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Les résultats obtenus ont été importants puisque 1157 professionnels ont participé. Ce qui conduit à expliquer tout d’abord le type d’analyse effectuée de ces données puis à transmettre la synthèse des principaux résultats. Afin d’illustrer toutes ces données chiffrées il a été décidé d’utiliser différents témoignages transmis par les participants et ceux relevés dans les entretiens réalisés auprès de collègues à ce sujet.

Nous avons choisi volontairement d’avoir une approche qualitative issue de notre expérience de terrain, des réponses spontanées transmises par les professionnels à l’occasion de la recherche et d’entretiens réalisés auprès d’un certain nombre de professionnel. L’approche qualitative permet de comprendre le sens des résistances au signalement par l’intermédiaire qui en font quotidiennement l’expérience. Autrement dit, il nous semblait fondamental pour comprendre ce phénomène de partir du vécu des personnes concernées, du sens qu’elles-mêmes donnent à leur positionnement et de ne pas se contenter de données chiffrées. Nous souhaitions proposer une recherche originale, avec une perspective permettant d’accéder à la réalité des professionnels et au contexte d’exercice qui la sous-tend afin de relayer au mieux les besoins pour que cette situation évolue vers de meilleures prises en charge.

L’étude d’une telle thématique nécessite une méthodologie adaptée pour saisir efficacement tous les enjeux à l’œuvre. Les analyses statistiques des données obtenues ont été réalisées à partir du logiciel SPSS. La complexité de l’étude des positionnements professionnels face aux situations de maltraitance nous a conduits à effectuer également une recherche

qualitative exploratoire auprès de différents personnels à partir d’entretiens semi-directifs. L’objectif de cette seconde méthode était de mieux repérer les facteurs éminents subjectifs à l’œuvre dans les cas de maltraitance et de comprendre ce qui dans les émotions, les ressentis, les expériences individuelles et professionnelles pouvaient venir expliquer certaines décisions de signaler ou de se taire. Dire sa pratique et témoigner de ses façons d’exercer n’est pas une évidence, mais l’anonymisation des entretiens visait à faciliter cette expression sans que le professionnel ne cherche à se positionner comme un « bon élève », s’appliquant à donner des réponses consensuelles surtout face à un chercheur qui pourrait en savoir plus que lui sur le sujet. Verbaliser sa façon de faire n’est pas nécessairement dans les habitudes des professionnels de santé qui ont exprimé dans leurs réponses, leur réalité. Ces entretiens se sont déroulés auprès de quatorze soignants volontaires, ce qui représente un biais inévitable, car seuls ceux prêts à parler de leur pratique ont accepté de se livrer, ce qui représente toujours un risque face à la crainte d’être jugé. Nous avons veillé au début de chaque entretien à rappeler les objectifs de cette recherche, le caractère anonyme des réponses et insister sur le fait qu’il n’y avait ni « bonnes », ni « mauvaises » réponses et aucun jugement de valeur dans leurs pratiques de notre part ; seule la volonté de mieux comprendre l’origine des résistances au signalement et les perspectives pour les limiter.

Les entretiens ont été organisés de façon semi-directive afin de laisser une large place aux propos des soignants. Nous avions une grille de question élaborée à l’avance (et correspondant à celles du questionnaire internet), mais ces questions n’étaient pas abordées de façon systématiquement avec le même ordre et un déroulement précis. Nous débutions chaque entretien de façon à établir un lien de confiance indispensable en laissant le professionnel débuter par ce qui lui paraissait le plus essentiel face à la problématique du signalement en situation de maltraitance. Notre volonté était de leur permettre de mettre des mots sur leurs pratiques et leurs ressentis, sans les interrompre à tout moment. Et quand cela était nécessaire, nous revenions sur certains points évoqués ou non abordés. Ce type d’entretien compréhensif

53permet d’avoir en tête les questions aborder, comme un guide réflexif et de permettre que se créer une conversation plus riche que s’il s’agissait de répondre à des questions comme dans un interrogatoire. L’ordre des questions dépendait donc du déroulé de l’entretien et de la dynamique de la formulation des participants. Nous n’intervenions que lorsque des éléments nous manquaient (soit parce qu’ils n’avaient pas été abordés ou énoncés de façon très rapide). Il ne s’agissait pas de transformer ce temps d’échange en temps de formation et de répondre

aux questions des participants ou à leur demande de validation de leur pratique ce qui n’a pas toujours été simple, malgré le cadre posé sur ce qu’était un entretien de recherche. Ce n’est qu’en fin d’entretien, lorsque des interrogations précises étaient reformulées il était organisé un temps pour y répondre. Les entretiens ont duré en moyenne une heure trente avec enregistrement (effectué avec l’accord des participants et détruits à l’issue de la retranscription). Cette analyse qualitative n’était pas au centre de la recherche face aux données quantitatives, mais visait à apporter un éclairage pratique à partir de témoignages plus complets de professionnels que ceux laissés via le questionnaire internet.

1157 soignants ont participé.

L’analyse quantitative a été faite à partir de tris à plat et de tris croisés et supervisée par Laurence Créton-Cazanave, PhD sociologue à l’université de Grenoble. Nous avons effectué des tris à plat thématiques (répartition des répondants selon les modalités des variables, à l’échelle de l’échantillon) et des tris croisés (recherche de corrélations entre des variables) avec la mise en ligne de la variable supposée indépendante (ou explicative). Toutes les lectures de la sur/sous-représentation d’une catégorie reposent sur la comparaison entre le % d’une donnée précise et le % moyen.

Pour des raisons de significativité des données, notamment lors des tris croisés, nous avons réuni les données orthophoniste et psychomotricien(ne), dans une seule catégorie.

