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Moralités panfictionnelles

Introduction

L'anathème constant contre la prétention de « la Science » – les sciences humaines s'entend – à formuler des vérités dernières, la mise en accusation de son « arrogance » à vouloir s'ériger en « métalangage» – du moins le soupçonne-t-on –

révèlent donc une crise plurielle du statut de la vérité240 . Or, c'est précisément au

moment où les sciences humaines triomphent – et traversent leur « belle époque »

comme le souligne François Dosse241 – que ces attaques se font plus vives, de la part

même de ceux qui en sont alors les plus brillants représentants. À cet égard, l'année 1966 est symptomatique et ouvre une brèche dans un structuralisme qui est alors à la fête. En octobre, à l'Université Johns Hopkins, le colloque intitulé « Les langages critiques et les sciences de l'homme » réunit outre-atlantique les penseurs les plus

influents du structuralisme européen242. Tandis que la plupart des intervenants

soulignent combien les sciences humaines ont enrichi méthodologiquement les approches disciplinaires, Jacques Derrida s'adonne à une critique de l'impensé qui régit le discours même des sciences de l'homme ; il y montre combien ce dernier est inconsciemment soumis à une idéologie de la vérité et du « signifié dernier » alors que

le signe ne peut être engagé que dans une dynamique de différance et de

supplémentarité indéfinie243. Cette perspective nouvelle va avoir, on l'a vu, une influence considérable sur Roland Barthes et notamment sur la façon dont il envisage

les rapports entre la Science et la Littérature244 ; l'année 1967 entérine une nouvelle

vue hiérarchique dans laquelle la « vérité entière » de la littérature fait face aux vérités « parcellaires » des sciences humaines instituées. Ce partage des « vérités » rejouant sur un mode décalé – et à gros traits – une nouvelle querelle de propriété entre la Littérature et la Science.

Après avoir analysé la genèse théorique de cette « querelle » et la réaffirmation des prétentions intégrationnistes de la littérature, il nous faut maintenant chercher à cerner la double nouveauté dont elle porteuse. D'abord, il apparaît clairement que le 240 Toutes ces expressions, on l'a vu, parasitent le discours théorique de Roland Barthes dans la décennie 1960‐ 1970.   241 François Dosse, op. cit., p. 225‐403  242 Ibid., p. 382 : « Lucien Goldmann et Georges Poulet sont invités pour représenter la critique littéraire de type  sociologique, Roland Barthes, Tzvetan Todorov et Nicolas Ruwet pour la sémiologie littéraire, Jacques Derrida  en  tant  que  philosophe  […],  Jean‐Pierre  Vernant  pour  son  anthropologie  historique  de  la  Grèce  ancienne,  et  Jacques Lacan pour sa relecture structuraliste de Freud. »  243  Jacques Derrida, « La structure, le signe et le jeu dans le discours des sciences humaines », art. cit 244  La « dette » de Barthes envers Derrida se formule clairement dans la lettre adressée à Jean Ristat que l’on a  déjà citée (OC IV [« Lettre à Jean Ristat, 1972], p. 125) 

débat ne porte plus sur la dimension constitutionnellement savante de la littérature,

perspective propre à l'imaginaire lansonien du début du XXe siècle et selon laquelle la

littérature est garante de vérités (morales, psychologiques, politiques, etc.) irréductibles à toute science ; le débat porte sur la construction discursive et

constitutionnellement fictionnelle de l'objet de savoir – construction le plus souvent

déniée – qui conduit à considérer la « Science » comme un objet littéraire et à vouloir

(ré-)intégrer les sciences humaines dans le champ de la « Littérature ». Ensuite – et c'est là la deuxième nouveauté, toujours en forme de chiasme – ce ne sont plus exclusivement les « littéraires » (écrivains, critiques littéraires) qui revendiquent la nature savante de la littérature, ce sont les « scientifiques » (linguistes, historiens, philosophes, sociologues) qui mettent au jour la nature littéraire du discours savant.

Ce chapitre voudrait donc cerner la genèse et la migration de ce que nous appellerons une « moralité panfictionnelle » – pour pasticher le titre d’un ouvrage de

Jean-François Lyotard et souligner que la « moralité » désignera ici un ethos

générationnel qui affirme que tout relève de la fiction et que la rhétoricité du langage

ne peut produire que des effets de vérité245 –, afin de montrer qu'elle trace une ligne

qui va de Barthes à Quignard en inspirant les mêmes innovations formelles et les mêmes contournements des codes traditionnels de l'écriture savante.

