum à partir duquel la goutte de liquide glisse spontanément [Öner &

McCarthy 2000] :

sin = × cos − cos × × (3.12)

avec la tension de surface du liquide à l’interface liquide/vapeur, et respectivement la masse et la largeur de la gouttelette, et l’accélération de la pesanteur.

Figure 3.18: Détermination de l'hystérésis de l'angle de contact par la mesure d'angle d'avancée et de reculée juste avant que la ligne triple bouge, (a) en augmentant et diminuant le volume de la goutte et (b)

en inclinant la surface jusqu’à ce que la goutte glisse.

La mesure d’angle de contact d’un liquide sur une surface réelle, et donc la caractérisation de la mouillabilité d’une surface, dépend de la manière dont la goutte de liquide est déposée et n’a pas de valeur unique. C’est pourquoi, il est important de mesurer l’hystérésis d’angle de contact pour caractériser les propriétés de mouillage d’une surface.

3.3.2.2 Mouillabilité de surfaces rugueuses

Dans leur expérience de 1964, Dettre et Johnson ont montré l’influence de la rugosité d’une surface sur sa mouillabilité. Ils ont observé que des gouttes d’eau posées sur une surface hydrophobe rugueuse présentent un comportement différent en fonction de la rugosité de surface

[Dettre & Johnson 1964, 1965]. La surface est recouverte d’une cire hydrophobe, qui permet de

faire évoluer la rugosité de la surface. Ils ont mesuré l’angle d’avancée et de reculée de gouttes d’eau déposées à la surface en fonction de la rugosité de la surface (Fig. 3.19). Lorsque la cire à la surface est lisse, l’angle de contact des gouttes d’eau vaut environ 105° et l’hystérésis 15°. Avec une augmentation de la rugosité, ils ont observé que l’angle d’avancée augmente tandis que l’angle de reculée diminue. L’hystérésis d’angle de contact croît alors brutalement pour

atteindre une centaine de degrés. Au-delà d’un certain seuil de rugosité, les angles et se stabilisent respectivement à 160° et 150°, et la rugosité ne semble plus jouer de rôle.

Figure 3.19: Expérience de Johnson et Dettre, montrant l’influence de la rugosité de la cire sur les valeurs des angles de contact et sur l’hystérésis [Dettre & Johnson 1964].

Cette expérience montre qu’il existe deux états de mouillage d’une surface rugueuse.

Le premier état concerne les surfaces de faibles rugosités : il est caractérisé par une grande dépendance entre la rugosité de la surface et l’hystérésis d’angle de contact. Dans ce cas, le liquide mouille complètement les aspérités de la surface rugueuse (Fig. 3.20-a).

Le second état se rapporte quant à lui aux rugosités importantes : l’hystérésis est faible et n’évolue plus avec la rugosité, et les angles d’avancée et de reculée sont d’environ 160°. Une goutte posée sur une telle surface ne repose plus que sur les sommets des rugosités et sur des poches d’air : on parle de « goutte-fakir » (Fig. 3.20-b).

Ces deux états sont décrits par les deux modèles classiques de mouillabilité, respectivement le modèle de Wenzel et le modèle de Cassie-Baxter, qui permettent d’estimer l’angle de contact d’une goutte posée sur les surfaces considérées.

Figure 3.20: Schéma d’une goutte qui épouse la rugosité de la surface (a) et d’une goutte qui repose sur les sommets des aspérités de la surface (b).

