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La littérature au risque de son « ailleurs »

Introduction

Cette histoire récente d’une idée de la littérature contre les sciences humaines

ne s’est pas faite de manière aussi tranchée. En effet, si les tentatives d’émancipation ont été si spectaculaires, parfois même outrées dans la logique de durcissement antagoniste qui les portait, c’est bien parce qu’on pouvait aussi y lire l’empreinte d’un fort surmoi. Longtemps, et même simultanément, cette même littérature s’est pensée « contre » les sciences humaines, non plus au sens oppositif du terme mais bien au sens empathique voire affectif de la préposition. Pour ne pas aller contre l’histoire, au rebours d’un mouvement qui n’a eu de cesse d’asseoir les sciences humaines en position hégémonique à l’intérieur du champ des connaissances, la littérature a dû transiger et repenser son occupation territoriale en termes de partage. Avant de prôner la translation de la Science à la Littérature, il a donc fallu réfléchir aux conditions d’émergence d’une Science de la littérature, pleinement articulée sur le discours et les

concepts des sciences humaines environnantes86.

Voilà pourquoi on fera ici marche arrière par rapport à notre première découpe chronologique. En effet, si le chapitre précédent s’est attaché à montrer combien l’anthropologie constituait un point de fixation privilégié pour observer les querelles de propriété, tant discursives que disciplinaires, entre la littérature et les sciences

humaines, il utilisait encore certaines datations privilégiées. C’étaient grosso modo le

Quignard des années 2000 et le Barthes des années 1970, autrement dit les arêtes les plus « actuelles » des œuvres dans l’ordre de leur réception. On aimerait ici adopter un regard rétrospectif et se placer au cœur de la seule année 1966. Et sur cette mince ligne de crête ouvrir de nouvelles perspectives, tant sur le plan du croisement générationnel que sur le plan des débats entre littérature et sciences humaines.

On verra alors qu’en 1966, année lumière du structuralisme, Barthes prend fait

et cause pour les sciences humaines qui sont alors à la fête. Critique et vérité rejoue

étrangement le geste lansonien tout en le déjouant par une subtile stratégie de substitution : car s’il est vrai qu’il met à distance l’ancienne critique entée sur le scientisme méthodologique du début du siècle (celui de Lanson hérité des historiens Langlois et Seignebos), il n’en est pas moins vrai qu’il revendique pour la Nouvelle

critique une « certaine science de la littérature », désormais articulée sur un

86 De  ce  pas  de  deux,  témoignent  à  un  an  d’intervalle  deux  textes  de  Barthes  qu’on  analysera  en  détail :  le  premier constitue la section centrale de Critique et Vérité et s’intitule « La Science de la littérature » ; le second  est un article de 1967 qui a pour titre, dans un vœu de dépassement qui est aussi une invitation à l’émancipation,  « De la science à la littérature ».  

paradigme linguistique qui présuppose une approche du texte attentive à la structure symbolique qui le détermine. Dans cette perspective, la Littérature n’est plus porteuse d’une connaissance en propre, irréductible à un savoir venu des disciplines

extérieures ; au contraire, le savoir de la littérature (celui qu’elle contient mais surtout

celui que mettra au jour le discours critique sur la littérature), ne peut se révéler que par le truchement d’un discours autre – celui des sciences humaines – qui aura la tâche de le formuler. En 1966, Barthes conditionne donc l’approche de la littérature au risque de son « ailleurs » discursif. Le mot, on le verra, est essentiel et inverse en

quelque sorte la crispation territoriale à venir : l’ailleurs disciplinaire est la seule façon

d’aborder l’ici de la littérature ; l’ici de la littérature n’est pas encore la détentrice

exclusive de tous les ailleurs disciplinaires, comme Barthes le postulera plus tard en

faisant de la littérature une mathésis indépassable.