4.1 RECONFIGURATION EXTENSIVE DU STATUT DE LA FICTION

(ANNEES 60-70)

4.1.1 La fiction et la « littérarisation » des discours savants

La genèse d'une moralité panfictionnelle prend corps dans les années 60 sous l'effet de plusieurs modes intellectuelles qui se croisent et qui englobent des penseurs et des disciplines d'origines diverses. Il s'agit d'un mouvement de fond, repérable après coup, plus qu'une théorie érigée en tant que telle et qui ferait école derrière des individualités identifiables. Disons, pour présenter les choses à grands traits, que le panfictionnalisme que nous voudrions saisir émerge du tournant linguistique (le

linguistic turn d'origine anglo-saxonne, lui-même déjà vaste 246 ) et du post-structuralisme (tel qu'il a pu s'énoncer notamment par la voix de Jacques Derrida au moment de sa « déconstruction » du logocentrisme occidental). Pour le premier, qui est aussi et surtout un « tournant rhétorique » selon la perspective de Carlo

Ginzburg247, la rhétoricité et la figuralité du langage sont irréductibles ; dès lors, il

refuse à tout discours – fût-il savant et guidé par l'objectivité la plus sourcilleuse – la saisie d'une vérité qui serait précisément autre chose qu'une construction discursive et autoréférentielle. Pour le second, qui concentre sa critique sur la métaphysique

occidentale et sur la centralité qu'elle accorde au logos, c'est la priorité accordée au

« signifié » qu'il faut invalider. Cette primauté du signifié (du vrai, du sens dernier, de la parole révélée) est toujours soumise à une conception logocentriste et théologique

de la vérité qui institue l'écriture en « signe-de » cette vérité première – vérité toujours

extérieure et originaire par rapport à l'écriture et au signe écrit. En déconstruisant cette logique, Jacques Derrida affirme au contraire qu'il n'y a pas de secondarité de l'écriture par rapport à un signifié ou à une vérité qui serait première et que le langage aurait à charge de retranscrire ; il n'est pas de « signifié » qui ne fonctionne déjà comme un « signifiant » et qui n'échappe, par là même, au jeu du langage :

« Le  signifié  [...]  fonctionne  toujours  déjà  comme  un  signifiant.  La  secondarité  qu'on  croyait  pouvoir  réserver  à  l'écriture  affecte  tout  signifié  en  général,  l'affecte  toujours  déjà,  c'est‐à‐dire d'entrée  de  jeu. Il  n'est  pas  de  signifié  qui  échappe,  éventuellement  pour y tomber, au jeu des renvois signifiants qui constitue le langage. L'avènement de  l'écriture  est  l'avènement  du  jeu  ;  le  jeu  aujourd'hui  se  rend  à  lui‐même,  effaçant  la 

246

 Richard Rorty, The Linguistic Turn, Chicago, University of Chicago Press, 1967. 

limite depuis laquelle on a cru pouvoir régler la circulation des signes, entraînant avec  soi tous les signifiés rassurants, réduisant toutes les places‐fortes, tous les abris du hors‐ jeu qui surveillaient le champ du langage248. » 

Une telle perspective entend bien évidemment déstabiliser les assises de la rationalité

occidentale en soulignant qu'il n'y a pas de vérité a priori, hors de l'opération d'écriture

qui la génère.

« Nietzsche [...] aurait puissamment contribué à libérer le signifiant de sa dépendance  ou de sa dérivation par rapport au logos et au concept connexe de vérité ou de signifié  premier, en quelque sens qu'on l'entende. La lecture et donc l'écriture, le texte, seraient  pour Nietzsche des opérations “originaires” (nous mettons ce mot entre guillemets pour  des  raisons  qui  apparaîtront  plus  loin)  au  regard  d'un  sens  qu'elles  n'auraient  pas  d'abord  à  transcrire  ou  à  découvrir,  qui  ne  serait  donc  pas  une  vérité  signifiée  dans  l'élément originel et la présence du logos […]249. » 

L'affiliation de Derrida à la pensée et à la pratique nietzschéenne de l'écriture du savoir nous dit ici combien ce post-structuralisme d'obédience philosophique est finalement assez proche du tournant linguistique d'inspiration rhétorique ; convoqué par les

partisans du linguistic turn pour sa détermination du langage comme donnée

irréductiblement « figurale », Nietzsche sert également de figure tutélaire aux philosophes de la modernité engagée dans la contestation du logocentrisme.

