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Chapitre I : Le Promontoire Baléares dans le contexte méditerranéen occidental :

I.2. Le promontoire Baléares :

I.2.3. La Crise de Salinité Messinienne :

La Crise de Salinité Messinienne (ou CSM) est un épisode catastrophique d’évaporation de la Méditerranée se produisant à la fin de l’époque Miocène (5.96 Ma à 5.33 Ma). Cet évènement va provoquer le dépôt de grands volumes d’évaporites dans l’ensemble du bassin méditerranéen profond et dans les bassins périphériques. Cette crise affecte tant les écosystèmes marins que terrestres sur l’ensemble du domaine Méditerranéen (Fig. I.32).

Figure I. 32: Carte de synthèse des dépôts messiniens dans le bassin méditerranéan (Rouchy et Caruso, 2006).

La CSM présente un fort intérêt pour l’étude de la Méditerranée et ce pour plusieurs points :

Cette crise est bien connue et bien datée à terre. De plus, elle a mis en place des surfaces remarquables sur l’ensemble du domaine. Ces surfaces sont des marqueurs importants en chronostratigraphie et en paléotopographie. Ils sont de plus ubiquistes sur le domaine.

Les volumes d’eau et de sédiments mis en jeu ont probablement eut une influence sur les mouvements verticaux affectant les bassins ou les points hauts en provoquant des réponses isostatiques rapides.

Dans les Baléares, l’unité de la crise Messinienne a été décrite par Mauffret (1976). Différents faciès ont été cartographié dans cette unité, correlés à plusieurs types de bassins évaporitiques mais ne font pas l’objet d’études approfondies en terme de scénario de la crise. L’unité messinienne en mer correspond à des gypses et à de l’anhydrite forés sur la plateforme d’Alicante et dans les bassins d’Elche et de San Pedro. Ils sont reliés à terre aux gypses du bassin du Bajo Segura (Soria et al., 2008). Leur épaisseur varie de 300m (Muchamiel) à 100m (Calpe; Fig. I.29). Sur les îles, l’unité syn-crise Messinienne est caractérisée par des gypses et des anhydrite dont le toit a été foré (Rosell et al., 1988 ; Pomar et al., 1995) à Majorque. A Ibiza, le Miocène supérieur correspond à des depôts continentaux et composés de conglomérats en alternances avec des argiles blanches (Durand-Delga et al., 1980 ; Simo et al., 1982)

Modalité de la crise :

La présence d’évaporites du Miocène supérieur est reconnue sur le pourtour du bassin Méditerranéen depuis les années 1960 (Ogniben, 1957). Dans les années 1970, la crise de salinité messinienne va devenir un sujet essentiel grâce à deux découvertes majeures. Auzende en 1973, via les campagnes sismiques Polymède va associer des unités sismiques à faciès particulier, visibles sur l’ensemble du bassin méditerranéen, aux évaporites de la crise de salinité messinienne, et va subdiviser cette série en 3 sous-unités (évaporites supérieures, sels massifs et évaporites inférieures ; Ryan et al., 1973 ; Mauffret et al., 1976 ; Rehault et al., 1984). D’autre part, le toit des évaporites est foré pour la première fois lors du DSDP leg13 (Deep Sea Drilling Program, Ryan et al., 1973 ; Hsü et al., 1973a, 1973b). Ce forage va être à l’origine de nombreuses hypothèses et montre la relation entre les évaporites, les unités sismiques et l’assèchement du bassin Méditerranéen. Le débat se focalise alors sur la possibilité d’assécher un bassin éventuellement déjà profond.

Depuis ces forages DSDP, des études multidisciplinaires ont amené de nombreuses réponses mais aussi des questions au problème de la CSM. La chronologie de la crise est globalement acceptée et connue grâce à des données magnétostratigraphiques (Gautier et al. 1994), radiochronologiques (Roger et al. 2000), tephrochronologiques (Cornée et al. 2006) et biostratigraphiques (Krigjsmann et al. 1999, Suc et al. 2011, Manzi et al. 2013), corrélées avec les variations des paramètres de l’orbite terrestre. Le scénario de la crise est toujours très discuté malgré un consensus en 2008 (CIESM, 2008) qui propose un scénario en 3 temps (Fig.

