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CHAPITRE I : LE CARTILAGE

C. Modifications pathologiques du cartilage articulaire

Comme exposé précédemment, le cartilage articulaire est un tissu stable, qui a le potentiel, en conditions physiologiques, de résister aux modifications phénotypiques. Les chondrocytes sont des cellules quiescentes capable de produire continuellement la MEC environnante. Mais en conditions pathologiques (voir chapitre I, paragraphe D) des modifications du phénotype du chondrocyte articulaire peuvent avoir lieu associées ou non à leur minéralisation.

1 Perte du phénotype chondrocytaire

Les changements phénotypiques des chondrocytes sont essentiellement induits par les dérèglements ou la suppression de la PCM ou de la MEC. Les cellules sont affectées par

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des stimuli biomécaniques qui sont transférés de la matrice par des fonctions modulatrices directes ou par des composés matricielles spécifiques. Par exemple, la dégradation de produits (fragments) de fibronectine, sont connus pour induire des effets sévères de dégradation matricielle (Chapitre I, paragraphe D), (Homandberg et al., 1998).

Classiquement, les phénotypes chondrocytaires sont catégorisés selon le sous-type de collagène qu’ils expriment. Ainsi, les cellules chondroprogénitrices sont caractérisées par l’expression du procollagène de type IIA (COL2A). Les chondrocytes matures expriment les collagènes de types II classique (COL2B), IX et XI tout comme l’agrécane et les protéines de liaison. Les chondrocytes hypertrophiques sont marqués par l’expression du collagène de type X et les chondrocytes dédifférenciés par l’expression du collagène de type I et III.

a. Dédifférenciation

De nombreux facteurs comme l’acide rétinoïque, le bromodeoxyuridine et l’IL1β

induisent une « dédifférenciation » ou une modulation du phénotype chondrocytaire vers un phénotype de type fibroblastique.

Les chondrocytes arrêtent alors d’exprimer l’agrécane et les collagènes de types II, XI et IX mais restent des cellules très actives et expriment les collagènes de types I, III et V (Benya et al., 1978; von der Mark et al., 1977). Ces chondrocytes dédifférenciés produisent alors une MEC moins élastique composée de fibrocartilage (Tableau 1).

Un modèle in vitro de dédifférenciation chondrocytaire peut être obtenu pendant et

après le 4ème passage de culture influencée par de nombreux autres facteurs dont la densité cellulaire. Les chondrocytes perdent alors leur forme ronde pour devenir de plus en plus de type fibroblastique en développant un profil de synthèse non spécifique (Schulze-Tanzil, 2009).

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Dédifférenciation Diminution Augmentation Types de Collagènes II, IX, X, XVIII I, III, IV, XI

Protéoglycanes Agrécane, Fibromoduline,

chondroadhérine Versicane, décorine, biglycane

Glycoprotéines COMP, lubricine,

chondromoduline Fibronectine

Autres protéines

matricielles Protéines de liaison Protéines de signalisation et

facteurs de transcription Sox9, ERK1, ERK3

Récepteurs cellulaires I-CAM-1, V-CAM 1 CD90, CD166, CD44, CD10,

CD26, CD151, CD81

Intégrines α1 β1, β3, β5, αv, α2b, α3, α5

Protéases MMP-3, -9, -13

ADAMTS-4, -5 TIMP-2, -3

Cytokines, facteurs de

croissance IGF-I, VEGF, TGF-β2 IL-1, TGF-IGFBP3, TNF-R1 β3, TGF-β4, Cytosquelette Tensine, taline, paxiline,

FAK

Tableau 1 : Facteurs impliqués dans la dédifférenciation des chondrocytes (d'après Schulze-Tanzil, 2009). IGF-1, insulin-like growth factor-I, IGFBP3, insulin-like growth factor-binding protein 3, TNF-R1, tumor necrosis factor receptor 1, V-CAM-1, vascular cell adhesion

molecule.

