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180 François Thamalas, agrégé d'Histoire devant la « Commission Ribot » mise en place en 1899 pour remédier aux problèmes alors rencontrés par le secondaire public, dont les effectifs connaissent une importante baisse au

Dans le document Des cheminements sur la voie royale (Page 173-176)

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• Avis d'orage sur la triplice ENS-Agrégation-Facultés

Dans le même temps, entre 1960 et la fin des années 1980, se met en place une

série de métamorphoses du système français d'enseignement supérieur, et avec lui de

l'accès aux professions de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui vont

bouleverser l'équilibre de la la « triplice » existant depuis la fin du XIXème siècle entre

EGcole normale supérieur (d'Ulm dans en premier temps), Agrégation et Facultés

(Verneuil, 2005, p.82).

Afin de mieux saisir ces bouleversements, il nous faut revenir sur l'histoire des

relations entre ENS, Agrégation et Facultés, informée elle aussi par « l'ambiguı̈té

pédagogique » de la formation des ENS. Dès la fin des années 1870, l'ENS d'Ulm s'était

vu ôter pour partie ses prérogatives en matière de préparation à l'Agrégation qui lui

revenaient depuis la Monarchie de juillet. En effet, avec l'instauration des bourses de

Licence (1877) et des bourses d'Agrégation (1880), les autorités républicaines avaient

entrepris de confier aux facultés de Lettres et de Sciences jusqu'alors moribondes, la

formation des futur·e·s enseignant·e·s du secondaire. En donnant aux professeurs de

l'Université des étudiants de premiers choix, en créant le corps des maı̂tres de

conférence destiné à multiplier les heures de cours en déchargeant les professeurs

(Mayeur, 1985) et en dotant les facultés de budgets conséquents pour créer

bibliothèques et laboratoires, les réformateurs entendaient re-vivifier l'enseignement

supérieur français (Karady, 1985). Que faire dès lors des normaliens ? l’EGcole ne

constituait-elle pas dans ces conditions un doublon avec l'université de la Sorbonne ?

Selon certains observateurs, cette réforme aurait dû signer le glas de l’EGcole qui se

retrouvait alors « [sans] raison d'être, puisqu'on arriv[ait] à l'Agrégation de tous les

côtés » et soupçonnée, dans ces conditions, de ne contribuer qu'à créer « une caste,

parfois gênante, dans l'Université180 ». Ces revendications récurrentes des personnalités

critiques vis-à-vis de l’EGcole aboutiront à la réforme de 1903 qui rattache l'ENS à

l'université de Paris. Cette même réforme fait perdre à la prestigieuse école ses

180

François Thamalas, agrégé d'Histoire devant la « Commission Ribot » mise en place en 1899 pour remédier

aux problèmes alors rencontrés par le secondaire public, dont les effectifs connaissent une importante baisse au

cours des années 1890. Une série de propositions seront alors formulées, dont une partie seront reprises par la

réforme de l'ENS du 10 novembre 1903. Cité par ABERTINI Pierre. 1994. « La réforme de 1903, un assassinat

manqué ? ». In SIRINELLI Jean-François. Écoles normale supérieure. Le livre du Bicentenaire. Paris, PUF,

p.36.

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professeurs et maı̂tres de conférences attitrés, transférés pour la plupart à la Sorbonne.

Les cours de préparation à l'Agrégation ont quand même lieu à Ulm, mais dans leur

immense majorité, ils ne sont plus réservés aux seuls normaliens. Les étudiants

agrégatifs de la Sorbonne peuvent aussi y assister. Les normaliens conservent

néanmoins certains cours en effectif plus réduit, des « exercices pratiques », encadrés

par des « agrégés-répétiteurs », ou caı̈mans dans le langage normalien, qui leur

confèrent toujours un avantage sur les étudiants « libres » (Sirinelli, 1988, p.150-151).

Malgré la tentative « d'assassinat manqué » (Albertini, 1994) que constitue à

certains égards la réforme de 1903, l’EGcole conservera son fonctionnement propre quant

à la sélection et à l'organisation de ses cursus. Cette période d'importantes réformes qui

touche l'enseignement supérieur français à la fin du XIXème siècle marque un tournant

crucial pour l'ENS d'Ulm. En dissociant la préparation à l'Agrégation de la scolarité de

l’EGcole tout en maintenant un statut différent des universités, les autorités ont

quasiment de fait orienté les desseins professionnels des normaliens vers

l'enseignement supérieur. Parallèlement, la rénovation de l'enseignement supérieur

français et de ses facultés à partir des années 1880 qui a en partie privé l’EGcole de ses

prérogatives traditionnelles va venir constituer un débouché de choix pour les élèves de

la rue d'Ulm. Qui d'autres que les normaliens d'Ulm seraient d'ailleurs plus désignés

pour venir occuper ces postes ? Certes les ambitions des normaliens quant à

l’enseignement supérieur sont antérieures aux années 1880. L. Pasteur, alors Directeur

de l'EGcole n'avait-il pas déclaré dès 1858 qu'il souhaitait que l'EGcole devienne « une

pépinière toute naturelle pour l'enseignement supérieur » (Hulin, 1994, p.327). Mais la

