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2.2 Le système immunitaire

2.2.5 Mort cellulaire immunogène (ICD)

En effet, les variants tumoraux ayant survécus peuvent entrer dans la « phase d’équilibre », dans laquelle leur croissance est prévenue par des mécanismes immunologiques. Durant cette phase seule l’immunité adaptative (les cellules CD4+ et CD8+) et des molécules effectrices (comme l’IFNg et l’IL-12) sont requis pour maintenir les cellules tumorales dormantes. Cependant, sous pression sélective constante du système immunitaire, les variants tumoraux ne sont plus reconnus par le système immunitaire adaptatif (perte d’antigènes, ou acquisition de défauts dans le proccessing ou la présentation des antigènes) ; deviennent insensibles aux mécanismes immunitaires effecteurs ; et établissement un microenvironnement immunosuppresseur (immunosubversion) (Schreiber, Old et al. 2011), (Dunn, Bruce et al. 2002).

Le résultat est la génération, via un processus de sélection darwinien, des variants tumoraux très peu immunogènes, indétectables par le système immunitaire et par conséquent capable de se développer progressivement, (Dunn, Bruce et al. 2002), (Schreiber, Old et al. 2011), (Vesely, Kershaw et al. 2011).

De plus, un nombre croissant de données montrent que le succès de certaines thérapies anti-cancéreuses, incluant les molécules cytotoxiques traditionnelles, la radiothérapie ainsi que les agents de thérapie ciblée, repose (au moins en partie) sur l’activation de réponses immunitaires anti cancéreuses (Galluzzi, Senovilla et al. 2012).

2.2.5 Mort cellulaire immunogène (ICD)

L’apoptose immunogène in vivo a été mise en évidence grâce à plusieurs études démontrant qu’une mort dépendante des caspases produit une vaccination anti-tumorale, basée sur l’activation des DCs qui ingèrent, processent et présentent les antigènes des cellules tumorales mourantes, ainsi que plusieurs populations de lymphocytes T (Obeid, Tesniere et al. 2007). En particulier, il a été montré dans les souris que l’induction de l’ICD dépend des récepteurs TLR4 (un TLR, appartenant à la famille des PRRs) et P2RX7 (un récepteur purinergique de l'ATP) ainsi que chez l’homme, des défauts dans ces gènes compromettant la réponse clinique

aux chimiothérapies adjudantes aux anthracyclines et à l’oxaliplatine (Apetoh, Ghiringhelli et al. 2007), (Ghiringhelli, Apetoh et al. 2009), (Tesniere, Schlemmer et al. 2010).

La mort des cellules cancéreuses peut être définie comme immunogène par deux critères majeurs. D’abord, l’injection de cellules cancéreuses succombant à l’ICD dans des souris immunocompétentes doit éliciter une réponse immunitaire protectrice spécifique pour les antigènes tumoraux, en l’absence de tout adjuvant. Deuxièmement, la chimiothérapie associée aux inducteurs ICD doit exercer des effets anticancéreux (c’est à dire une réduction de la croissance ou la masse tumorale) qui dépendent au moins en partie du système immunitaire. Les différents agents chimiothérapeutiques n’ont pas tous la même capacité à induire l’ICD (Kroemer, Galluzzi et al. 2013). Lorsque des cellules mourantes traitées avec 24 agents chimiothérapeutiques cytotoxiques ont été testées pour leur capacité à induire une réponse immunitaire anticancéreuse in vivo, seulement quatre agents (trois anthracyclines et l’oxaliplatine) ont montré de tels résultats, même si tous les agents étaient capables d’induire l’apoptose (Obeid, Tesniere et al. 2007).

Des analyses biochimiques ultérieures ont révélé les propriétés de l’ICD (par opposition à la non-ICD (pour non immunogenic cell death) : l’exposition préapoptotique de la CALR et d’autres protéines du RE à la surface cellulaire, la sécrétion d’ATP durant les phases de bourgeonnement de l’apoptose, et la libération associée à la mort cellulaire de la protéine de chromatine non histone HMGB1 (Figure 8) (Apetoh, Ghiringhelli et al. 2007), (Ghiringhelli, Apetoh et al. 2009), (Tesniere, Schlemmer et al. 2010), (Obeid, Tesniere et al. 2007).

Notre laboratoire et d’autres études ont élucidé les mécanismes qui expliquent pourquoi certains agents chimiothérapeutiques cytotoxiques provoquent l’exposition de CALR, la sécrétion d’ATP et la libération d’HMGB1, alors que d’autres non. L’ICD est obligatoirement précédée par deux types de stress : le stress du RE et l’autophagie (Michaud, Martins et al. 2011), (Garg, Krysko et al. 2012), (Panaretakis, Kepp et al. 2009).

