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témoignages d'anciennes recoupent largement ce constat du caractère relativement libéral du régime alors mis en place tel qu'il se dessine dans les discours des fondateurs

Dans le document Des cheminements sur la voie royale (Page 105-108)

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La marge de manœuvre accordée aux étudiantes, tant au niveau de leurs sorties

que des sujets abordés au sein de l’école, aboutit à une ouverture allant au-delà du strict

cadre éducatif. Des échanges internationaux (avec l’Angleterre, l’Allemagne) permettent

de comparer leur situation avec celle des femmes d’autres pays et d’ouvrir quelques

réflexions, de même que les débats sur l'actualité politique. Les stages professionnels,

qui tiennent une place centrale dans l’enseignement dispensé à l’école, leur permettent

de faire des rencontres qui, outre leur apport pédagogique et professionnel évident,

sensibilisent aussi les élèves à la piètre considération des femmes dans ce milieu

professionnel et à « l’antiféminisme » qui règne autour de la plupart des institutrices en

poste (Oulhiou, 1981, p.160-161).

Le cadre pédagogique pensé par les réformateurs de l'entourage de J. Ferry pose

ainsi dès la mise en place de la formation les étudiantes de l'école comme « capables de

s'intéresser à la vie nationale » et les traitent comme de potentielles « citoyennes dignes

d'influer sur les destinées du pays par leur action réfléchie », comme le souligne

Huguette Delavault, présidente de l'Amicale des anciennes élèves en 198667. Et les

témoignages d'anciennes recoupent largement ce constat du caractère relativement

libéral du régime alors mis en place tel qu'il se dessine dans les discours des fondateurs

de l'école. Cet esprit particulier s'installe d'ailleurs dans la durée, largement après le

départ du directeur F. Pécaut, ainsi que cela transparaı̂t dans les souvenirs d'une

ancienne « littéraire » géographe de la promotion de 1924 (Peltot, 1994). Comme le

remarque cette fontenaisienne, « pour l'époque » où, bien qu'en possession de leurs

droits civils, ces jeunes femmes étaient toujours privées du droit de vote, l'organisation

et l'ambition des études tant au niveau des sorties culturelles que de l'émulation

intellectuelle rompent avec les régimes d'études alors réservés aux étudiantes

poursuivant leur scolarité au-delà du cadre obligatoire. Qu'on en juge par la qualité des

rencontres permises par le suivi du cursus au sein de l'école : Léon Blum, Marcel Déat,

Jacques Doriot ou Charles Gides, autant d'hommes politiques, de journalistes ou

d'intellectuels au coeur de l'actualité de leur époque.

(1924, L, FT) « J'entrai en octobre 1924 dans cette école de grand renom parmi le monde

enseignant. Reçue au concours littéraire, je quittai pour la section Histoire et Géographie et, ces

deux années, je garde un excellent souvenir. [...] Pendant ces deux années, la Rive Gauche fut

notre terrain de prédilection. Sur la rive droite ne nous attiraient – le dimanche – théâtre et

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Bulletin de l’Association Amicale des Anciennes Elèves de l’ENS de Fontenay-aux-Roses, n°127, Novembre

1986, p.6/15.

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musée. Le "Vieux Colombier" venait, je crois, de fermer ses portes, mais j'ai pu voir et applaudir

Louis Jouvet dans Knock et, au pied de Montmartre une pièce (traduite) de Ben Johnson "la

femme silencieuse". Mais les théâtres de boulevard étaient chers pour nos bourses et nous

préférions aller à la Comédie-Française où nous disposions d'une loge gratuite (en matinée)

avec les Sévriennes » (Peltot, 1994, p.247).

« Nos collègues de la rue d'Ulm organisaient des réunions hebdomadaires, d'abord à la

brasserie Steinbach (boulevard Saint-Michel) puis aux Deux Magots, sur des sujets sociaux ou

politiques. Les conférenciers étaient généralement des "archicubes" (anciens élèves de cette

grande école et qui avait accepté de venir "plancher" pour leurs cadets). Ces réunions m'ont

permis de voir de près et d'entendre Léon Blum – orateur prestigieux-, Marcel Déat, Doriot mais

aussi Marc Sangnier (qui je crois n'était pas élève de l'école) et Charles Gide » (Peltot, 1994,

p.247).