1966, c’est aussi l’année exacte où naît la revue L’Éphémère, celle qui a pu passer

pour l’anti Tel Quel et qui a acueilli les premiers écrits de Pascal Quignard. Cette

concordance des temps nous incitera à marquer le pas et à élargir la focale sur la génération à laquelle appartient Quignard et qui a eu précisément 20 ans dans la seconde moitié des années 1960. Par le biais de différents témoignages, ceux de Patrick Mauriès, de Pierre Bergounioux, de Pierre Michon et bien sûr de Pascal Quignard, on verra alors combien l’année 1966 a pu participer à la formation d’un fort surmoi scriptural chez nombre d’entre-eux. Ou nostalgiques ou violemment émancipatrices, les prises de parti s’inscrivent toujours dans le creux d’une dette. L’innutrition des sciences humaines dans la littérature des années 1980 procède de cette même ascendance. Aussi, avant la revendication du « tout » littéraire et la défusion de toutes

les sciences humaines dans le grand Organon mythographique que constitue Dernier

royaume, Pascal Quignard a longtemps regardé du côté du théorique. La lecture que

l’on donnera de certains textes de L’Éphémère fera ainsi état d’un « enfant » de 1966,

particulièrement nourri des avancées de la linguistique ; non plus d’une linguistique à l’ambition encore analytique, mais plutôt d’une linguistique au noir, aimantée par les

grands thèmes du dehors du langage, celle qui va du second Saussure aux réflexions

de Foucault sur la transgression et la limite.

Barthes 1966 / Quignard 1966 : la figure-mère du structuralisme et l’enfant de

L’Éphémère comme deux entités lovées dans le nid des sciences humaines. Il s’agit donc ici de donner une lecture accidentée des relations entre sciences humaines et littérature plutôt que s’enfermer dans un schéma unique et homogène ; de privilégier une lecture sensible aux va-et-vient, aux prises de position parfois radicalement

opposées, aux collusions significatives dans le choix de certains titres de textes, aux chevauchements d’une année sur l’autre, aux défenses de figures bientôt disgrâciées, aux palinodies ou aux épanorthoses par anticipation. Bref, il s’agit parfois de lire nos

auteurs contre eux-mêmes pour mieux mettre en valeur certains plis à l’intersection

2.1 BARTHES 1966 : LA LITTERATURE AU RISQUE DE SON

« AILLEURS »

2.1.1 Lanson contre lui-même

Dans la querelle bien connue qui oppose Roland Barthes à Raymond Picard en 1966 (querelle de l’« ancienne » et de la « nouvelle » critique), un point reste délicat qui retiendra ici tout notre attention : c’est celui qui concerne la question de « l’ailleurs » de la littérature. Question cruciale. Question territoriale encore une fois.

Question intégrative surtout. Car si le discours sur la littérature est possible et encore

tenu, c’est bien parce qu’on prend le risque de la parler depuis un « ailleurs ». Or, ce discours venu de l’extérieur, et qui viserait l’intérieur spécifique de la littérature, a toujours été incomplètement assumé par l’ancienne critique : d’un côté elle en appelle à une méthodologie inspirée par la science historique en considérant l’œuvre littéraire comme un document, au même titre qu’une archive, dont on n’aurait qu’à établir la source pour ensuite expliquer l’œuvre à la lumière de ce contexte avéré et objectif qui lui est extérieur (biographie de l’auteur, mentalité historico-sociale, rigueur philologique dans la datation de la langue et du sens qu’elle exprime) ; de l’autre, elle reste fidèle à une conception immanente de la littérature en réduisant l’approche de l’œuvre à de pures notions « impressionnistes » qui demeurent, en raison même de leur intemporalité idéale, totalement déshistoricisées (le goût, la clarté, le style, la transparence). Partant, la critique littéraire de type positiviste est porteuse d’une ambiguïté fondamentale qui tient à la définition même qu’elle se donne de la Littérature, et plus précisément encore à la perception qu’elle se fait de la Littérature en tant que domaine de connaissance. Dans un cas, elle apparente la Littérature à une « branche » issue d’un savoir plus large et comme telle, subordonnée à un discours scientifique dont elle dépend (celui, notamment, de la sociologie et de l’histoire) ; dans un autre cas, elle en fait un discours détenteur d’un savoir particulier, irréductible à une science qui lui serait extérieure, possédant une forme en propre dont seule

l’expérience d’une lecture immédiate témoigne. Autrement dit, tantôt la Littérature

