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Modulation nutritionnelle du microbiote intestinal 6.2

Dans le document Actualité du microbiote intestinal (Page 139-144)

6.2.1 Influence du régime alimentaire

Le régime alimentaire est un sujet d'intérêt très important dans les programmes de recherche internationaux en raison de son potentiel de modulation du microbiote intestinal de l'hôte, qu'il soit bénéfique ou néfaste. Les habitudes alimentaires ont un impact important sur la composition du microbiote intestinal, notamment dans les premières années de la vie.

Par exemple, la composition du microbiote fécal diffère entre les enfants ayant eu une alimentation par allaitement maternel et ceux ayant eu du lait infantile, avec notamment plus de bactéries lactiques et de Bifidobactéries chez les bébés allaités de lait maternel au sein.

Cependant, lorsque des régimes plus complexes sont comparés par des approches de culture in vitro, comme par exemple le régime à l'occidentale dit « Western Diet », plus riche en graisses, et le régime à l'orientale plus riche en fibres, peu de genres bactériens du microbiote intestinal varient. De même, seules quelques différences sont observées entre la composition bactérienne de sujets omnivores et celle de végétariens. D‘autres études au niveau du côlon distal ont montré des profils de production d‘acides gras à chaines courtes différents entre les végétariens et les omnivores. Néanmoins à ce niveau, ces différences témoignent plus d'un changement fonctionnel que d'un changement dans la composition du microbiote.

Il semble en réalité que le régime alimentaire puisse apporter des changements importants et durables dans la composition du microbiote, d‘avantage au niveau de l'iléon que du côlon, bien que cette supposition s‘appuie sur des patients iléostomisés [68].

Dans le cadre des maladies métaboliques, il a été montré que le régime pouvait influer sur l'abondance de grandes divisions bactériennes du microbiote intestinal. Des patients obèses qui ont subi soit un régime restreint en graisses soit un régime restreint en sucres pendant une année ont montré une augmentation prononcée des Bacteroidetes accompagnée d‘une chute des Firmicutes [69]. Cependant, le lien entre ce rapport Firmicutes/Bacteroidetes et l‘obésité n'a pas été redémontré dans les études qui ont suivi [70, 71]. Une autre étude a constaté que les souriceaux avaient classiquement un corps constitué de 40 % de matières

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grasses supplémentaire, et 47 % de matières grasses gonadiques supplémentaire que les souris sans germe, même s‘ils consommaient moins de nourriture que leurs homologues sans germe.

Le microbiote du côlon distal de la souris normale a ensuite été transplanté dans les souris sans germe, produisant une augmentation de 60 % de gras corporel dans les deux semaines, sans aucune augmentation de la consommation d'aliments ni de différences évidentes dans les dépenses d'énergie.

Ce résultat confirme l'hypothèse que le microbiote intestinal module la quantité d'énergie extraite de l'alimentation. L'augmentation de la masse grasse a été accompagnée d‘une résistance à l'insuline, d‘une hypertrophie des adipocytes, et d‘un niveau accru de diffusionde la leptine et du glucose [72]. Pour élucider les mécanismes potentiels sous-jacents, ces chercheurs ont montré que le microbiote intestinal favorisait l'absorption des monosaccharides dans l'intestin et induisait la lipogenèse hépatique chez l'hôte.

Enfin, par l'utilisation de souris génétiquement modifiées pour le facteur inducteur adipocytaire rapide FIAF (Fast-Induced Adipocyte Factor), ils ont démontré que le microbiote intestinal pouvait inhiber le facteur FIAF, également connu comme étant une angiopoïétine de type IV. FIAF inhibe l'activité de la lipoprotéine lipase, qui catalyse la libération d'acides gras à partir de lipoprotéines associées aux triglycérides, qui sont ensuite repris par le muscle et le tissu adipeux. Dans l'étude, la protéine FIAF a entraîné la suppression de l'activité de la lipoprotéine lipase dans les adipocytes et le stockage des calories sous forme de graisse, entraînant l‘équipe de J. L. Gordon à postuler que la régulation énergétique par le microbiote intestinal se fait par un certain nombre de mécanismes interdépendants [73].