La plupart des cellules reconnues par le système immunitaire sont des cellules stressées, dont les cellules qui répondent au stress du RE en déclenchant les voies de réponse au stress lié à l’accumulation de protéines mal repliées (UPR de l’anglais « unfolded protein response »). L’activation de l’UPR met en jeu trois transducteurs : la X-box binding protein (XBP1), le facteur d’activation de la transcription 4 (ATF4 de l’anglais « activating transcription factor 4 ») et le facteur d’activation de la transcription 6 (ATF6 de l’anglais « activating transcription factor 6 »).

L'interaction des protéines « RNA-activated (PKR)-like ER kinase » (PERK), ATF6 et de l’ « inositol-requiring enzyme 1 » (IRE-1) avec la protéine chaperonne « binding

immunoglobulin protein/78 kDa glucose-regulated protein » (BiP/GRP78) les maintient inactives dans le RE. Lors de l’accumulation de protéines mal repliées ces protéines sont libérées. ATF6 migre vers l'appareil de Golgi où il est hydrolysé par deux protéases, permettant la mise à évidence d’une séquence d’adressage au noyau. IRE-1 possède deux types d'activité enzymatique : c'est une Sérine/Thréonine protéin kinase et une endoribonucléase. La dissociation du complexe IRE-1 - Bip/GRP78 entraîne une dimérisation de IRE-1 ce qui induit son activité kinase, elle peut alors s'autophosphoryler ce qui induit l'expression de son activité endoribonucléase. IRE-1 ainsi activée, épisse dans le cytoplasme l'ARN messager codant le facteur de transcription XBP1, (XBP1s de l’anglais « XBP1 spliced »). PERK se dimèrise, stimulant ainsi son activité kinase qui phosphoryle sur la sérine 51 la sous-unité α du facteur d’initiation de la traduction eIF2 : la traduction est alors inhibée. Cependant, la traduction de l'ARN messager codant le facteur de transcription ATF4 qui participe à l'UPR est augmentée. En effet, il contient des phases de lecture ouvertes en amont dans sa partie 5' non traduite. Ce type de phases de lecture permet l'expression de cet ARN messager malgré l'inhibition de la synthèse protéique (Zhang  and  Kaufman  2008). XBP1, ATF 4 et ATF6 permettent ensuite grâce à leur activité de facteurs de transcription d’entrainer la diminution de la traduction des protéines, l’augmentation de la dégradation des protéines du RE via la machinerie de dégradation associée au RE (ERAD de l’anglais « ER-associated degradation »), activent la transcription de gènes codant pour des protéines impliquées dans le repliement des protéines mal repliées et augmente la dégradation des ARN messagers localisés dans le RE (Figure 9).

Figure 8. Propriétés de la mort cellulaire immunogène (ICD). En réponse aux inducteurs de la mort cellulaire immunogène (ICD), comme la doxorubicine ou l'oxaliplatine, les cellules malignes exposent la calréticuline (CALR) et d'autres chaperonnes du réticulum endoplasmique à leur surface, sécrètent de l'ATP, initient une réponse intrinsèque d'interférons de type I (IFN), culminant dans la production du « CXC‑chemokine ligand 10 » (CXCL10) et la protéine « high‑mobility group box 1 » (HMGB1) et l'annexine A1 (ANXA1). Lors de la liaison à leurs récepteurs respectifs à la surface des cellules myéloïdes ou lymphoïdes, ces « damage‑associated molecular patterns » (DMAPs) favorisent l'absorption de cadavres cellulaires et de débris cellulaires par les cellules présentatrices d'antigène, notamment les cellules dendritiques (DCs) dans un contexte de signaux immunostimulants fort, conduisant à l'amorçage d'une réponse immunitaire adaptative, impliquant à la fois des lymphocytes T αβ et γδ. En plus d'être associé à l'établissement de la mémoire immunologique, une telle réponse a le potentiel d'éradiquer les cellules malignes qui survivent à la chimiothérapie par un mécanisme dépendant de l'IFNγ.

CXCR3, CXC-chimiokine récepteur 3; FPR1, récepteur 1 du peptide formyle; IFNAR1; La sous-unité 1 du récepteur α/β de l'interféron; IL, interleukine; LRP1, protéine liée au récepteur LDL 1; P2RX7, récepteur purinergique P2X7; P2RY2, récepteur purinergique P2Y2; TLR4, récepteur Toll-like 4 (Galluzzi, Buque et al. 2017).