Le croisement et le recouvrement de ces deux tournants – linguistique et post-structuraliste – imprègnent fortement le champ des sciences humaines dans les années 60-70 et soulignent une moralité panfictionnelle propre à l'époque. Marielle Macé, en suivant les mutations du genre de l'essai sur cette même période, parle

justement de « moment fictionnel » dans les sciences humaines250. L'important pour

nous est que les arguments panfictionnalistes recoupent, à des degrés divers, les enjeux de la fictionnalité, de la rhétoricité, de la métaphoricité ou encore de la narrativité et induisent donc – même si chacune de ces notions perdent en précision et en fermeté théorique – qu'une dimension manifestement « littéraire » serait à

l'origine de tout discours savant. L'idée acquiert la valeur d'un topos et nombreux sont

les essayistes qui réfléchissent à la littérarisation de la prose d'idées en désignant leurs

248 Jacques Derrida, De la grammatologie, Paris, Minuit, 1967, p. 16. 

249

 Ibid., p. 31‐32. 

250 Marielle Macé, op. cit., p. 248‐249 : « L'infléchissement de l'épistémologie des sciences humaines a abouti au  cours des années 1970 à faire du discours de savoir une fiction : tout système est perçu comme une invention,  toute  entreprise  intellectuelle  comme  une  construction,  voire,  suggère  Barthes,  comme  un  fantasme  ou  un  “délire théorique”. »  

propres productions savantes dans les termes topiques de la littérature, au premier rang desquels « le roman » prend une valeur symptomatique. C'est l'exemple de Paul Veyne qui, non sans intention polémique, requalifie le geste historiographique de « roman vrai » ; c'est encore Michel Foucault qui désigne son essai d'épistémologie comme une « pure et simple fiction : [comme] un roman » ; c'est Roland Barthes, aussi, qui s'envisage non plus comme un critique littéraire mais comme « romancier,

scripteur, non du roman, il est vrai, mais du “romanesque”251 ». L'hypothèse de cette

littérarité propre aux discours savants repose sur une conception large et ouverte de la littérature pour laquelle l'espace littéraire est synonyme d'invention ou de création discursive, lieu d'un discours non soumis à la véridicité et à l'injonction référentielle. Or, selon la moralité panfictionnelle, toute pensée systématique se dénonce immédiatement comme fable et invention, et est avant tout une « forgerie », une création avec des objets d'ordre intellectuel ; toute connaissance, pour reprendre la terminologie foucaldienne, procède non pas de la « vérité » (neutre et faussement apriorique) mais bien d'une « volonté de vérité » (contingente, institutionnelle et variable selon les époques), et à ce titre tout « discours vrai » est d'abord et surtout

tributaire des possibles discursifs qui le parlent252.

Si elle est largement posée sur le plan théorique, la « littérarisation » des discours savants est également mise en pratique sur le plan de l'écriture. Ou du moins

essayée, car le cadre disciplinaire de l'écriture savante demeure contraint et impose ses règles d'ordonnancement à qui voudrait en perturber le cours. Si l'on veut être « dans le vrai », dans les processus encore validés par la discipline qui régit notre discours, encore faut-il rester dans les limites discursives qu'elle fixe pour ne pas se retrouver de l'autre côté de ses marges, comme dit Foucault, dans la « tératologie du

savoir253 ». Contre le risque de « tératologie » – que serait, au regard du discours

savant, la pleine fiction ou le roman véritable – il faut donc choisir « l'hétérologie » du savoir comme le préconise Barthes, en prenant pour modèle l'essayisme hétérodoxe de Bataille :

« Le texte de Bataille apprend comment il faut se conduire avec le savoir. Il ne faut pas  le rejeter, il faut même parfois feindre de le mettre au premier plan. […] Le savoir est  émietté, pluralisé, comme si l’un du savoir était sans cesse amené à se diviser en deux : 

251Cf. successivement : Paul Veyne, Comment on écrit l'histoire ? Essai d'épistémologie, Paris, Seuil, coll. « Points  Histoire », [1971] 1996, p. 10 ; Michel Foucault, « Sur les façons d'écrire l'histoire » (entretien avec Raymond  Bellour) [1967], in Dits et écrits. Tome 1, Paris, Gallimard, 1994, p. 591 ; Roland Barthes, OC III [« Réponses »  1971], p. 1038. 