Il n’y a pas dans notre approche d’attitude clivante entre analyse qualitative et quantitative. Loin de les opposer l’une à l’autre, elles nous apparaissent complémentaires et indispensables à envisager conjointement pour mieux décrypter le contexte actuel.

Parallèlement à l’envoi de ces questionnaires, nous avons donc réalisé plusieurs entretiens individuels semi-directifs, anonymisés, avec des questions fermées et d’autres ouvertes permettant aux professionnels de s’exprimer le plus librement possible. La durée moyenne était d’une heure avec enregistrement des entretiens avec l’accord des participants pour une retranscription fidèle des témoignages. Les propos recueillis sont retranscrits in extenso. Nous avons également pris en compte les réponses et remarques spontanées transmises par les participants au questionnaire. L’analyse des entretiens en lien avec celle des questionnaires nous a permis d’avoir une représentation qui nous semble la plus juste possible de cette délicate situation du signalement des personnes vulnérables, enfants et personnes âgées. L’analyse de ces entretiens s’est faite selon l’approche de L’Écuyer54, à savoir un traitement

54 L'ÉCUYER R., Méthodologie développementale de contenu Méthode GPS et Concept de soi. Sillery, Presses de l'Université du Québec, 1990.

des données en cinq étapes. Dans un premier temps, tous les entretiens ont fait l’objet d’une lecture initiale pour avoir une vue d’ensemble et repérer le type de réponse à privilégier par rapport à notre problématique. Dans un second temps, les éléments transmis ont été regroupés en unité de sens. En troisième étape, la catégorisation et la classification ont consisté à réunir tous les énoncés qui avaient un même sens à l’intérieur des catégories définies dans le questionnaire. Cela permet de relever les caractéristiques et la signification des éléments à étudier. Compte tenu de l’importance de cette étape qui détermine la valeur de l’analyse de contenu, une deuxième lecture a été réalisée par une seconde personne (juriste) pour valider la catégorisation du premier lecteur. À la quatrième étape, il a été identifié les éléments permettant de répondre aux objectifs de l’étude. Enfin, l’interprétation a été réalisée à la cinquième étape pour dégager les éléments transmis susceptibles d’être intégrés à la problématique de cette recherche.

Les difficultés dans le recueil des données ont donc été de plusieurs ordres : le refus de diffusion du questionnaire par les représentations professionnelles concernées et les biais liés au profil des personnes ayant accepté de répondre.

Le recensement, l’analyse et la synthèse de la littérature législative relative à ce sujet ont aussi été effectués afin de rappeler les données cliniques actuellement connues en matière de maltraitance, de présenter la genèse de la reconnaissance des droits de l’enfant et des personnes âgées vulnérables et la façon dont s’est organisée en France la protection des sujets vulnérables.

Nous avons décidé de présenter une partie des résultats spécifiques aux résistances au signalement dans les chapitres correspondants de cette étude et les autres données, qui apparaissaient moins pertinentes, ont été indiquées dans les annexes afin de ne pas surcharger le manuscrit de cette thèse.

Compte tenu du sujet, nous avons choisi d’organiser le manuscrit en deux parties, les questions relatives à la clinique et celles liées aux connaissances juridiques ; ces deux dimensions étant inextricablement liées l’une à l’autre pour pouvoir signaler.

Cette recherche engageait le choix d’une méthodologie adaptée pour comprendre le plus précisément possible cet objet. L’intérêt juridique d’une telle étude réside en partie dans la compréhension des pratiques soignantes face au signalement, notamment dans les différentes

dimensions que ce sujet engage (éthique professionnelle, représentations face à la maltraitance et à la vulnérabilité, rapport à la loi, enjeux sociaux…)

La dégradation55, dans la prise en charge des personnes vulnérables est énoncée de plus en plus56 sans qu’aucune étude n’ait été menée précisément sur ce sujet. Compte tenu des enjeux sociétaux, il apparaît donc important d’essayer de mieux comprendre cette résistance des professionnels face au signalement. Pour signaler, le professionnel doit posséder des connaissances au niveau des troubles qui peuvent exister, mais aussi ne pas ignorer les textes législatifs existants en matière de protection. Ces deux axes sont indispensables et indissociables dans la pratique des professionnels, raisons pour lesquelles le premier chapitre de cette recherche est centré sur les enjeux des méconnaissances au niveau clinique en matière de repérage de la maltraitance et de signalement.

Pour mieux comprendre les réactions des professionnels face au signalement, il a donc été décidé d’analyser dans une première partie tout ce qui relevait des questions cliniques puisque c’est à partir de ces éléments qu’est envisagé ou non un signalement et que les suites judiciaires de celui-ci dépendront grandement des éléments transmis à ce sujet par les professionnels de santé. Le contexte actuel amenant à constater que tous les textes existants ne semblent pas suffisants pour permettre une protection adaptée des mineurs et des personnes âgées victimes de maltraitances, la seconde partie est consacrée à cette dimension du rapport des soignants face aux textes de loi et aux procédures relatifs à la maltraitance et à la protection des plus vulnérables.

Pour mieux comprendre les réactions des professionnels face au signalement, il a donc été décidé d’organiser cette thèse en deux parties. La première partie concerne les professionnels de santé face aux enjeux cliniques du repérage et de l’évaluation de la maltraitance. La seconde partie de cette thèse, toujours basée sur les résultats à l’étude menée, est centrée sur les soignants face aux enjeux légaux du repérage de la maltraitance.

55 ROMANO H., IZARD E., BERGER M. & al. Danger en protection de l’enfance, Paris, Dunod, 2016.