Le stress du RE induit par la chimiothérapie, provoque la relocalisation de la CALR (dont la plus grande fraction est située dans la lumière du RE) à la surface externe de la membrane plasmique, et cela se produit bien avant que la cellule manifeste des signes de l’apoptose tels que l’exposition de la phosphatidylserine (PS) à la surface cellulaire (Panaretakis, Kepp et al. 2009). L’ecto-CALR agit comme un signal d’ingestion, permettant aux DCs d’ingérer des portions de cellules stressées et mourantes (Chao, Jaiswal et al. 2010), (Gardai, McPhillips et al. 2005). Le blocage de l’exposition de la CALR affecte négativement l’efficacité de la chimiothérapie basée sur les anthracyclines dans les souris immunocompétentes (Panaretakis, Joza et al. 2008), suggérant que ce signal immunogène dépendant du stress du RE est indispensable pour éliciter une réponse immunitaire antitumorale efficace (Tesniere, Schlemmer et al. 2010), (Obeid, Tesniere et al. 2007). L’autophagie est également un processus indispensable à la mort cellulaire immunogène (Michaud, Martins et al. 2011). L’inhibition de l’autophagie n’affecte pas l’exposition de la CALR ni la libération de HMGB1, mais empêche la sécrétion d’ATP des cellules cancéreuses mourantes. Donc en réponse à la chimiothérapie, les tumeurs autophagie compétentes mais pas autophagie déficientes, recrutent les DCs et (plus tard) les lymphocytes T. Un tel défaut de l’autophagie dans les cancers peut être corrigé par l’inhibition des enzymes de dégradation de l’ATP extracellulaire, provoquant une augmentation des concentrations d’ATP péri cellulaires, restaure le recrutement des cellules immunitaires, et les réponses à la chimiothérapie, mais uniquement dans les hôtes immunocompétents (Michaud, Martins et al. 2011). Il apparait donc que l’autophagie est essentielle pour la libération immunogénique d’ATP par les cellules mourantes, et les dispositifs permettant d’augmenter les concentrations extracellulaires d’ATP peuvent potentiellement améliorer l’efficacité des chimiothérapies antinéoplasiques lorsque l’autophagie est désactivée.

De plus, il a été montré que les anthracyclines stimulent la production rapide d'IFN de type I par des cellules malignes après l'activation du récepteur de TLR3 (Sistigu, Yamazaki et al. 2014).

Plus récemment, notre groupe a démontré que l'effet thérapeutique de l’ICD induite par des anthracyclines ou l'oxaliplatine chez la souris dépend de l'interaction entre ANXA1, libéré lors de la mort des cellules cancéreuses et FPR1 exprimé par l'hôte (Vacchelli, Ma et al. 2015).

La contribution essentielle du système immunitaire au succès des chimiothérapies conventionnelles a été validée dans de multiples modèles de cancers ((Apetoh, Ghiringhelli et al. 2007), (Casares, Pequignot et al. 2005), (Ghiringhelli, Apetoh et al. 2009), (Obeid, Tesniere et al. 2007), (Garg, Krysko et al. 2012)). Cependant la tumorigenèse « conduite » par un oncogène arriverait à déjouer les mécanismes d’exposition des molécules de CMH I et/ou à détourner les machineries du stress du RE ou de l’autophagie (Mimura, Ando et al. 2011). Il est aussi possible que les cancers induits par oncogènes acquièrent leur habileté à susciter des mécanismes d’échappement au système immunitaire ou simplement n’élicitent pas d’immunosurveillance naturelle. Dans ces cas là, mettre fin à l’addiction à l’oncogène à l’aide de thérapies ciblées (c'est-à-dire avec des agents inhibant spécifiquement ALK, KIT, MYC ou BCR-ABL) peut permettre de restaurer une réponse immune anti tumorale (Balachandran, Cavnar et al. 2011), (Chiarle, Martinengo et al. 2008), (Rakhra, Bachireddy et al. 2010). Utiliser des agents ciblant les oncogènes en combinaison avec les anthracyclines pourrait permettre d’étendre les bénéfices thérapeutiques de cette approche (Chiarle, Martinengo et al. 2008).

Figure 9. Les différentes composantes de la réponse UPR. À l’état basal, les protéines transmembranaires de la réponse UPR (PERK, ATF6 et IRE-1) sont maintenues inactives dans le RE grâce à leur interaction avec la protéine chaperonne BiP/GRP78. L’accumulation de protéines mal conformées dans la lumière du RE entraîne une dissociation de BiP/GRP78 et l’activation des trois protéines de la réponse UPR. PERK s’oligomérise ce qui entraîne une stimulation de son activité kinase. Elle phosphoryle alors la sous-unité α du facteur d’initiation de la traduction eiF2 entraînant une inhibition de la traduction. ATF6 migre du RE vers l’appareil de Golgi où il subit un double clivage protéolytique par les protéases S1P et S2P. Le domaine amino-terminal d’ATF6 migre vers le noyau pour se fixer sur des séquences ERSE (ER stress response element). La protéine IRE-1 possède, une activité sérine/thréonine kinase et endoribonucléase dans son domaine cytoplasmique. Son activation lors de la dissociation de Bip/GRP78 entraîne une oligomérisation et une induction de l’activité kinase d’IRE-1. La protéine IRE-1 activée provoque l’épissage et la traduction de l’ARNm du facteur XBP-1. XBP-1 se lie sur des séquences ERSE des promoteurs cibles de la réponse UPR (Foufelle and Ferre 2007).

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