Figure I. 33: Schéma du scénario de la crise de salinité messinienne d’après le CIESM, 2008.

De 5.96 Ma à 5.6 Ma : initiation de la crise et premiers dépôts d’évaporites :

La phase 1 est définie par une restriction généralisée et progressive des circulations marines profondes, conséquence de la fermeture progressive des corridors Rifain (Benson et al., 1991 ; Krijgsman et al., 1999 ; Govers, 2009 ; Ryan, 2011). Elle est synchrone sur l’ensemble de la Méditerranée et dépose dans les bassins périphériques peu profonds (Fig. I.34) aujourd’hui émergés les évaporites dites « primaires ». Ces évaporites sont caractérisées par des alternances de gypses primaires et de marnes/sapropels cycliques marquant des variations de salinité de l’eau. On dénombre environ 16 à 17 cycles de gypses dans ces bassins. Dans les bassins profonds ( > 1000 m) les dépôts de cette époque seraient plutôt carbonatés, mais leur nature reste discutée puisque la serie, et donc à fortiori la base, n’a jamais été foré dans son intégralité.

De 5.6 à 5.55 Ma : l’acmé de la crise :

Cette étape est marquée par une chute majeure du niveau marin. Le niveau de base méditerranéen le plus bas atteint est de l’ordre de 1300 m en dessous du niveau marin actuel (Urgeles et al. 2010) à 1510 m en dessous du niveau marin actuel (Cita et Ryan, 1978 ; Blanc et al. 2002). Cette chute du niveau marin est averée par le surcreusement des grands fleuves méditerranéens (Clauzon et al., 1973 ; Chumakov et al., 1973) et par l’érosion des dépôts des évaporites primaires. Elle est associée à de multiples facteurs d’ordre climatique (aridité) et

d’ordre tectonique (fermeture de Gibraltar). Cette baisse du niveau marin est bien documentée dans les bassins apennins ou siciliens avec une exposition des gypses qui sont érodés ou karstifiés (Roveri et al. 2003, 2008). L’ensemble des marges méditerranéennes enregistre une intense érosion polyphasée (MES = Margin Erosion Surface, Ryan et al., 1973 ; Warny et al., 2003 ; Lofi et al., 2005) avec la modification des systèmes hydrographiques qui s’enfoncent dans le bassin pour former parfois des canyons (Nil : Chumakov et al., 1973 ; Rhône : Clauzon et al., 1973). L’ensemble des produits d’érosion des marges s’accumule dans les bassins profonds. Les dépôts sont de type clastiques sur la partie proximale des marges (CU ou Complex Unit, Lofi et al., 2011) et de type évaporitiques dans les parties distales des bassins (trilogie salifère, Ryan et al., 1973 ; Lofi et al., 2011). Les dépôts salifères sont épais ( > 1000 m) et les datations réalisées à terre tendent à montrer que ces dépôts se sont faits en 50 ka (Krigjsman et al., 1999, CIESM, 2008).

De 5.55 à 5.33Ma : les évaporites supérieures et le Lago Mare :

Cette étape se caractérise par des changements rapides et généralisés sur le bassin méditerranéen vers des environnements à salinité variable. Ces variations sont montrées par l’alternance entre des dépôts d’évaporites et des sédiments à faune d’eau douce à terre. En mer, le toit des dépôts terminaux du Messinien a été foré lors du leg DSDP 13 (Ryan et al., 1973) et du leg ODP 42 (Hsü et al., 1978). Cette unité est composée d’alternances de niveaux de gypse sélénitique et de niveaux à dolomies qui traduisent des environnements de sebkha (Lofi et al., 2011). Le toit de l’unité datée à 5.33 Ma est marqué par les dépôts zancléens qui montrent une remise en eau brutale du bassin méditerranéen (Clauzon et al. 1982, Blanc, 2002).

