• Aucun résultat trouvé

Morphologie de la face des hominidés

D.2 Morphologie de la face et de la mandibule

D.2.1 Morphologie de la face

D.2.1.2 Morphologie de la face des hominidés

Matériel

L’échantillon est composé de 129 spécimens d’hominidés actuels. Il inclut 58 spécimens d’Homo sapiens, 29 spécimens de Pan troglodytes, 27 spécimens de Gorilla gorilla et 15 spécimens de Pongo pygmaeus.

Objectif

L’objectif de cette étude est de décrire les variations de conformation des structures faciales, au sein d’un échantillon d’individus appartenant aux quatre genres d’hominidés actuels (Homo, Pan, Gorilla et Pongo).

Résultats

Sur l’ACP des coordonnées Procrustes des points repères représentant la morphologie de la face chez les hominidés (Figure 10), les composantes principales 1 et 2 représentent respectivement 64,3% et 6,0% de la variance totale (Figure 14). Sur la première composante principale, les humains modernes (valeurs les plus faibles) se distinguent des autres grands singes : Pan troglodytes, Gorilla gorilla et Pongo pygmaeus (valeurs les plus fortes). Cette distinction explique en grande partie le pourcentage de variance important porté par le premier axe. La seconde composante principale sépare principalement un groupe formé par Pan et Pongo d’un groupe formé uniquement par les individus appartenant au genre Gorilla. Les humains modernes occupent une place intermédiaire sur cet axe. La répartition d’Homo sur l’axe 2 de l’ACP se superpose largement à celles des deux autres groupes (Pan-Pongo pour les valeurs faibles et Gorilla pour les valeurs les plus élevées).

Sur la première composante principale, quand les valeurs augmentent, la face dans son ensemble devient plus étroite (axe médio-latéral) et plus longue (axe supéro-inférieur). La partie inférieure de la face s’allonge et est projetée antérieurement, elle est donc plus prognathe. Sur l’axe 1, la taille relative des orbites et la hauteur de l’ouverture piriforme se réduisent. Enfin, le palais osseux devient plus long. Sur la deuxième composante principale, quand les valeurs sont plus importantes, la partie supérieure de la face devient moins verticale et la partie moyenne de la face est déplacée vers l’avant. Par conséquent, la face devient

moins concave. L’échancrure du jugal est plus latérale et la hauteur des orbites est réduite. Sur l’axe médio-latéral, la distance inter-orbitaire et la largeur de l’orifice piriforme sont plus importantes. Enfin, le palais devient plus long et est orienté vers le bas (klinorhynche). Les grands changements observés sur les axes 1 et 2 de l’ACP peuvent être résumés comme suit : sur l’axe 1, la face devient plus longue et plus prognathe, et sur l’axe 2, la face devient plus droite (moins concave) et le palais s’oriente vers le bas.

Figure 14. ACP des points repères représentant la face incluant Homo sapiens, Pan troglodytes, Gorilla gorilla et Pongo pygmaeus. Les polygones délimitent l’espace occupé par chaque espèce. Rond vert : Homo sapiens, losange bleu : Pan troglodytes, carré noir : Gorilla gorilla, triangle rouge : Pongo pygmaeus. Les configurations représentent les changements morphologiques associés à chaque axe.

Dans ce groupe de points repères, la régression multiple des coordonnées Procrustes sur la taille centroïde montre une influence significative de l’allométrie (p<0,01). Cette dernière explique 35,0% de la variance totale. Sur le graphique, on observe qu’Homo sapiens est distinct morphologiquement des autres grands singes et que chez ce taxon la taille centroïde de la face recoupe celles des plus petits individus appartenant au genre Pan et Pongo (Figure 15). Dans une moindre mesure, Pongo diffère également du groupe composé

de Pan et de Gorilla. Enfin, les chimpanzés et les gorilles possèdent une relation similaire entre morphologie et taille centroïde de la face.

Figure 15. Régression multiple des coordonnées Procrustes des points repères représentant la face chez les hominidés sur le logarithme décimal de la taille centroïde. Rond vert : Homo sapiens, losange bleu : Pan troglodytes, carré noir : Gorilla gorilla, triangle rouge : Pongo pygmaeus.