relève des sciences sociales, tantôt elle ne relève que d’elle-même dans sa superbe singularité. C’est là une « querelle de propriété » que l’ancienne critique littéraire se donne à elle-même et qu’elle vit sous la forme intérieure du tiraillement, sinon de la schizophrénie. « Sorte de tourniquet », comme le dit Barthes, dont la circularité sans fin tient en fait aux hésitations qui furent celles-là même de Lanson et dont les

oscillations demeurent constitutives de son héritage. Car le Gustave Lanson « scientiste », figure majeure de la critique d’obédience positiviste, avant sa pleine conversion à « l’histoire littéraire » et à l’étude objective des « influences » de l’œuvre, a aussi manifesté en faveur d’un savoir intra-littéraire, irréductible au discours

extérieur de la science, partisan donc d’une littérature à côté de la science87. Et c’est

bien depuis cet entre-deux que réagit violemment Picard – dans un curieux anachronisme que ne manque pas de pointer Barthes –, et qui lui fait éprouver le même statut inconfortable du discours sur la Littérature : un discours qui se veut à la

fois « immanent » (revendiquant un dedans idéaliste de la littérature, une zone

protégée que rien ne saurait expliquer sinon un pur ressenti) et « transcendant »

(revendiquant un dehors de l’œuvre qui seul peut l’expliquer) :

« Ces règles ne sont pas de notre temps : les deux dernières viennent du siècle classique,  la première du siècle positiviste. Il se constitue ainsi un corps de normes diffuses, mi‐ esthétiques (venues du Beau classique), mi‐raisonnables (venues du « bon sens ») : on  établit une sorte de tourniquet rassurant entre l’art et la science, qui dispense d’être  jamais tout à fait dans l’un ou dans l’autre88. »  

Ni dans « l’art » (dans une forme ornée de l’écriture identifiable à une valeur littéraire

en soi), ni dans la « science » (dans une forme objective de l’écriture méthodique, fondée sur l’examen des faits et refusant toute inflation d’ordre rhétorique), le discours

sur la littérature propre à l’ancienne critique se maintient donc dans une ambiguitë

statutaire qui est le corollaire de la définition hybride – hybride car anachronique – qu’il se donne de la Littérature.

Barthes prend donc l’ancienne critique en défaut de scientificité. Là où elle prétend se fonder sur l’examen méthodique des faits extérieurs pour expliquer la spécificité de l’œuvre considérée (faits historiques, faits sociaux, faits

87

 Ce sont ces « deux visages » de Lanson que Vincent Debaene illustre par deux textes successifs. Le premier –  « La littérature et la science » (1895) – cherche encore à préserver les écrivains contre eux‐mêmes en les invitant  à ne pas imiter dans leurs œuvres les procédures que les savants appliquent dans leur domaine propre ; face à  l’influence  grandissante  des  sciences  sociales,  il  défend  alors  pour  la  littérature  une  forme  particulière  de  connaissance (« les faits de conscience », les « passions », les « sentiments ») qui seule peut être sentie par la  forme de l’œuvre à laquelle un développement puremet rationnelle ne peut accéder. Le deuxième – « L’histoire  littéraire  et  la  sociologie »  (1904)  –  est  un  ralliement  démonstratif  de  l’histoire  littéraire  à  la  sociologie  durkheimienne, à ce qui la définit aux yeux des sociologues comme des historiens : la méthode objective. Dans  cette  perspective,  la  littérature  ne  s’oppose  plus  à  la  science,  elle  ne  se  constitue  plus  non  plus  à  côté,  elle  devient tout simplement un objet social et historique soumis à son regard. (L’Adieu au voyageop. cit., p. 349‐ 379.) 

lexicographiques, faits biographiques), Barthes lui rétorque qu’elle n’en est pas moins soumise à une vision essentialiste de la Littérature, laquelle refuse paradoxalement l’examen extérieur des « sciences » alors qu’elle en fait son privilège et sa distinction face à une Nouvelle critique qu’elle juge subjective, délirante et par trop immanente. C’est là qu’est le nœud de la crispation territoriale, dans cette tension entre la Littérature envisagée dans sa singularité irréductible et les discours qui ont charge de l’articuler depuis un langage extérieur, depuis un « ailleurs » disciplinaire. Or, dans cet effort, Barthes se montre plus méthodique que les héritiers du « grand espoir

méthodique89 » : il maintient que l’approche critique de la littérature ne peut se faire

qu’au risque d’un langage qui lui est entièrement extérieur, à la faveur d’un « ailleurs » qu’il faut pleinement assumer. Bref, que la littérature ne peut être « dite » qu’à condition précisément d’en sortir :

