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Chapitre I : Le Promontoire Baléares dans le contexte méditerranéen occidental :

I.1. La Méditerranée occidentale et son évolution :

I.1.3. Les moteurs de l’ouverture :

Le phénomène d’ouverture de bassins dans un contexte de convergence a amené de nombreuses hypothèses quant aux moteurs de cette extension. S’il est acquis que l’évolution de la Méditerranée est liée aux mouvements de la plaque Afrique par rapport à l’Eurasie (Olivet et al., 1987, 1996; Dewey et al., 1989), Royden (1993) puis Lonergan et White (1997) vont proposer un moteur de la cinématique méditerranéenne qui fait toujours consensus aujourd’hui.

Les premiers modèles géodynamiques parus sur la Méditerranée découlent généralement de travaux de terrains. Les études de géologie marine et de géophysique sont ensuite venues compléter les jeux de données existants et préciser les modèles. Les premiers modèles proposés (e.g. Tapponnier, 1977) mettent en avant l’influence de la convergence Afrique-Eurasie ainsi que la forme irrégulière des continents et font une analogie avec la collision entre l’Inde et l’Asie. L’ouverture de la Mediterranée est la conséquence du poinçonnement de la plaque Eurasie par un promontoire de la plaque Afrique (bassin occidental) et la plaque Arabie (bassin oriental) (Fig. I.14). Dans son modèle, ces poinçonnements provoquent la migration de plusieurs micro-arcs (Baléares, Toscan et Gibraltar). Le concept du poinçon est repris par

Bouillin et al. (1986) introduisent le concept de l’AlKaPeCa et proposent une ouverture plutôt vers l’ouest du bassin Algérien contrôlée par des systèmes de failles transformantes comme ceux de Crevillente (Bétiques) ou du Nekor (Rif).

Figure I. 14: Le modèle par poinçonnement (Tapponnier 1977)

L’utilisation des données géophysiques va confirmer l’importance de la convergence de l’Afrique (Olivet et al., 1996) mais va infirmer le concept du poinçonnement dans le bassin occidental (hormis pour la chaîne des Alpes). Grimson et Chen, (1986) vont mettre en évidence la possibilité d’une délamination du manteau lithosphérique de la Méditerranée dans la zone d’Alboran-bassin Algérien (Fig. I.15). De nombreux modèles (Platt et Vissers 1989, 1992; Platt et England, 1994; Vissers et al., 1995; Martinez et Azanon, 1997) ont proposé ce concept à la lumière de nouvelles données de terrain et de géophysiques telles que l’inversion sismique (Grimson et Chen, 1986; Seber et al., 1996; Calvert et al., 2000). Ces données montrent l’existence d’un « gap » de sismicité entre deux volumes sismiquement actifs (Seber et al., 1996) qui correspond à une forte anomalie négative de gravité (Banda et al. 1980), aux

anomalies de flux de chaleur (Polyak et al., 2000) ainsi qu’à des épanchements de magmas néogènes (Comàs et al., 1992, 1999).

Figure I. 15: Le modèle de délamination lithospherique appliqué à la zone Alboran (Platt et Vissers, 1989)

La migration des arcs volcaniques liée à des subductions par rapport aux points chauds a été décrite par Dewey (1980) dans les bassins du Pacifique. Royden (1993) a réalisé une synthèse multi-disciplinaire de différentes zones de subduction dont l’arc de Gibraltar et a mis en évidence la migration rapide de certaines zones de subduction, générant beaucoup d’extension arrière-arc et formant des reliefs négatifs associés à un métamorphisme bas-grade. C’est à partir de ces travaux que Lonergan et White (1997) ont réalisé une synthèse multidisciplinaire de la convergence Afrique-Eurasie compilant données de géophysique, de terrain, de volcanisme et de sismicité et, ont ainsi proposé, un modèle qui implique le retrait de la plaque plongeante Téthysienne. Dans ce modèle, le front de subduction migre, dans la direction d’extension par retrait de la fosse (roll-back), jusqu’à épuisement de l’espace disponible puis s’ « étale » latéralement (Fig. I.16).

Figure I. 16: Le modèle de « Slab Rollback » proposé par Lonergan et White (1997)

Le retrait des panneaux plongeants en Méditerranée est bien marqué par la migration du volcanisme durant l’Oligo-Miocène (Duggen et al., 2003; Carminati et al., 2012) et à terre par de nombreux indices tels que les détachements à faible pendage et certaines associations pétrologiques. Depuis 2005, les avancées de la tomographie ont amené de nouvelles observations permettant d’imager les panneaux plongeants dans le manteau (Biijwaard et al., 2000, Wortel et Spakman, 2004; Bezada et al., 2012). La tomographie permet d’observer la morphologie des slab et a permis de comprendre l’une des raisons du retrait des fosses en Méditerranée. Le panneau plongeant calabrais montre un pendage très fort puis s’horizontalise au niveau de la limite inférieure de l’asthénosphère. Ce blocage s’accommode par la recul de la fosse de subduction (Jolivet et Faccena, 2000). Dans certains cas, des déchirures de la plaque plongeante ont été imagées (Wortel et Spakman, 2004; Cavazza et al., 2004; Bezada et al., 2012), (Fig. I.17).

Figure I. 17: Données de tomographie montrant la présence d’un corps froid sous l’Italie, interprété comme les vestiges du slab téthysien. En A, les données montrent une déchirure du slab dans sa partie supérieure. Dans les deux cas, on remarque que le slab a atteint la limite des 670km et a tendance à s’horizontaliser (Spakman et Wortel, 2004).

Govers et Wortel (2005) synthétisent les observations qui ont été réalisées sur 5 régions où une subduction active est connue. Ils montrent que dans ces régions aux bordures des plaques plongeantes, de grands accidents transformants se mettent en place associés à des rotations des terrains adjacents lorsque le front de subduction se déplace. Par analogie avec les données de terrain connues sur les chaînes Bétiques ou dans la région Calabraise, ils proposent un argument fort pour confirmer le recul des fronts de subduction dans la Méditerranée. En effet, les données de terrain montrent bien de grands accidents transformants dans les Bétiques couplés à des rotations horaires de la chaîne mis en évidence par le paléomagnétisme ou les orientations des chevauchements bétiques (Comàs et al., 1992, 1996, 1999; Crespo-Blanc et al., 2013). Ces grands accidents transformants (STEP = Subduction-Transform Edge Propagator) sont de plus en plus cités (Bezada et al., 2012; Medhaouri et al., 2014; Van Hisbergen et al., 2014) comme argument expliquant que le moteur principal de l’extension et de ces mouvements décrochants est le retrait des plaques plongeantes (Fig. I.18).

Figure I. 18: Différentes zones de subduction sujettes au recul de la fosse et montrant des déformations transformantes et des rotations sur les bordures de la fosse (Govers et Wortel, 2005). Ce type de déformation appelé STEP (Subduction Transform Edge Propagator) est observé sur le bassin nord-Fidjien (a), la Mediterranée dans son ensemble (b), la fosse des Petites Antilles (c), la fosse de Sulawesi (d) et la fosse sud Sandwich (e).