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CHAPITRE I : LE CARTILAGE

B. Chondrogenèse, marqueurs et facteurs de transcription

A part pour la formation des os de la voute crânienne, de la mâchoire et de la clavicule (qui a lieu par le processus d’ossification intramembranaire), le squelette des Vertébrés est formé par le processus d’ossification endochondrale. Pendant ce processus, chaque élément du squelette est d’abord mis en place à partir de progéniteurs mésenchymateux

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permettant la formation de cartilage qui sera remplacé par de l’os après une différenciation hypertrophique.

Le cartilage articulaire hyalin adulte est un tissu stable qui a le potentiel de résister à la différenciation hypertrophique et de maintenir son phénotype mais en conditions pathologiques, comme lors de l’arthrose (Chapitre I, Paragraphe D), cet équilibre est rompu et le cartilage articulaire peut récapituler les événements de la différenciation endochondrale.

1 Chondrogenèse et facteurs de transcription

Pendant les étapes du développement, le mécanisme de chondrogenèse donne naissance au cartilage et à de nombreux tissus du squelette via la différenciation de cellules

souches mésenchymateuses provenant des crêtes neurales, des somites et de la plaque latérale du mésoderme. La différenciation et la maturation de ces chondroprogéniteurs dans la plaque de croissance est une étape essentielle pour la formation du squelette des os longs par un mécanisme d’ossification endochondrale qui met en place une structure cartilagineuse qui sera remplacée entièrement par du tissu osseux à l’exception du cartilage articulaire (Figure 7).

La chondrogenèse est initiée par une prolifération locale des cellules mésenchymateuses provoquée par de nombreux facteurs de croissance et de morphogenèse appartenant aux familles des Wnt, du Transforming-Growth Factor (TGF) et du Fibroblast Growth Factor (FGF). L’agrégation et la condensation de ces cellules sont possibles grâce à des interactions cellules-cellules et des interactions avec la matrice via la fibronectine, les

protéoglycanes ou encore les collagènes. A ce stade de différenciation, les cellules mésenchymateuses produisent une matrice extracellulaire riche en collagène de type I, en tenascine et fibronectine (Magne et al., 2005).

La première étape de différenciation cellulaire se caractérise par le dépôt d’une matrice contenant les collagènes II, IX, XI et des agrécanes. Ces chondrocytes immatures vont alors subir une différenciation terminale en se transformant successivement en chondrocytes préhypertrophiques puis hypertrophiques (Kozhemyakina et al., 2015).

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Figure 7: Les différentes étapes de la chondrogenèse (Ovalle and Nahirney, 2013). La chondrogenèse commence par une condensation des cellules mésenchymateuses suivie par une phase de chondrogenèse au cours de laquelle les cellules prolifèrent (zone de prolifération – ZP) et expriment du collagène de type II puis une différenciation hypertrophique (zone de maturation et d’hypertrophie – ZM) au cours de laquelle les chondrocytes expriment le collagène de type X. Enfin la plaque de croissance subit une invasion vasculaire permettant le dépôt des cellules ostéoprogénitrices à la base de la formation osseuse. On peut alors distinguer une zone de calcification provisoire (PC) et enfin une zone d’ossification (ZO).

La phase hypertrophique est caractérisée par une augmentation du volume des chondrocytes et par l’expression de marqueurs spécifiques comme le collagène X, la phosphatase alcaline (ALP) et MMP13 en fin de différenciation. Cette dernière dégrade

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la matrice et permet notamment la libération du Vascular Endothelial Growth Factor (VEGF) synthétisé par les cellules hypertrophiques qui entrent rapidement en apoptose. Le VEGF induit l’invasion vasculaire du tissu, et le recrutement d’ostéoblastes puis d’ostéoclastes responsables de la formation du tissu osseux au sein de la plaque de croissance.

Les étapes initiales de la chondrogenèse sont principalement régulées par l’activité transcriptionnelle du facteur de transcription Sox9 (Figure 8) à domaine HMG, qui se dimèrise avec deux autres membres de la même famille, Sox5 et Sox6 pour induire l’expression du gène de la collagène II (Col2a1) et d’autres protéines spécifiques de la matrice cartilagineuse des chondrocytes immatures (Coll IX et agrécanes).

Figure 8 : Expression des protéines et des facteurs impliqués dans la chondrogenèse (Vinatier et al., 2009). Différents facteurs sont exprimés au cours de la chondrogenèse permettant de distinguer les différentes phases : la condensation des cellules souches

mésenchymateuses (TGFβ, FGF2, Wnt3A, Sox9), la différenciation chondrogénique précoce

(IGF-1, FGF2, BMP2,4,7, Sox9,5,6 ) et terminale (FGF 9,18, BMP2-7, PTHrP, Runx2) et

l’invasion vasculaire (VEGF, FGF2, β-caténine) ainsi que la calcification matricielle (Runx2,

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Au contraire, le facteur de transcription Runx-2 exprimé dans les chondrocytes préhypertrophiques et hypertrophiques du tissu cartilagineux régule les phases tardives de la chondrogenèse. C’est un régulateur positif permettant la maturation des chondrocytes vers le phénotype terminal hypertrophique (Hashimoto et al., 2008).