252

 Michel Foucault, L'ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, p. 16‐23 

la synthèse est truquée, déjouée ; le savoir est là, non détruit, mais déplacé; sa nouvelle  place est – selon un mot de Nietzsche – celle d’une fiction [...]254 » 

Et tout l'enjeu est bien là pour de nombreux essayistes de cette époque, et ce malgré une forme bien présente d'héritage universitaire, tant sur le plan de l'exposition du

savoir que sur le plan de l'habitus sémantique qui en balise la progression ; il faut

chercher à ramener « dans la diction, une partie des enjeux de la fiction » comme le

précise Marielle Macé, en misant sur des « mécanismes de déviance255 » et non sur un

complet renversement du code traditionnel du savoir. La position de Roland Barthes, comme on le verra plus bas, est exemplaire de cette manière de faire. La distinction – essentielle – qu'il pose entre « la comédie de l’Intellect » et le « romanesque de

l’Intellect » va dans ce sens256. Si la première renvoie à des formes éprouvées de mises

en fiction du savoir (que l’on pense aux géants humanistes de Rabelais ou aux Bouvard et Pécuchet de Flaubert), la seconde – le « romanesque » et non le roman – induit en revanche une pratique plus lâche de l’objet conceptuel, un maniement sensuel et subjectif du discours à vocation savante. L’ordre est donc inversé par rapport à « la comédie de l’Intellect » : on part du concept pour lui instiller une dose de « fictionnel » et non de la fiction pour mettre en récit des concepts.

De même, lorsque Michel Foucault prétend n'écrire que des fictions, il prend

bien le soin de préciser qu'il existe une « possibilité de faire travailler la fiction dans la

vérité257 », de rester dans les limites imposées par le discours savant, sans toutefois

abandonner une « stratégie textuelle258 » qui en déjoue subtilement le code en

accusant par la forme de l'écriture ce que le fond de sa perspective critique énonce en surface. Comme l'a finement analysé Frances Fortier, ce léger déboîtement du discours philosophique procède d'une esthétisation assumée et retorse de son dire ; et il faut toute l’attention minutieuse d’une lecture comparative des grandes œuvres

254 OC III, [« Les sorties du texte », 1973], p. 369‐370.  

255

 Marielle Macé, op. cit., p. 252 et p. 240 : « Mécanismes de déviance » qu'on analysera en détail chez Roland  Barthes, mais qui recoupent déjà – pour la plupart d'entre eux – ce qui se passe au plan plus général de l'écriture  de l'essai dans cette période : recherche de la figuralité du discours (images et métaphores assumées), refus du  systématique  (pratique  de  l'exposition  fragmentaire),  brouillages  énonciatifs  (décentrement  de  la  figure  d'autorité du sujet savant) et narrativisation (on « fictionne » dans le discours de vérité, on narre des anecdotes,  on traite sensuellement du savoir). 

256 OC IV [Roland Barthes par Roland Barthes, 1975], p. 668 : « Il aurait voulu produire, non une comédie de  l'Intellect, mais son romanesque. »  257 Michel Foucault, «Les rapports de pouvoir passent à l'intérieur des corps» [1977], in Dits et écrits. Tome 3 Paris, Gallimard, 1994, p. 236. [c'est nous qui soulignons]  258  Nous empruntons ici le titre de l'ouvrage de Frances Fortier : Les stratégies textuelles de Michel Foucault. Un  enjeu de véridiction, Québec, Nuit Blanche éditeur, 1997. Notre analyse lui est ici redevable. 

foucaldiennes pour montrer combien la transparence de son dire – et son apparente transitivité – cache en fait une dimension métafictionnelle évidente :

« Métaphorisation,  autotélisme,  décrochages  lyriques,  exploration  des  registres  discursifs  multiples,  narrativisation,  jeux  de  langage  formels,  mise  en  abyme  fonctionnent  dans  le  texte  foucaldien  comme  autant  de  marques  qui  mettent  en  évidence le caractère métafictionnel de ses grandes enquêtes historiques259. » 

Toutes ces procédures de textualisation du discours savant recoupent évidemment l'intention critique de Foucault : elles entendent montrer que son entreprise épistémologique ne s'abstrait pas de l'ordre interprétatif qu'elle dévoile, à savoir que toute connaissance est avant tout d'ordre interprétatif et qu'elle est le fruit des possibles discursifs qui la configurent.