La MAPK p38 jour un rôle dans la maintenance du statut différencié du chondrocyte articulaire et dans l’induction de l’apoptose du chondrocyte. P38 régule positivement la chondrogenèse alors que la voie de signalisation ERK fonctionne comme un régulateur négatif en induisant la dédifférenciation du chondrocyte (Figure 11) (Duan et al., 2015; Oh et al., 2000; Rottmar et al., 2014).

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Figure 11 : Illustration des différents événements moléculaires de la dédifférenciation des chondrocytes (d'après Duan et al., 2015). De nombreuses voies de signalisation sont activées

lorsque les chondrocytes sont stimulés par des facteurs cataboliques (IL-1β, IL-6, FGF18) et

des facteurs anaboliques (IGF-I, BMP-2, TGF-β). Les protéines MAPK, PI3K/AKT, WNT et

Notch régulent le ratio entre COL-2 et COL-1, un indicateur clé de la dédifférenciation chondrocytaire.

b. Hypertrophie

L’hypertrophie des chondrocytes est marquée par une augmentation de 10 fois du volume cellulaire, un remodelage matriciel et l’expression de marqueurs tardifs de différenciation (voir Chapitre I, paragraphe B).

Le cartilage articulaire hyalin est un tissu stable qui a le potentiel de résister à la différenciation hypertrophique et maintient son phénotype via BMP7, BAPX-1/NKX-3.2

et la balance SOX9/RUNX-2 mais ces mécanismes restent à éclaircir (Caron et al., 2015; Zhong et al., 2015).

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De nombreuses voies de signalisation sont impliquées dans la régulation des changements de type hypertrophique des chondrocytes. D’après la littérature récente, les voies de signalisation les plus impliquées sont les voies WNT, BMP/TGFβ, PTHrP, IHH, FGF, et IGF (Figure 12).

Du collagène de type X est alors déposé dans la MEC hypertrophique et sert de support pour la calcification ultérieure (voir paragraphe suivant).

2 Minéralisation

a. Processus de minéralisation et éléments minéraux

La minéralisation est le mécanisme par lequel les organismes vivants produisent des minéraux afin de durcir leurs tissus pour former des tissus minéralisés. Les Vertébrés produisent cinq tissus minéralisés différents : l’émail dentaire, la dentine, le cément, le cartilage calcifié et l’os.

Malgré une grande variété de cristaux de phosphate de calcium, le plus important est l’hydroxyapatite (HA), de formule Ca5(PO4)3(OH) (Golub, 2011).

La minéralisation du cartilage, des os et des dents a lieu par une série de processus biochimiques, physicochimiques, moléculaires et cellulaires qui facilitent le dépôt d’hydroxyapatite dans des zones spécifiques de la MEC. Des preuves expérimentales ont mis en évidence la présence de cristaux d’HA le long des fibrilles de collagène et au cœur du lumen des vésicules matricielles dérivées d’ostéoblastes ou de chondrocytes (Millán, 2013). La minéralisation précoce semble débuter dans les MVs, des organelles qui servent de site d’accumulation de Ca2+ et de Pi pour initier le dépôt de cristaux HA (Bessueille and Magne, 2015; Buchet et al., 2013). Dans un second temps, les membranes des MVs libèrent le HA formé dans le fluide extracellulaire, permettant la propagation du HA dans la MEC cartilagineuse (Ali et al., 1970; Anderson, 1995; Anderson et al., 1997, 2005a; Golub, 2009; Register et al., 1986).

b. Minéralisation physiologique et matrice extracellulaire

Il est aujourd’hui accepté que la matrice extracellulaire est responsable de la localisation des dépôts minéraux à travers les composés collagéniques.