« Nos cours étaient assurés par des professeurs de la Sorbonne ou de Louis-le-Grand assistés par

des dames professeures – répétitrices qui étaient d'anciens professeurs d'école normale

primaire. [...] Mademoiselle Grauvogel, notre directrice, organisa une longue série de

conférences sur l'Histoire des religions, confiée à un très érudit et très brillant professeur :

Albert Bayet. Sa culture était prodigieuse mais ses exposés étaient un peu "orientés", teintés

d'une touche d'anticléricalisme [...] » (Peltot, 1994, 248).

A regarder de plus près le nombre d’écoles primaires ouvertes à la suite de la

création de l’école (82 écoles en 1887, soit quatre fois plus que dix ans plus tôt)

(Oulhiou, 1981, p.136), il semble que les fontenaisiennes aient donné une « impulsion »

importante à l’enseignement féminin en général. Une fois en poste, elles constituent le

vecteur d’un enseignement de qualité et des valeurs de libertés et d’égalité en tant que

citoyennes pour l’ensemble des institutrices puis de leurs élèves, même si la condition

d’institutrice, et plus généralement d’enseignante, reste très dure pour ces femmes

souvent contraintes de par leur charge professionnelle à l’isolement et au célibat,

caractéristiques qui les rendent objet de toutes les suspicions aux yeux des populations

des villages et des villes où elles étaient nommées (Cacouault-Bitaud, 1999).

Déjà se dessinent les limites de l’impact du rôle émancipateur, non négligeable à

notre sens, joué par cette ENS, une fois les filles sorties de l’enceinte protectrice de

l’école. Et au nombre de ces freins à l’ascension des primaires d’élite des deux sexes, l’un

des plus puissants est sans doute la réaffirmation du primat de l’objectif de formation

« pédagogique » des deux écoles.

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3.2 Fontenay-aux-Roses et Saint-Cloud, des ENS

« pédagogiques » ?

Suite à l'euphorie des premiers temps, les élèves des deux écoles sont très vite

rappelé·e·s à l'ordre social dominant. A Fontenay en particulier, l'évolution du contenu

même des enseignements les invitent à « raison garder » quant à leurs ambitions

intellectuelles ou professionnelles. Mais c'est surtout une fois sortis de l'école que les

« primaires d'élite » se heurtent à d'importants obstacles, qui freinent la course des

meilleurs d'entre eux vers les niveaux secondaire et supérieur du système

d'enseignement. Comme le reconnaı̂t ce cloutier scientifique de la promotion de 1932, la

mise en place des EPS, des EN et des cours complémentaires, préparatoires aux ENS

primaires peut être considérée comme « un progrès incontestable à l'époque,

permettant la promotion des meilleurs éléments des classes populaires ». Mais « elle fut

aussi, hélas, un enseignement au rabais privilégiant l'adaptation aux nouvelles fonctions

sociales [d'instituteurs mais aussi d'agents des PTT ou d'agent des impôts] [...] à une

formation générale solide désirée par beaucoup d'autres68 ».

C'est que, dans le cas des cloutiers et des fontenaisiennes, le système scolaire et le

marché du travail qui s'offrent à eux entretiennent alors des relations très serrées.

Reproduction scolaire et reproduction sociale travaillent ensemble pour rendre

hermétique aux « incapables » et « prétentieux » primaires (Isambert-Jamati, 1985) les

voies du professorat secondaire ou supérieur destinés aux enfants de la bourgeoisie

ayant fréquenté le lycée. Comme le remarque G. Vincent, « la fonction première du

primaire supérieur [dont sont issus les cloutiers et fontenaisiennes] serait donc celle-ci :

diriger les enfants de la fraction relativement aisée des classes populaires vers un type

d'établissement où ils recevront un enseignement analogue à celui que reçoivent, dans

les « cours spéciaux », les enfants de la bourgeoisie, mais dont ils sortiront employés et

contremaı̂tres. Il ne s'agit pas seulement, pour la bourgeoisie, de conserver des signes de

distinction, mais de maintenir, par l'organisation scolaire, la division sociale du travail

[...]» (Vincent, 1972, p.74). A cette remarque, on pourrait ajouter que, parallèlement,

l'une des fonctions de l'enseignement féminin a alors lui aussi été de maintenir les

jeunes femmes à l'écart des secteurs professionnels prestigieux, comme le montre

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Bulletin de l'Association Amicale des Elèves et Anciens Elèves des Écoles normales supérieures de Lyon,

Fontenay-aux-Roses, Saint-Cloud et Fontenay/Saint-Cloud, n°1, 2001, p.28.

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l'analyse de l'alignement tardif du cursus féminin secondaire sur le cursus masculin

secondaire, effectuée par R. Rogers (Rogers, 2004).

Cette distinction de vocation professionnelle des différents types d'enseignement

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