« Certes, la lecture de l’œuvre doit se faire au niveau de l’œuvre ; mais d’une part, on  ne voit pas comment, les formes une fois posées, l’on pourrait éviter de rencontrer des  contenus,  qui  viennent  de  l’histoire  ou  de  la psyché,  bref  de  ces «  ailleurs  » dont  l’ancienne critique ne veut à aucun prix ; et d’autre part, l’analyse structurale des œuvres  coûte beaucoup plus cher qu’on ne l’imagine, car, sauf à bavarder aimablement autour  du plan de l’œuvre, elle ne peut se faire qu’en fonction de modèles logiques : en fait, la  spécificité de la littérature ne peut être postulée qu’à l’intérieur d’une théorie générale  des signes : pour avoir le droit de défendre une lecture immanente de l’œuvre, il faut  savoir  ce  qu’est  la  logique,  l’histoire,  la  psychanalyse  ;  bref,  pour  rendre  l’œuvre  à  la  littérature, il faut précisément en sortir et faire appel à une culture anthropologique. On  doutera  que  l’ancienne  critique  y  soit  préparée.  Pour  elle,  semble‐t‐il,  c’est  une  spécificité purement esthétique qu’il s’agit de défendre : elle veut protéger dans l’œuvre  une valeur absolue, intouchée par aucun de ces “ailleurs” indignes, que sont l’histoire  ou les bas‐fonds de la psyché : ce qu’elle veut ce n’est pas une œuvre constituée, c’est  une  œuvre pure,  à  laquelle  on  évite  toute  compromission  avec  le  monde,  toute  mésalliance avec le désir. Le modèle de ce structuralisme pudique est tout simplement  moral90. »  

Par rapport aux prises de positions antérieures de Barthes sur la « critique », il semble qu’on assiste là à un curieux renversement. En effet, n’était-ce pas la singularité de l’ancienne critique (celle que Barthes identifie à la « critique universitaire » des années 1960, héritière de Lanson) que de justement revendiquer une analyse fondée sur un « ailleurs » de la littérature et de récuser tout discours qui s’installerait dans l’intérieur

de l’œuvre pour en interpréter la logique profonde91 ? Mais l’ « ailleurs » que

89

 Antoine Compagnon, La Troisième République des lettres. De Flaubert à Proust, Paris, Seuil, 1983, p. 42. 

90 OC II [Critique et vérité, 1966], p. 775‐776. 

91

 OC II [Essais critiques, 1964], p. 498 : « On sait que le travail de cette critique est principalement constitué par  la recherche des “sources” : il s’agit toujours de mettre l’œuvre étudiée en rapport avec quelque chose d’autre un ailleurs de la littérature ; cet ailleurs peut être une autre œuvre (antécédente), une circonstance biographique 

revendique désormais Barthes n’est plus un ailleurs factuel – celui recherché par

Lanson au nom du postulat d’analogie entre l’œuvre et le monde –, c’est un ailleurs

discursif, autrement plus problématique. Car d’une certaine manière, il soutient que la littérature ne saurait recouvrir une parole en soi, une vérité de parole que seule la transparence de sa forme assurerait, mais qu’au contraire elle ne peut se mettre à « parler » (et le critique avec elle) que par le truchement d’un discours tiers venu des sciences humaines. En somme, le savoir propre à la littérature n’est décodable que par des savoirs qui lui sont exogènes ; et symétriquement l’analyse immanente du discours littéraire n’est rendue possible que par l’assimilation de toutes les franges disciplinaires qui lui sont extérieures (ici nommément désignées : la linguistique, l’histoire, la psychanalyse, l’anthropologie). On voit bien tout ce qu’une telle proposition peut contenir de perspectives, notamment en termes de répartition symbolique des espaces discursifs.