IN TR ODUC TI O 44

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Figure 12 : Evènements moléculaires de l’hypertrophie des chondrocytes (d'après Studer et al., 2012). Ces voies de signalisation sont initiées par le TGFβ (zone grise), PTHrp/PTH

(zone jaune), Wnt (zone orange), l’interaction intégrine-β1 et collagène de type X (zone verte)

et les ions calcium (zone rose). Les principaux facteurs de transcription (boites réctangles) régulant l’hypertrophie sont Sox9, qui est responsable de l’expression du collagène de type II et l’agrécane, et Runx2 qui régule la transcription des gènes du collagène de type X, MMP13, VEGF et Ihh. Sox9 est capable d’inhiber Runx2 via Nkx3.2. MEF2C est proposé comme le principal régulateur de Runx2 via Dlx5/Dlx6. Nkx3.2 est induit par PTHrP et agit de façon synérgique avec Sox9 pour inhiber Runx2. Ihh entraine la dégradation de la protéine Nkx3.2. La couleur verte indique une voie de signalisation impliquée dans la suppresion et en bleu la promotion de l’hypertrophie. Les lignes pointillés représentent l’expression de gènes marqueurs. Le « P » représente la phosphorylation/déphosphorylation.

b1.Collagènes

Le résultat de la minéralisation de la matrice est le dépôt de petits cristaux dans les fibrilles de collagène, dans les zones clivées des structures de collagène (Chapitre I, paragraphe A-III-1). Il a été démontré que la structure des fibrilles de collagène en quinconce (Figure 13) peut être arrangée de sortes que les zones clivées soient alignées pour former un canal assez large pour loger des nanocristaux (Landis, 1999).

Le collagène de type I est considéré comme un centre de nucléation, c’est à dire l’endroit où la minéralisation commence et s’étend. Les minéraux peuvent alors se déposer à l’intérieur (dépôts intra-fibrillaires) ou à l’extérieur (dépôts inter-fibrillaires) des molécules de collagène I. Mais les mécanismes précis de la minéralisation restent encore à éclaircir.

b1.Protéoglycanes

La contribution des protéoglycanes dans la minéralisation est surtout étudiée dans la plaque de croissance. Des études ont montrés qu’in vitro, les protéoglycanes peuvent

inhiber les dépôts minéraux (Howell et al., 1969). In vivo, les résultats sont plus controversés.

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Figure 13 : Représentation de la minéralisation intrafibrillaire du collagène montrant l’organisation 2D et 3D, l’assemblage et la minéralisation initiale des molécules de collagène (Landis and Jacquet, 2013). Une simple molécule de collagène (en jaune) est représentée à gauche du diagramme, puis assemblée dans un agrégat 2D avec des espaces caractéristiques (40nm) et des zones de chevauchements (27nm). La création d’une molécule 3D a lieu dans un ordre précis, créant ainsi des canaux. Une fois la nucléation crée dans les zones clivées du collagène, les cristaux (en bleu) grandissent préférentiellement dans la direction des canaux.

De plus, des changements et un remodelage des protéoglycanes ont lieu pendant le processus de minéralisation. Avec l’augmentation du contenu en minéraux des tissus, les ratios de polysaccharides, chondroïtine sulfate et kératane sulfate augmentent dans la fraction protéoglycane. Une diminution des protéoglycanes a également été mis en évidence dans le cartilage calcifié (Howell and Carlson, 1968; Lohmander and Hjerpe, 1975).

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b2.Vésicules matricielles

Le terme de MV représente de petits corps sphériques (20-200nm) observés dans les étapes de pré-minéralisation de la dentine, du cartilage et de l’os. Elles sont entourées d’une double-couche lipidique et sont souvent associées avec de petits cristaux de calcium de phosphate.

Les MVs bourgeonnent à partir de la membrane plasmique des cellules formant les minéraux comme par exemple les chondrocytes, les ostéoblastes ou les odontoblastes, et sont orientés de façon à ce que la face extérieure de la MV soit la même que la membrane mère. Les principaux composants des MVs sont différents de leur membrane d’origine et sont résumés dans le tableau 2. Les MVs sont particulièrement enrichies en TNAP, ENPP1 (Ectonucleotide Pyrophosphatase/Phosphodiesterase 1), annexines et phosphatidyl-sérine.