4.1.2 Fiction : « mot-mana » de la modernité

« Mécanismes de déviance » ou « stratégies textuelles », on assiste donc à une littérarisation des discours savants qui mise sur des procédures d'écart et qui se réfère le plus souvent au modèle fictionnel. Il convient toutefois de noter que cette dynamique d'époque n'est pas mue par une volonté éperdue de « fictionnalité », mais plutôt par la conviction communément partagée – on l'a vu – du caractère auto-référentiel du langage. Cette perspective, une fois éclairée, nous permet de mieux resituer l'emploi insistant du mot de « fiction » dans le champ des sciences humaines, d'en ressaisir les constantes et d'en mesurer, aussi, les écarts d'un auteur à l'autre.

Il est évident que ce qu'il faut lire dans l'emploi massif et lâche du mot de

« fiction », c'est avant tout le dessein d'un « espace projectible260 », le désir d'habiter

un espace discursif depuis lequel on puisse tendre vers le littéraire tout en restant dans

les marges du discours de savoir. Cela explique la très grande plasticité du terme qui peut recouvrir tour à tour la définition du récit, de la fable, du faux, de l'invention ou encore de la construction verbale, bref tout un lexique qui, peu ou prou, tend vers une

vision plus poétique que référentielle du langage. À ce titre, il devient très précisément

l'un des « mots-mana » de la modernité théorique, au sens que Barthes a donné à ce

concept emprunté à Lévi-Strauss261 : mot à signifiant unique mais à signification

259Idid., p. 137. 

260

 Marielle Macé, op. cit., 254. 

261

OC IV [Roland Barthes par Roland Barthes, 1975]p. 704. « Mot dont la signification ardente, multiforme,  insaisissable et comme sacrée, donne l'illusion que par ce mot on peut répondre à tout. » 

multiforme et mouvante, il cartographie un imaginaire du littéraire à échelle variable. Cette dynamique infiniment projectible du terme doit être envisagée en tant que telle : ce qui se cherche ici ce n'est pas la création d'une fiction pure et simple, ce sont des nouvelles modalités de véridiction qui sachent intégrer les acquis d'une réflexion neuve sur le fictionnel. Bien sûr, cette quête est largement redevable d'un bougé quant au statut épistémologique de la « fiction » : on reconsidère la valeur fondamentalement cognitive de celle-ci en réévaluant, notamment, le statut de la

rhétorique et de la métaphore comme on l'a déjà vu262. Dès lors, la dimension

irréductiblement fictive et assumée du langage n'empêche pas de créer de nouveaux objets de savoir ; c'est bien ce que montrent les syntagmes qui sont alors dans l'air du temps et qui tous associent le mot de « fiction » à une compétence cognitive, légitimant par là et indirectement la possibilité de faire travailler le savoir dans des formes qui

lorgnent vers le littéraire ; ce sont, entre autres, les fictions « heuristiques » de Paul

Ricœur, les fictions à « effets de vérité » de Michel Foucault ou les fictions « interprétatives » de Roland Barthes.

Paul Ricœur, malgré la variété de son parcours et de ses méthodes, n'a jamais cessé de mesurer le plus largement possible les implications d'une philosophie de l'imagination. En posant l'activité herméneutique comme la possibilité première et unique de connaissance du sujet, il institue le symbole et l'imaginaire comme les

conditions a priori de tout savoir : « le sujet ne se connaît pas lui-même directement,

mais seulement à travers les signes déposés dans sa mémoire et son imaginaire par les

grandes cultures263 ». C'est donc par la médiation des œuvres de l'imagination que se

laisse reconstituer le sens de l'expérience humaine. Cette promotion de l'imaginaire éloigne celui-ci des représentations habituelles qui le caractérisent comme fantasme, feintise ou encore tromperie ; à la critique ontologique du statut de l'imagination,

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