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Morphologie de la mandibule des hominidés

D.2 Morphologie de la face et de la mandibule

D.2.2 Morphologie de la mandibule

D.2.2.2 Morphologie de la mandibule des hominidés

Matériel

L’échantillon est composé de 129 mandibules d’hominidés actuels. Il inclut 58 spécimens d’Homo sapiens, 29 spécimens de Pan troglodytes, 27 spécimens de Gorilla gorilla et 15 spécimens de Pongo pygmaeus.

Objectif

L’objectif de cette étude est de décrire les variations de conformation des structures mandibulaires au sein d’un échantillon d’individus appartenant aux quatre genres d’hominidés actuels (Homo, Pan, Gorilla et Pongo).

Résultats

L’ACP des coordonnées Procrustes des points repères représentant la morphologie de la mandibule chez les hominidés (Figure 16) montre sur l’axe 1, qui explique 71,9% de la variance totale, une différentiation claire entre les humains modernes d’une part (valeurs les plus fortes) et les autres grands singes (Pan, Gorilla et Pongo) d’autre part (valeurs les plus faibles) (Figure 19). Cet axe permet la caractérisation des principales différences existant dans la morphologie de la mandibule entre les humains modernes et les autres grands singes. Vers les valeurs les plus importantes de la PC1, la mandibule est plus courte antéro- postérieurement et plus large médio-latéralement, notamment dans la partie postérieure, au niveau des ramus. Le gnathion (le point le plus antéro-inférieur de la symphyse) est plus projeté vers l’avant et la largeur du ramus est moins importante comparée à la distance entre le processus coronoïde et le condyle mandibulaire. L’axe 2 qui explique 7,1% de la variance totale distingue principalement Pan, Gorilla et Pongo, même si les distributions de ces trois taxons sont en partie superposées. Sur cet axe, en allant vers les valeurs les plus importantes, la mandibule est plus courte antéro-postérieurement, le ramus est plus haut et l’incisure sigmoïde est plus profonde. Le processus coronoïde est déplacé supérieurement par rapport au condyle mandibulaire. Le gnathion s’abaisse et l’infradentale s’élève, augmentant la hauteur relative de la symphyse.

Dans ce groupe de points repères, la régression multiple des coordonnées Procrustes sur la taille centroïde montre une influence significative de l’allométrie (p<0,01). Cette dernière explique une partie importante de la variance totale (44,2%). Sur le graphique, on observe deux groupes : les humains modernes d’une part et d’autre part les autres grands singes (chimpanzé, gorille, orang-outan) qui possèdent une relation similaire entre morphologie et taille centroïde de la face (Figure 19).

Figure 19. ACP des points repères représentant la mandibule incluant Homo sapiens, Pan troglodytes, Gorilla gorilla et Pongo pygmaeus. Les polygones délimitent l’espace occupé par chaque espèce. Rond vert : Homo sapiens, losange bleu : Pan troglodytes, carré noir : Gorilla gorilla, triangle rouge : Pongo pygmaeus. Les configurations représentent les changements morphologiques associés à chaque axe.

Figure 20. Régression multiple des coordonnées Procrustes des points repères représentant la mandibule chez les hominidés sur le logarithme décimal de la taille centroïde. Rond vert : Homo sapiens, losange bleu : Pan troglodytes, carré noir : Gorilla gorilla, triangle rouge : Pongo pygmaeus.

Discussion

Outre les différences morphologiques importantes entre les humains et les autres primates décrites dans l’analyse en composantes principales précédente (Figure 17), cette étude montre des variations entre les humains et les autres grands singes dont une part importante est expliquée par la taille des individus. Ce résultat est principalement dû aux différences importantes dans la valeur de la taille centroïde entre Gorilla et Homo, chacun de ces taxons occupant une position extrême sur la première composante principale de l’ACP. La régression de la forme sur la taille centroïde montre que, contrairement à ce qui est observé pour la face, pour la mandibule Pongo partage un même rapport entre conformation et taille que Pan et Gorilla. Les différences dans la morphologie de la mandibule entre ces trois taxons sont donc en partie dues à l’effet de taille. Les humains modernes possèdent quant à eux une morphologie très différente et se situent loin de cette droite de régression.

La hauteur du ramus de la mandibule est un des caractères majeurs qui différencient Pan, Pongo et Gorilla. En effet, pour des mandibules de même largeur, le ramus est moins haut et orienté plus obliquement chez le chimpanzé que chez l’orang-outan et le gorille (Humphrey et al., 1999; Taylor, 2006a). La réduction de la longueur relative du ramus, qui fonctionne comme un bras de levier lors des phases d’ouverture et de fermeture de la mandibule, permet d’augmenter la valeur de l’angle d’ouverture maximal de la mâchoire mais réduit la puissance de mastication (Kieser, 1999; Lieberman, 2011). Il a été proposé que cette

spécificité des chimpanzés puisse faciliter la préparation de certains types de nourriture, notamment le pelage ou l’épluchage des fruits (Humphrey et al., 1999). Elle pourrait également être liée à l’importante capacité des chimpanzés à communiquer à l’aide d’expressions faciales. Ces derniers possèdent en effet un répertoire d'expressions du visage riche et complexe qui présente de nombreuses similitudes physiques et fonctionnelles avec celles des humains (Parr et Waller, 2006; Parr et al., 2007). Par ailleurs, cette analyse permet de confirmer d’autres spécificités des chimpanzés. Ainsi Pan possède une incisure sigmoïde moins profonde, un foramen mentonnier situé plus bas et une symphyse mandibulaire moins haute que chez Pongo et Gorilla (Guy et al., 2008; Humphrey et al., 1999). D’autre part, on observe également vers les valeurs les plus élevées de l’axe 2 plusieurs caractéristiques propres à Gorilla, notamment la présence d’un ramus mandibulaire très haut sur l’axe antéro- supérieur, un processus coronoïde plus haut que le condyle mandibulaire et une incisure sigmoïde située plus près du condyle que du processus coronoïde (Rak et al., 2007; Taylor, 2006a).

Les différences importantes dans la morphologie de la mandibule des hominidés actuels sont en partie dues à des différences dans l’évolution développementale et fonctionnelle de cette structure. Les hominidés actuels possèdent des régimes alimentaires relativement différents, incluant de manière prédominante des feuilles chez Gorilla gorilla, des fruits chez Pan troglodytes et Pongo pygmaeus et de la nourriture souvent préparée et cuite chez Homo sapiens (Lieberman, 2011; Taylor, 2006a; Taylor, 2006b). Ainsi, chacun de ces régimes alimentaires impliquent des modifications anatomiques spécifiques de la mandibule afin de pouvoir fractionner et assimiler au mieux le type de nourriture correspondant. Chaque espèce d’hominidé possède également des fonctions particulières impliquant la mandibule. On peut citer par exemple le langage parlé chez les humains modernes (Lieberman, 1984; Lieberman, 2006) ou l’expansion des sacs vocaux chez les orangs-outans, dont il a été supposé qu’elle facilite la vocalisation (Hewitt et al., 2002; Nishimura et al., 2007).