« renaissance » de l'Université de Sciences et de Lettres qui s'opère à la fin du XIXème

siècle, couplé à l'abolition du monopole de la préparation à l'Agrégation qui désolidarise

partiellement l’EGcole de l'enseignement secondaire semble avoir largement accentué et

institutionnalisé cette métamorphose, ainsi que le souligne le directeur de l'ENS G.

Lanson en 1921 : « depuis la renaissance de l'Université, l'EGcole est fatalement devenue

une EGcole préparatoire à l'enseignement supérieur en même temps qu'à l'enseignement

secondaire181. » De fait, même s'ils continuent dans leur écrasante majorité à préparer et

réussir l'Agrégation, comme c'est le cas de 90% d'entre eux entrés dans la période

181

Cité par HULIN, N., 1994, « La section des sciences de l’Écoles normale supérieure. Quelques jalons de son

Histoire. » In SIRINELLI Jean-François. Écoles normale supérieure : Le livre du bicentenaire. Paris : Presses

universitaires de France, p.337.

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1907 (Hulin, 1994, p.328), les normaliens scientifiques comme littéraires ont de plus en

plus tendance à délaisser le secondaire pour se tourner vers le supérieur182. On compte

ainsi entre 1930 et 1939 près de 44% des normaliens en activité qui ont fait carrière à

l'Université (Andler, 1994, p.368). Avant d'atteindre les trente ans, c'est un tiers des

ulmiens littéraires du début des années 1920 qui se retrouvent, très précocement pour

l'époque, à déjà enseigner dans le supérieur (Sirinelli, 1988, p.161). Au « duplice »

initialement mis en place par la Monarchie de juillet entre l'ENS d'Ulm et le concours de

l'Agrégation se substitue un « triplice » Ulm-Agrégation-Facultés suite aux réformes de

1877-1880 (Sirinelli, 1988, p.150-151).

Différentes raisons peuvent expliquer la place importante que les

normalien·ne·s-agrégé·e·s ont prise dans les rangs des enseignants du supérieur, qui ont trait à certains

avantages de la formation des normaliens quant à la préparation du doctorat, mais

surtout à l'adéquation entre les cursus des normalien·ne·s-agrégé·e·s et l'organisation

facultaire de l'Université française. Premièrement donc, les élèves de l'EGcole bénéficie de

possibilités particulières pour mener à bien un doctorat, qui à la faveur de la

« renaissance de l'Université » est devenu un travail de longue haleine demandant une

forte implication personnelle et temporelle (Verneuil, 2005, p.82). Les anciens élèves

sont bien souvent reçus dans les premiers rangs de l'Agrégation, « à la fois "voie royale"

de l'enseignement secondaire et porte d'entrée éventuelle du supérieur » (Sirinelli,

1988, p.141). Mais le concours de l'Agrégation, s'il continue à constituer un passage

quasiment obligé pour l'enseignement en Lettres notamment, n'est plus suffisant pour

accéder au supérieur. C'est le doctorat qui s'est affirmé depuis les rénovations de la fin

des années 1870 comme le diplôme permettant d'enseigner dans les facultés, et

spécialement en Sciences et en Lettres qui ne disposent pas d'une Agrégation du

supérieur comme le Droit ou la Médecine pour sélectionner leurs professeurs (Karady,

1985). Et sur ce point, les ulmiens bénéficient aussi d'avantages non négligeables. En

effet, la précocité de l'accès à l'enseignement supérieur chez les normaliens s'explique

aussi pour J.-F. Sirinelli par le fait qu'ils peuvent bénéficier d'accès privilégiés dans des

institutions particulières (EGcole française de Rome, EGcole française d'Athènes, Fondation

Thiers notamment pour les littéraires), ou du système des « caı̈mans » qui permettent de

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Une part réduite d'entre eux se tourne vers des domaines extérieurs à l'enseignement (17% des normaliens

inscrits dans l'Annuaire de la Société de secours des anciens normaliens de 1934 consulté par J.-F. Sirinelli

(Sirinelli, 1988, p.159)).

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contourner la difficulté que représente l'absence de postes d'assistanat dans les facultés

françaises. Les anciens élèves peuvent de la sorte préparer un doctorat dans de

meilleures conditions que nombre d'autres candidats, qui cumulent généralement le

travail de doctorat avec un travail de professorat dans le secondaire (Sirinelli, 1988,

p.162).

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