L’expression de ces facteurs de transcription est intimement régulée en amont par une combinaison de facteurs de signalisation incluant les BMPs, les Wnts ou encore PTHrP (parathyroid-hormone-related protein) et Ihh (Indian hedgehog) (Figure 8).

2 Facteurs de croissance et cartilage

Les événements moléculaires qui régulent la différenciation des cellules mésenchymateuses en chondrocytes sont encore inconnus. Mais de nombreuses molécules de signalisation sont nécessaires pour l’induction du processus comme les Wnt, Sonic hedgehog (shh), les Bone Morphogenetic protein (BMP), Nkx3.2 ou encore les FGFs. Dans ce chapitre, seuls les rôles du TGF-β, de l’insuline et de l’IGF seront détaillés.

a. Le TGF-β

Le TGF-β appartient à une grande famille de cytokines qui incluent les BMPs. Le TGF-β

agit essentiellement via le récepteur de type I ALK5 (activin receptor-like kinases), les

BMPs via ALK1, -2, -3 et -6. Sous l’activation du récepteur I, une signalisation

intracellulaire est initiée par la phosphorylation des protéines Smads. Alors que ALK5 stimule la phosphorylation des Smad2/3, ALK1, -2, -3 et -6 permettent l’activation des Smad1/5/8. Il a été mis en évidence que ces deux voies de signalisation contrôlent la différenciation chondrocytaire.

Le TGF-β est impliqué dans toutes les phases de la chondrogenèse, de la condensation à la différenciation terminale. Le TGF-β semble même être l’initiateur principal de la chondrogenèse de ces cellules. Dans les stades précoces de la différenciation des chondrocytes, il agit comme un stimulateur de la progression de la différenciation. Néanmoins, son rôle est différent dans les stades tardifs de la différenciation, où il

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bloque la différenciation terminale des chondrocytes notamment en empêchant l’expression du marqueur collagène X via la voie Smad2/3.

Le TGF-β est également capable de promouvoir l’apport en eCa2+ permettant ainsi de potentialiser les voies de signalisation ERK1/2 et PKC afin d’activer le promoteur de Ank (Progressive ankylosis protein) et la production de PPi dans le chondrocyte, voir Chapitre II (Cailotto et al., 2011a).

b. Insuline et IGF

b1.Signalisation de l’insuline et cartilage

L’insuline joue un rôle essentiel dans le contrôle de l’homéostasie énergétique mais également un rôle de facteur de croissance, stimulant la croissance cellulaire. Le récepteur de l’insuline (IR) est une protéine exprimée sur la plupart des cellules comme dans les chondrocytes humains primaires (Claassen et al., 2011).

Le récepteur de l’insuline appartient à la famille des récepteurs aux facteurs de croissance, possédant un domaine tyrosine kinase intracellulaire.

L’activation de son domaine kinase permet la phosphorylation de ses substrats intracellulaires notamment les protéines de la famille IRS, première étape des voies de signalisation de l’insuline. L’insuline active deux voies majoritaires, la voie PI3K et la voie Ras-MAPK, impliqués respectivement dans les effets métaboliques et mitogéniques de l’hormone. Ces voies mettent en jeu l’activation de protéines sérine-thréonine kinases comme PDK1, Akt et ERK1/2 et des lipides kinases (PI3K) (Figure 9).

L’insuline exerce un effet important sur la différenciation des cellules précurseurs du cartilage en chondroblastes et chondrocytes dans la plaque de croissance. Il exerce également un effet stimulateur direct sur la synthèse de la MEC. Des chondrocytes articulaires montrent une augmentation de la production de protéoglycanes quand ils sont en contact de l’insuline (Maor et al., 1993). L’administration d’insuline augmente également significativement la synthèse de collagène de type II par les chondrocytes articulaires (Claassen et al., 2006a).

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Figure 9 : Voies de signalisation principales de l’insuline (Capeau, 2003) : voies PI3K et MAPK. Les protéines IRS (insulin receptor substrate, en orange) se positionnent au niveau de la face cytoplasmique de la membrane et interagissent avec le récepteur tyrosine kinase à l’insuline (RI, en vert). Les protéines IRS ainsi phosphorylées sont reconnues par des protéines relais (en violet), les principales étant la sous-unité régulatrice de la PI3K, les protéines adaptatrices Grb2 (growth factor receptor-bound protein 2).

b2.Signalisation de l’IGF

La famille IGF comprend des ligands (IGF-1, IGF-2 et l’insuline), des récepteurs de surface cellulaire (récepteur IGF-1, récepteur à l’insuline et le récepteur à l’IGF-2 mannose-6-phosphate (M-6-P)) et six protéines porteuses de l’IGF-1 (IGFBP-1 à 6, paragraphe suivant). Des études de knockout révèlent que le récepteur IGF-I permet les réponses cellulaires de l’IGF-1 et l’IGF-2.

