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De nombreuses études ont montré que la reconnaissance des mots familiers se faisait par un accès au lexique orthographique. En revanche, peu d’études ont fourni des informations sur l’implication du code phonologique et les résultats obtenus ne s’accordent pas : certains semblent indiquer que le rôle de la phonologie tend à se réduire avec l’acquisition de la lecture lexicale alors que d’autres suggèrent que la phonologie reste impliquée dans la reconnaissance des mots familiers chez les jeunes enfants.

Classiquement, une façon d’examiner l’implication de la phonologie dans le traitement de l’écrit est d’étudier l’effet de pseudohomophonie. Des effets de pseudohomophonie ont été trouvé dans des tâches de décision lexicale dès le CP (e.g., Bosman & De Groot, 1996 ; Goswami, Ziegler, Dalton, & Schneider, 2001 ; Johnston & Thompson, 1989). Dans l’étude de Grainger et al. (2012), la taille de l’effet de pseudohomophonie trouvé au CP diminue rapidement lorsque l’expérience en lecture augmente. Selon les auteurs, ceci signifie que l’influence de la phonologie diminue car la procédure du recodage phonologique est abandonnée au profit d’une lecture lexicale (Sprenger-Charolles et al ., 2003).

Les études en amorçage phonologique masqué sont peu nombreuses chez les jeunes lecteurs et ont conduit à des propositions différentes. Davis et al., (1998) ont réalisé une première expérience chez des CM1 dans laquelle les amorces pseudohomophones (e.g., rait-RATE) étaient présentées 57 ms et les cibles 710 ms. Comparées aux latences en condition orthographique contrôle (e.g., raut-RATE), les latences en condition pseudohomophone ne montraient pas d’effet facilitateur. Une explication émise par les auteurs était qu’une inhibition orthographique produite par les lettres différentes aux lettres

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de la cible pouvait être responsable de cet échec (Peressotti & Grainger, 1999). Dans une seconde expérience, le partage orthographique entre l’amorce phonologique et la cible a été manipulé. Les amorces différaient soit d’une lettre avec les mots cible de 4-5 lettres (e.g., wosh-WASH), soit de deux lettres ou plus (e.g., klew-CLUE). Les auteurs s’attendaient à trouver un effet facilitateur de l’amorçage phonologique dans la condition avec un large recouvrement orthographique or aucun effet d’amorçage phonologique n’a été trouvé quelle que soit le partage orthographique. L’interprétation avancée par Davis et al., (1998) est qu’à 9 ans, le processus de reconnaissance de mots utilisé par les enfants est la lecture lexicale. Booth et al., (1999) ont étudié cette question en utilisant un paradigme d’amorçage avec masque rétroactif (Perfetti et al., 1988). La tâche était d’écrire le mot cible. Dans leur étude, les amorces pseudomots étaient présentées brièvement (30 ms ou 60 ms) et étaient immédiatement suivies par une brève présentation de la cible (30 ms ou 60 ms) puis d’un masque non-linguistique. L’analyse des erreurs indiquaient que les enfants bénéficiaient de l’amorçage orthographique (e.g., TAMS-tomb) et phonologique (e.g., TUME-tomb). Les enfants de CM2 et de CE2 bénéficiaient de l’amorçage phonologique pour la durée de présentation de l’amorce la plus longue (60 ms) alors que seuls les enfants plus âgés bénéficiaient de l’amorçage phonologique pour la durée de présentation de l’amorce la plus brève (30 ms). De plus, les enfants les plus âgés bénéficiaient plus de l’amorçage orthographique que les enfants les plus jeunes pour les deux durées de présentation de l’amorce (60 et 30 ms). Les auteurs concluaient que les codes orthographique et phonologique étaient activés de manière rapide et automatique lors du traitement de la cible et suggéraient que le processus d’activation phonologique se développait de manière concomitante au développement du processus d’activation orthographique, les deux processus devenant plus rapides et plus précis chez les lecteurs plus avancés dans l’apprentissage de la lecture (Perfetti, 1985). Une étude récente de

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Ziegler et al., (2013) a suivi le développement des processus orthographique et phonologique de la fin du CP au CM2 dans une tâche de décision lexicale en amorçage sandwich (Lupker & Davis, 2009). L’amorçage sandwich consiste à présenter la cible (27 ms) puis l’amorce (70 ms) et à nouveau la cible jusqu’à la réponse des participants. Le développement du processus orthographique était examiné avec un amorçage lettres- transposées (e.g., course-cousre-COURSE) et le développement du processus phonologique était étudié grâce à un amorçage pseudohomophonique (e.g., neige-naije- NEIGE). Les résultats indiquaient un effet de lettres transposées croissant de la fin du CP au CM2 et un effet d’amorçage phonologique stable à travers les différents niveaux scolaires. Les auteurs concluent que le processus phonologique rapide et automatique se développe précocement (fin CP) indépendamment du développement du processus orthographique et que la contribution de la phonologie reste stable tout au long de l’apprentissage de la lecture. En revanche, le développement du processus orthographique s’étend du CP au CM2. Ceci suggère que le développement des deux processus est indépendant.

Les résultats des études de Booth et al., (1999) et Ziegler et al., (2013) suggèrent que la phonologie est activée automatiquement au cours de la reconnaissance des mots familiers. Cette activation se ferait précocement au cours de l’apprentissage de la lecture et continuerait d’exercer une influence chez les lecteurs plus avancés. Ces résultats remettent en cause l’idée selon laquelle, chez ces lecteurs avancés, la lecture serait moins reliée au code phonologique (Backman, Bruck, Hébert, & Seidenberg, 1984 ; Davis et al., 1998 ; Schmalz, Marinus, & Castles, 2013 ; Seidenberg, Waters, Barnes, & Tanenhaus, 1984 ; Sprenger-Charolles & Casalis, 1995 ; Waters, Seidenberg, & Bruck, 1984). Cependant, ces deux études, ne nous permettent pas de conclure si le développement de l’activation rapide

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et automatique de la phonologique est concomitant au développement de l’activation rapide et automatique de l’orthographe (Booth et al., 1999) ou si ce développement de l’activation rapide et automatique de la phonologie est indépendant et s’achève avant le développement de l’activation rapide et automatique de l’orthographe (Ziegler et al., 2013).

Des auteurs ont tenté de modéliser l’apprentissage de la lecture. Les modèles les plus anciens expliquent l’apprentissage de la lecture par une série d’étapes successives. En revanche, des chercheurs ont proposé, très récemment, un modèle développemental largement inspiré du Modèle Multi-Route de la Compréhension des mots en lecture silencieuse chez le lecteur expert (Grainger & Ziegler, 2011).

1.2.4. Modèles développementaux de la lecture silencieuse