Discussion

Homo

On retrouve chez les humains modernes la face très courte et orthognathe décrite précédemment dans la littérature (Bilsborough et Wood, 1988; Delattre et Fenart, 1955b; Kimbel et al., 2004) et dans cette thèse (voir chapitre D.1). Chez ce taxon, la taille des orbites est relativement importante par rapport à la taille de la face. D’autre part, l’orifice piriforme et l’espace inter-orbitaire sont plus larges (axe médio-latéral) chez Homo sapiens que chez les autres grands singes. Chez les humains modernes, on note que l’épine nasale antérieure est projetée vers l’avant. Cette caractéristique est visible sur le premier axe de l’analyse en composantes principales. Elle s’explique notamment par la présence d’une épine nasale antérieure, définie comme une protubérance osseuse dirigée vers l’avant et située au niveau de la limite inférieure de l’ouverture piriforme. Cette structure n’est pas présente chez les autres

grands singes actuels (Ashley-Montagu, 1935; Mooney et Siegel, 1986). Chez Homo, la présence d’une épine nasale antérieure peut être expliquée par la résorption osseuse importante de la région subnasale de l’os maxillaire au cours du développement (Enlow et Bang, 1965; Enlow et Hans, 1996). En effet, cette résorption du maxillaire peut permettre à la fois la mise en place d’une face inférieure courte et droite et le développement d’une épine nasale osseuse au niveau de la limite inférieure de l’ouverture piriforme.

Pan

Chez Pan troglodytes, comme dans le chapitre précédent (chapitre D.1), on retrouve, pour la plupart des caractères observés, des valeurs intermédiaires entre celles des autres grands singes, notamment Homo sapiens et Gorilla gorilla. Ainsi, les chimpanzés possèdent une face de longueur intermédiaire entre celles des humains modernes d’une part, et celles des gorilles et des orangs-outans d’autre part (Kimbel et al., 2004). Ils possèdent également une position intermédiaire pour plusieurs autres caractéristiques morphologiques comme la projection antérieure de la face inférieure, la taille relative des orbites et de l’ouverture piriforme (Cramer, 1977; Kimbel et al., 2004; Zihlman et al., 2008). La face de Pan troglodytes est plus concave que celle de Gorilla gorilla et est associée à un palais plus court et qui est plus orienté vers le haut.

La régression multiple de la forme de la face sur la taille centroïde montre clairement la relation d’allométrie qui lie la face de Pan et celle de Gorilla, ces deux taxons possédant un rapport similaire entre taille et forme (Berge et Penin, 2004; Bruner et Manzi, 2001; Shea, 1983a). Ainsi, la face du gorille est en grande partie équivalente à une version agrandie de la face du chimpanzé, où les relations entre taille et conformation sont conservées.

Gorilla

Les gorilles possèdent une face longue, droite et prognathe associée à un palais long et klinorhynche (Bruner et Manzi, 2001; Penin et Baylac, 1999; Shea, 1985). Comme décrit précédemment (chapitre D.1), Gorilla gorilla est le seul taxon qui possède une face moyenne très projetée vers l’avant (Biegert, 1963; Neaux et al., 2013b; O'Higgins et Dryden, 1993; Shea, 1985). Chez ce taxon, la largeur de l’orifice piriforme est importante et la taille des orbites est réduite relativement à la taille de la face. Cette dernière est très large sur l’axe médio-latéral, notamment dans la région zygomatique.

Pongo

Les orangs-outans possèdent une face longue et prognathe. Elle est également très concave et associée à un palais airorhynche (chapitre D.1) (Brown et Ward, 1988; Shea, 1985; Taylor et VanSchaik, 2007). Chez ce taxon, les orbites sont plus hautes que larges et la distance entre ces dernières est réduite (Biegert, 1963; Shea, 1985). Chez l’orang-outan, cet espace inter-orbitaire réduit est associé à une réduction de la largeur de l’orifice piriforme.