2.1.2 « Racine (n’) est (plus) Racine »

Et, principalement, si l’on en reste à notre lecture territoriale des enjeux entre Science et Littérature, ce contre quoi Barthes prend ici position, c’est bien le refus que manifeste la Littérature de se laisser déposséder de son espace propre, de subir une expropriation qui viendrait précisément des discours de l’extériorité, de cet « ailleurs » donc, que représentent à ses yeux les sciences humaines. Voilà pourquoi il n’a de cesse de vouloir affirmer (sans le dire) que « Racine (n’)est (plus) Racine » en reprenant la

tautologie bien connue des Mythologies sous une forme d’autant plus assumée que

pourrait venir la trouée, en pointillés, la tournure négative. Car Racine est bien le pré-texte de cette réponse à Picard ; car la tautologie est bien le trope par excellence que Barthes épingle dans le discours de l’ancienne critique :

« “Au sujet des dieux, recommandait Démétrios de Phalère, dis qu’ils sont des dieux.”  L’impératif final du vraisemblable critique est de même sorte : au sujet de la littérature,  dites qu’elle est de la littérature. Cette tautologie n’est pas gratuite : on feint d’abord de  croire qu’il est possible de parler de la littérature, d’en faire l’objet d’une parole ; mais  cette  parole  tourne  court,  puisqu’il  n’y  a  rien  à  dire  de  cet  objet,  sinon  qu’il  est  lui‐ même92. »  

ou encore une “passion” réellement éprouvée par l’auteur et qu’il “exprime” (toujours l’expression) dans son  œuvre […]. » 

92

 OC II [Critique et vérité, 1966], p. 776. Voir aussi, p. 775 : « Montée comme une petite machine de guerre  contre la nouvelle critique, que l’on accuse d’être indifférente “dans la littérature, à ce qui est littéraire » et de  détruire « la littérature comme réalité originale”, sans cesse répétée mais jamais expliquée, cette proposition a 

Figure exemplaire de la circularité, du refus de l’annexion par la réaffirmation du

même, la tautologie illustre une forme parfaite de repli sur soi ; et son repérage, dans

le discours d’autrui, met en lumière ce bégaiement de type obsessionnel où affleure la question identitaire, comme par un réflexe d’auto-défense. Dans l’ordre de la Littérature, briser la clôture tautologique revient forcément à l’arracher à la propriété

de son sol, à la dé-Raciner donc, si l’on ose le jeu de mot, en lui déniant jusqu’à sa

prétention généalogique : pour laquelle, justement, Racine est l’autre nom de son

Incarnation, de sa perfection ab origine et pour toute éternité. Déjà, dans Mythologies,

l’identification du processus tautologique était inséparable d’une critique de la clôture, dans quoi tout l’univers du connu devait être préservé : univers clos, monde à soi, reconduisant toujours du même au même selon un binarisme rassurant où le terme égal se retrouve toujours identifié. Les mythologies dont l’objet est « littéraire » montrent ainsi, exemplairement, cette peur de la dépossession qui consacre la Littérature en territoire inviolable, en zone défendue à toute annexion venue d’un « ailleurs » discursif. C’est le cas notamment du texte « Racine est Racine » qui voit dans la tautologie l’arme de prédilection de tout anti-intellectualisme : celle qui consacre l’ineffable (le cœur) et qui répudie le commentaire (la raison). Autrement dit,

appliquée au canon de la Littérature, la tautologie reconduit un ordre du discours :

l’Écrivain ne peut être reconnu comme tel que dans une forme d’immanence ; le Commentateur ne peut que rater l’objet qu’il se donne à comprendre. De même, la « poésie » de Minou Drouet n’est poésie que parce qu’elle satisfait à un ordre stable et préconçu de l’univers poétique ; rien en elle qui ne soit déjà nommé ni déjà vu, qui ouvre la Littérature sur cet « ailleurs » du langage qui en fait pourtant l’essence selon Barthes : « La Littérature ne commence pourtant que devant l’innommable, face à la

perception d’un ailleurs étranger au langage même qui le cherche93. »

Dans Critique et vérité, Barthes revient sur cette définition de la Littérature qui

a justement pour nécessité d’être fondée sur un ailleurs discursif ; et partant, sur la mort que constituerait pour elle le refus de toute dépossession par un langage autre. En somme, il n’y a aucune chance de parler la Littérature en continuant de la renvoyer

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