Ces mécanismes comprennent la fermentation bactérienne des polyosides non digestibles, l'absorption intestinale des monosaccharides et des acides gras à chaines courtes convertis ultérieurement en graisse dans le foie, ainsi que la régulation des gènes de l'hôte favorisant le dépôt de graisses dans les adipocytes [72]. L‘apport en fibres alimentaires peut engendrer un bénéfice aux individus ayant des syndromes métaboliques et des désordres gastro-intestinaux très variés. Les avantages d‘une prise importante de fibres ont été reportés chez des patients atteints de diabète, d‘hypercholestérolémie, d‘hypertriglycéridémie,

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Il a également été rapporté que les individus ayant un apport important en fibres sont moins sensibles au développement des maladies cardiovasculaires ou du cancer du côlon [75, 76].

De même, les régimes avec un apport important en graisses et en protéines, mais de faible teneur en fibres, sont associés à un risque plus important de développer un cancer du côlon, contrairement aux régimes végétariens ou orientaux ayant des apports en fibres plus importants [77].

De plus, des Japonais qui adopteraient un régime à l'occidentale développeraient plus fréquemment des cancers du côlon [78].

6.2.2 Microbiote intestinal humain et esthétique nutritionnelle

Le rôle majeur de l‘alimentation en santé est admis tant dans sa dimension nutritive que culturelle. La redécouverte du microbiote intestinal humain grâce au développement des techniques de séquençage apporte un éclairage nouveau sur ce monde bactérien essentiel, indispensable à l‘homéostasie et susceptible d‘être modulé par l‘alimentation.

Les conséquences physiologiques de ces modifications dépassent le cadre des maladies de l‘appareil digestif et métaboliques, et intéressent également les troubles de l‘humeur, du comportement et le domaine des sciences cognitives. Notre rapport à l‘alimentation pourrait ainsi évoluer sensiblement, en imaginant ce symbiote bactérien comme un partenaire incontournable, de composition variable selon l‘alimentation considérée, participant à la co-construction de l‘hôte.

La dimension esthétique des conditions de ce remodelage corporel nécessite une analyse spécifique in vivo et in vitro qui pourrait justifier une approche multidisciplinaire en complément. Cette réflexion laisse entrevoir une nouvelle dimension relationnelle entre les concepts d‘alimentation et de nutrition.

La redécouverte du microbiote intestinal et les espoirs thérapeutiques espérés en rapport avec sa modulation ont pu suggérer de considérer ce domaine comme un nouveau paradigme. La communication scientifique relayée par les médias a présenté le microbiote comme notre

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deuxième cerveau ou comme notre seconde réserve de gènes. Ainsi, l‘ancienne microflore intestinale évoquant un paysage bucolique, s‘est transformée en un organe majeur, capable de s‘adapter, susceptible de réguler les défenses immunitaires de l‘hôte et de communiquer voire de commander à son système nerveux. Le glissement anthropomorphique de la syntaxe associée au microbiote est en ce sens particulièrement éloquent. Une telle présentation émanant des experts ne saurait cependant résumer la signification du microbiote intestinal, de l‘alimentation et des mécanismes de digestion du point de vue du consommateur.

Les enquêtes alimentaires en France ont montré, en cinquante ans, une évolution de la conception instrumentale du corps en tant que machine fournissant un travail dépendant de l‘apport en énergie, vers une conception réflexive caractérisée par une esthétisation du regard porté sur le corps, conditionnée par une approche plus nutritionnelle que nourrissante et visant l‘équilibre alimentaire plus que l‘apport énergétique. L‘évolution de la valeur hiérarchique des aliments essentiels montre la tendance actuelle à considérer ce qui est bon ou mauvais pour le corps et la santé. L‘alimentation est traditionnellement associée à certaines caractéristiques :

 L‘aliment est une substance étrangère dont le potentiel bénéfique ou maléfique n‘est pas facile à cerner par l‘individu tenaillé entre le risque sanitaire et le plaisir gustatif ;

 Les limites physiques du soi sont délicates à envisager pour le tube digestif qui se définit comme ouvert sur l‘extérieur et l‘intérieur ;

 Le mécanisme de la digestion reste mystérieux et l‘imaginaire lié aux processus bactériens en action se résume à la putréfaction et à la formation des selles avec leur dimension nauséabonde et de déchets.