Ces récepteurs sont composés de sous-unités α et β avec une sous-unité α localisée entièrement de façon extracellulaire et une sous-unité β traversant la membrane et

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localisée majoritairement de façon intracellulaire (Steele-Perkins et al., 1988). Les récepteurs assemblent une configuration α2β2 avec une liaison des ligands effectuée majoritairement par la sous-unité α qui forme une poche de liaison. Le domaine intracellulaire de la sous-unité β contient l’activité tyrosine-kinase et les résidus tyrosines qui seront phosphorylés sous l’activation du récepteur (Sasaki et al., 1985) (Figure 10).

IGF-1 semble être un des facteurs de croissance affectant le plus l’anabolisme des principales molécules du cartilage, les collagènes et les protéoglycanes. Alors que IGF-1 a été mis en évidence comme un facteur mitogénique dans le cartilage articulaire humain adulte, il stimule également fortement la production des composés matriciels extracellulaires du chondrocyte (Guenther et al., 1982; McQuillan et al., 1986). IGF-1 induit l’expression et la synthèse du collagène de type II, des protéoglycanes et stabilise le phénotype du chondrocyte en conditions pathologiques (Franchimont and Bassleer, 1991; Tesch et al., 1992).

Les chondrocytes qui sur-expriment IGF-1, permettent une réparation plus rapide de défauts superficiels du cartilage, notamment par une augmentations de l’expression du collagène de type II approximativement 100 fois (Goodrich et al., 2007). Il a également été montré dans des cultures cellulaire de cartilage bovin que l’application d’insuline augmente significativement la synthèse de collagène de type II (Claassen et al., 2006b). Dans les chondrocytes de la plaque de croissance, chez le rat, IGF-1 module son activité par la synthèse d’un IGFBP-3 inhibiteur et d’un IGFBP-5 stimulateur. La découverte que IGF-I utilise différentes voies de signalisation pour la régulation de deux IGFBPs avec des fonctions biologiques opposées semble important pour la modulation de la bioactivité d’IGF dans le microenvironnement cellulaire (Kiepe et al., 2005).

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Figure 10 : Cascade de transduction du signal émanant du récepteur IGF-1 activé (Tahimic et al., 2013). Après l’autophosphorylation du récepteur IGF-1, les molécules Shc et IRS se

lient à la région intracellulaire de la sous-unité-β du récepteur IGF-1. La phosphorylation

des tyrosines de Shc et IRS par l’action tyrosine-kinase du récepteur IGF-1 crée des sites de liaison pour d’autres protéines dans la cascade de signalisation comme Grb2, p85, Nck, Syp et Fyn. Ce mécanisme mène à l’activation des voies de signalisation comme les MAPkinase et la voie PI3kinase. Un modèle a récemment été proposé pour l’inhibition de l’apoptose par la phosphorylation de la protéine BAD par Akt.

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b3.Les protéines IGFBPs et le cartilage

Les IGFBP-1 à 4 sont secrétés pour la grande majorité par les chondrocytes humains en culture (Doré et al., 1994; Olney et al., 1993, 1996; Tardif et al., 1996) et sont produits de façon importante dans les maladies rhumatismales. Le fluide synovial de patients arthrosiques ou avec une polyarthrite rhumatoïde ont une concentration élevée d’IGFBP3 et 4 par rapport à du fluide synovial issu de donneurs normaux (Kanety et al., 1996; Matsumoto et al., 1996; Tavera et al., 1996).

IGFBP3 secrété s’associe préférentiellement avec la surface cellulaire, et il a été proposé que IGFBP3 pourrait exercer une partie de son activité grâce à un récepteur membranaire « spécifique » (Doré et al., 1994; Oh et al., 1993a, 1993b). Les chondrocytes articulaires contiennent IGFBP-2 et IGFBP-3 de façon intracellulaire mais seul IGFBP-3 est retrouvé dans le cytoplasme et dans les fractions nucléaires/péri-nucléaires. Cela suggère l’hypothèse que l’action de ces IGFBPs dans le cartilage articulaire s’étend au delà de la modulation classique de l’action du récepteur à l’IGF (Hunziker et al., 2008; Sun et al., 2008) et en particulier pourrait avoir un rôle au cours de l’arthrose (voir partie suivante).