Composants majeurs des vésicules matricielles (MVs)

Enzymes : MMP2 Pit 1, 2 phosphatidylcholine

TNAP MMP3 Autres protéines : phosphatidyléthanolamine

Phospho-1 MMP13 Intégrines β1, β5, αV, α11, α1, α3

Phosphatidylinositol Na/K ATPase Protéines de

transport :

Lipides : phosphatidylsérine

NPP1 Annexines

5,2,6,11,4,1,7

Acides gras libres

Tableau 2 : Composants majeurs des vésicules matricielles (MVs) (Golub, 2011). Les MVs sont significativement enrichies en phosphatase alcaline tissu-non-spécifique (TNAP) et phosphatidylsérine par rapport à la membrane plasmique. D’autres composants sont importants comme les annéxines, les phosphodiéstérasse nucléotide pyrophosphatasse (NPP1), les co-transporteurs Pit1,2 et la phosphoethanolamine/phosphocholine phosphatase (Phospho1), une phosphatase hautement spécifique pour la phosphocholine et le phosphoéthanolamine.

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Les MVs contiennent aussi des MMPS et des études protéomiques plus récentes ont mis en évidence que les MVs isolés du cartilage contiennent également des protéines se liant aux protéoglycanes et à l’actine, des intégrines et PHOSPHO-1, une phosphatase hautement spécifique pour la phosphocholine et le phosphoéthanolamine. De façon intéressante, cette composition est modifiée au cours de pathologies comme l’arthrose (voir chapitre I, paragraphe D).

Il est connu que les MV jouent un rôle dans la calcification du cartilage et l’os mais la nature exact de leur rôle n’est pas encore clair. Le consensus émergent met en évidence le rôle important des enzymes des MVs dont TNAP et ENPP1 en lien avec ANK et le PPi (voir Chapitre II) en régulant le déroulement de la calcification (Golub, 2009).

c. Molécules impliquées

La minéralisation a été proposée comme régulée par de nombreuses protéines extracellulaires (Figure 14) retrouvées dans la matrice du cartilage et de l’os. Pendant les étapes précoces de la minéralisation, de nombreux ligands se liant aux intégrines (SIBLING) sont surexprimés dont BSP, MEPE (matrix extracellulaire phosphoglycoprotein), DMP1 (dentin matrix protein 1), DSPP (dentin sialophosphoprotein) et l’ostéopontine (OPN) (van de Lest and Vaandrager, 2007).

Le Pi extracellulaire est l’élément pro-minéralisant le plus puissant, sa présence dans la MEC permet la formation des cristaux d’hydroxyapatite. Le phosphate extracellulaire et intracellulaire est produit et régulé par une machinerie complexe décrite plus tard (chapitre II).

Une augmentation de la concentration en Pi est retrouvée dans la zone hypertrophique de la plaque de croissance et sous les surfaces minérales des ostéoblastes (Beck, 2003) et peut d’ailleurs induire la maturation et la minéralisation des chondrocytes (D Magne, 2003; Mansfield et al., 2001).

De plus, le Pi n’est pas seulement le composant de l’hydroxyapatite, il peut agir comme une molécule de signalisation et affecter l’expression génique (Julien et al., 2009; Khoshniat et al., 2011a). Le Pi est connu pour induire l’expression de certaines protéines impliquées dans la minéralisation comme l’OPN (Beck, 2003).

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Dans les ostéoblastes/ostéocytes, MEPE régule négativement le Pi via FGF23 et PHEX.

L’augmentation de Pi stimule l’expression de protéines comme BSP et SPARC qui vont initier la minéralisation autour des fibres de collagène de type I par liaison du Ca et Pi. La propagation de la minéralisation est négativement régulé par la l’OPN phosphorylée et DMP1.

Le pyrophosphate inorganique ou PPi (thème du chapitre II) est capable d’inhiber la minéralisation en se liant directement aux minéraux et en arrêtant la progression des cristaux (Fleisch et al., 1966), par la surexpression de l’ostéopontine via les voies ERK et p38 (Addison et al., 2007). Une réduction des niveaux de PPi provoque une minéralisation ectopique.

Enfin, de nombreux facteurs anti-minéralisant locaux ou systémiques ont été décrits comme par exemple la fetuin-A, MGP et Ank.