Il s‘agit bien là d‘une activité esthétique visant à recouvrer une beauté intérieure au sens du vrai, invisible mais agissante, participant au sentiment de bien-être, écartant de facto le besoin post-humaniste de mieux-être, mais permettant à l‘individu de retrouver sa place et d‗être au monde à nouveau[79].

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6.2.3 La nutrithérapie

« Nous sommes ce que nous mangeons », une affirmation qui nous vient d‘Hippocrate, celui que l‘on considère le père de la médecine. En réalité, nos habitudes alimentaires dévoilent souvent le plus profond de nous-mêmes. Il existe aussi un lien étroit entre l‘alimentation, le microbiote intestinal et la santé digestive, comme nous l‘avons vu précédemment, l'interaction entre le régime alimentaire et le microbiote intestinal est mutuel : tandis que le microbiote agit sur les nutriments digérés, l'alimentation à l'inverse a un impact majeur sur le système microbien intestinal. Ses activités métaboliques dépendent largement de la quantité et de la proportion de protéines et de glucides non digestibles atteignant les intestins. L‘alimentation est donc un élément clé pour préserver la santé gastro-intestinale car, en mangeant et en digérant, nous alimentons également notre microbiote intestinal et nous influençons donc sa diversité et sa composition. Si cet équilibre est perturbé, cela peut entraîner un certain nombre de troubles, y compris des troubles métaboliques, des affections abdominales inflammatoires et d'autres maladies à médiation immune. Un régime alimentaire équilibré est bénéfique car il soutient la formation et la conservation d'une communauté microbienne bien composée dans laquelle les différentes espèces de bactéries vivent dans un système de « contrôles et équilibres ».

La nutrithérapie est une discipline thérapeutique de choix à adopter en présence de certains états pathologiques, puisqu‘elle fait intervenir les principes d‘une alimentation saine, variée, naturelle et complète, combinés dans certains cas à des suppléments alimentaires visant à rétablir l‘équilibre physiologique et biochimique des différentes fonctions de l‘organisme. Les antioxydants alimentaires tels que le cacao, le café, le thé vert, les myrtilles et le curcumin ont été associés dans des études épidémiologiques à une croissance de

Lactobacille et de Bifidobactéria.

De part sa haute teneur en flavonoïdes, la consommation de jus d'orange frais associé à un repas riche en graisses et en sucres réduit significativement l'élévation du taux d'endotoxines circulantes en comparaison de l'eau et de l'eau sucrée. Ainsi, la consommation à long terme de miel (un aliment utilisé depuis l'âge Paléolithique) annule les effets du LPS et est associée avec l'augmentation des espèces de Lactobacille et Bifidobacterium dans le

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microbiote intestinal des animaux étudiés. La consommation de miel est également associée à une diminution des comportements anxieux et du déclin cognitif en comparaison à un régime sans sucre ou riche en sucrose [80].

Par ailleurs, il a été montré que la consommation de fruits, de légumes, de produits céréaliers complets et de fibres est associée à une réduction du risque de cancer colorectal (CCR) avec un niveau de preuve convaincant [81].

En effet, la consommation de céréales complètes est communément associée à des effets bénéfiques pour la santé. La couche extérieure des céréales contient des fibres et des composés bioactifs « polyphénols » qui pourraient agir sur le microbiote intestinal. Les scientifiques ont constaté une plus grande diversité du microbiote et une modulation de plusieurs familles bactériennes avec l‘apport de seigle complet : le ratio

Firmicutes/Bacteroidetes diminue parallèlement à une augmentation des proportions de Clostridium cluster IV et XIV, familles comportant des espèces bactériennes productrices de

butyrate [82]. D‘autres études ont confirmé qu‘il existe des constituants de l‘alimentation pourraient être intéressants dans la gestion de l‘écologie microbienne en relation avec l‘adiposité et les pathologies associées, c‘est le cas des fibres alimentaires ou prébiotiques alimentaires dont la consommation produit un changement rapide et profond en faveur des bactéries de type Bifidobacterium capables de réguler l‘appétit et réduire les risques d‘obésité, de diabète et de trouble cardiovasculaires [83].

Approche microbiologique

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