Stratigraphie du Messinien :

La baisse brutale du niveau marin en Mediterranée va provoquer des changements d’ordre morphologique et sédimentaire tant sur les marges que dans le bassin profond. Si les marges sont caractérisées essentiellement par de l’érosion (MES), le bassin profond accumule les produits de l’érosion sous forme de séries épaisses clastiques et évaporitiques.

Figure I. 34: Coupe illustrant la géométrie des unités méssiniennes depuis les bassins périphériques aux bassins profonds modifié d’après Lofi et al., 2011.

Nous utilisons la nouvelle typologie pour définir la trilogie composant cette série salifère (Lofi et al., 2011) :

1. L’unité évaporitique inférieure (Lower Unit = LU, Fig. I.34) : cette unité est connue par la sismique réflexion dans les bassins profonds. Sa base est séparée des unités pré- messiniennes par la BES (Base Erosion Surface) (surface d’érosion basale) ou BS (Base Surface) (surface basale si aucun indice d’érosion n’est observé) qui correspond selon les auteurs à la continuité de la MES à terre (surface d’érosion messinienne) (Ryan et Cita, 1978 ; Escutia et Maldonado, 1992) . Sa réponse sismique montre une unité de 600m d’épaisseur à réflecteurs continus et parallèles. La nature, l’âge et l’origine de cette unité restent hypothétiques.

2. L’unité mobile (Mobile Unit = MU, Fig. I.34) : cette unité intermédiaire correspond au sel mobile et est la plus épaisse. C’est une unité sismique transparente qui présente un diapirisme intense ainsi que du fluage en bordure des bassins. Elle est constituée de halite avec des intercalations d’anhydrite et son épaisseur atteint localement 1000 à 1500m dans le bassin Liguro-Provençal.

3. L’unité évaporitique supérieure (Upper Unit = UU, Fig. I.34) : l’unité supérieure de la séquence évaporitique est la seule à avoir été forée (Leg 13, Hsü et al., 1973 ; Leg 42, Hsü et al., 1978). Elle est constituée d’alternances de couches de gypse et d’anhydrite avec des couches de marnes dolomitiques ou d’argiles. Son épaisseur est de l’ordre de

600m. La réponse sismique montre des réflecteurs continus, sub-parallèles avec une forte amplitude. Le toit de cette unité est marqué par la TES (Top Erosion Surface) (surface d’érosion du toit) ou TS (Top Surface) (surface sommitale si aucun indice d’érosion n’est observé), qui sépare les UU de l’unité plio-quaternaire.

Les bassins intermédiaires ont été définis récemment pour désigner les lieux contenant des dépôts messiniens localisés entre les bassins périphériques et profonds (Fig. I.34). Leur étude est essentielle pour résoudre les corrélations latérales entre bassins profonds et périphériques, maillon manquant pour établir un scénario cohérent de l’ensemble de la CSM. Lofi et al. (2011) décrivent une unité dite BU (Bedded Unit ou unité litée) qui affleure principalement dans ces bassins périphériques. Cette unité est marquée par une réponse sismique proche de celle des UU avec des réflecteurs de forte amplitude, sub-continus et sub-parallèles. Leur relation avec les séries profondes est toujours discutée. Le promontoire Baléares est localisé à des profondeurs intermédiaires entre les bassins périphériques du sud-est de l’Espagne et les bassins profonds. L’unité Baléares décrite par Mauffret (1976), Acosta et al. (2001a, 2002) ou Maillard et Mauffret (2013) a des caractéristiques s’apparentant aux BU.

Tableau I. 3: Tableau synthétisant la typologie des unités et surfaces messiniennes ainsi que leur principales caractéristiques (Lofi et al. 2011).