3.3.2.3 Modèle de Wenzel

La rugosité d’une surface a une grande influence sur la mouillabilité de cette surface. En 1936, Robert N. Wenzel fut l’un des premiers à proposer un modèle prenant en compte la rugosité dans la définition de l’angle de contact d’une goutte posée sur une surface rugueuse [Wenzel 1936]. Dans son modèle, il considère que localement l’angle de contact est donné par la relation d’Young,

que la surface est chimiquement homogène et que sa rugosité est petite devant la taille des gouttes. Le liquide épouse parfaitement la surface rugueuse. Il définit alors l’angle de contact apparent sur la surface rugueuse, en fonction de l’angle donné par la relation (3.8) et de la rugosité de surface . La rugosité de la surface est un nombre sans dimension, défini par le rapport entre la surface réelle sur la surface apparente. La surface réelle prend en compte la topographie de la surface, tandis que la surface apparente correspond à la projection de la surface réelle sur un plan (Fig. 3.21) [Barbieri 2006 ; Callies Reyssat 2007]. La rugosité r est donc un nombre supérieur ou égal à 1 ( = 1 pour une surface parfaitement lisse).

= ́ . (3.13)

Figure 3.21: Schéma de définition de la rugosité r comme étant le rapport de la surface réelle et la surface apparente d’une goutte dans le modèle de Wenzel.

L’angle de contact apparent est alors donné par la relation suivante, dite relation de Wenzel :

cos = cos . (3.14)

En exploitant cette relation, on peut remarquer que la rugosité amplifie le type de mouillage d’un liquide sur une surface rugueuse. En effet, une surface hydrophile devient plus hydrophile lorsqu’elle est rugueuse, et une surface hydrophobe voit son hydrophobie accrue lorsqu’elle est plus rugueuse.

Toutefois avec cette relation, il existe une limite mathématique sur la valeur de l’angle pour que la condition |cos | ≤ 1 soit valable [Callies Reyssat 2007]. Dès lors que ≥ |1 cos⁄ |, la relation de Wenzel n’est plus vérifiée. Cela impliquerait que est égal à 180° (cas d’hydrophobie) ou à 0° (cas d’hydrophilie). Or ces conditions ne peuvent pas être obtenues expérimentalement.

3.3.2.4 Modèle de Cassie-Baxter

Dès 1944, A.B.D. Cassie et S. Baxter décrivent l’autre état de mouillage dans lequel une goutte ne repose que sur les sommets des aspérités de la surface rugueuse, piégeant ainsi des poches d’air

[Cassie 1948 ; Cassie & Baxter 1944]. La goutte est donc posée sur une surface hétérogène,

constituée d’un mélange de solide et d’air (Fig. 3.22).

Pour définir l’angle de contact d’une goutte sur une telle surface, il convient de considérer que la goutte repose sur une surface hétérogène faite de deux solides et , avec des fractions surfaciques respectives et . L’angle de contact apparent est alors donné par la relation suivante, dite relation de Cassie-Baxter :

où et correspondent aux angles de contact sur les différents solides et .

Cette relation signifie que pour déterminer l’angle de contact apparent, il faut réaliser une moyenne des cosinus des angles de contact sur les différents solides, pondérés par leur fraction de surface respective.

Dans le cas d’une surface hétérogène constituée d’air et de matière, considérons que le milieu 2 correspond à l’air. En ce qui concerne les différentes énergies de surface, cela implique que : = 0 et = . Pour simplifier l’équation (3.15), notons que la somme des fractions de surface donne + = 1, que correspond à l’angle de contact de Young sur la surface lisse, et notons = la fraction surfacique de solide. On obtient alors la relation suivante :

cos = 1 + cos − 1. (3.16)

Figure 3.22: Schéma de définition des différentes fractions de surface d’une surface hétérogène considérée dans le modèle de Cassie-Baxter.

D’après cette équation, si la fraction surfacique de solide est faible, ce qui correspond à la situation où la goutte est posée sur une surface hétérogène composée de moins de solide, alors le cosinus de l’angle apparent est proche de -1 ce qui signifie que tend vers les 180°, et cela quelle que soit la valeur de tant que > 90°.

Dans cet état de Cassie-Baxter, l’hystérésis d’angle de contact est faible, et peu dépendante de la rugosité. Cela correspond au deuxième état de mouillage que l’expérience de Johnson et Dettre a mis en avant, pour des surfaces ayant une grande rugosité.