Différences interspécifiques

Cette analyse en composantes principales permet, en premier lieu, de faire la distinction entre deux grands types morphologiques. Les humains modernes d’une part, qui possèdent une face courte et orthognathe, associée à un palais court, et les autres grands singes d’autre part, avec une face longue et prognathe, associée à un palais plus long. Chez Homo sapiens, la taille des orbites est plus importante relativement à la taille de la face. Cette relation entre réduction de la longueur la face et augmentation relative de la taille des orbites a déjà été décrite auparavant (Cobb et O'Higgins, 2004; Mitteroecker et al., 2004). Elle pourrait être due à la forte réduction de la longueur de la face plutôt qu’à une réelle augmentation de la taille des orbites. En effet, les mesures de la hauteur et de la largeur des orbites des humains modernes restent très proches de celles des autres grands singes et ne constituent pas des valeurs extrêmes pour les hominidés actuels (voir Table 11) (Kimbel et al., 2004). C’est donc très probablement la réduction de la face des humains modernes qui rend la taille relative des orbites plus importante. Afin de préciser cette hypothèse, il est également important de noter que ce qui est vrai pour les orbites ne l’est pas nécessairement pour les globes oculaires. Plusieurs études tendent en effet à montrer que chez les primates et notamment chez les grands singes, la taille de l’œil peut varier significativement par rapport à la taille de l’orbite (Kay et Kirk, 2000; Kirk, 2006; Schultz, 1940).

Chez les humains modernes, le raccourcissement de la longueur de la face est également associé à une augmentation de la largeur de l’espace inter-orbitaire et de l’orifice piriforme. Lorsque l’orifice piriforme devient plus étroit, comme c’est le cas chez les autres grands singes, et notamment chez Pongo pygmaeus, l’espace inter-orbitaire se réduit également. Cette association est également observée sur le deuxième axe de l’ACP entre Gorilla gorilla (orifice piriforme et espace inter-orbitaire larges) et Pongo pygmaeus (orifice piriforme et espace inter-orbitaire étroits). Il a été montré que la taille de l’ouverture piriforme

est toujours plus importante que celle de l’espace inter-orbitaire (Kimbel et al., 2004; Schmittbuhl et al., 1999b). Quand la distance inter-orbitaire augmente, la largeur de l’orifice piriforme augmente également. Cette relation peut en partie être expliquée par le fait que la distance inter-orbitaire reflète également les dimensions internes de la partie supérieure de la cavité nasale (Holton et Franciscus, 2008), notamment la partie supérieure de la zone pré- turbinale, les méats nasaux supérieurs et les cornets nasaux supérieurs (Rouvière et Delmas, 2002). La corrélation entre distance inter-orbitaire et largeur de l’orifice piriforme peut ainsi être expliquée par la nécessité d’un maintien de dimensions proportionnées pour l’ensemble des structures crâniennes liées à la respiration.

Table 11. Hauteur et largeur de l’orbite. Les mesures (en mm) ont été effectuées à partir des coordonnées des points repères. Les données sont sous la forme : moyenne ± écart type.

Taxon Hauteur orbite Largeur orbite

Taxon Cette étude Kimbel et al. 2004 Cette étude Kimbel et al. 2004

Homo sapiens 38 ± 3 34 39 ± 3 39

Pan troglodytes 37 ± 2 33 36 ± 2 36

Gorilla gorilla 44 ± 4 38 42 ± 3 40

Pongo pygmaeus 42 ± 4 40 37 ± 4 35

Les gorilles et les orangs-outans possèdent tous les deux des faces longues et prognathes associées à des morphologies pourtant très différentes. Chez Gorilla, la face est droite et associée à un palais klinorhynche. Chez Pongo, elle est concave et associée à un palais airorhynche. Dans mon analyse, les chimpanzés sont relativement proches des orangs- outans sur le deuxième axe de l’analyse en composantes principales, qui différencie Gorilla et Pongo. Les résultats précédents (chapitre D.1) ont montré que les chimpanzés possèdent une face plus concave et un palais plus orientés vers le haut que les gorilles. Cependant, chez Pan, ces valeurs ne sont pas extrêmes, comme c’est le cas chez Pongo.

Conclusions

Cette analyse permet de mettre en avant la diversité des variations de conformation de la face, au sein de la famille des hominidés. Elle confirme notamment les différences majeures existant dans l’anatomie de la face, entre les humains modernes d’une part et les autres grands singes d’autre part.