3.2 Syst`eme de fermions en interaction sans spin
3.2.2 Mod`ele du cristal mol´eculaire (CM)
La r´esolution num´erique des ´equations (3.18)-(3.19) nous permet de tracer les suscep-tibilit´es en fonction du g´en´erateur de renormalisationℓpour le mod`ele CM sans spin. Un exemple typique est donn´e `a la figure 3.7-a pour une fr´equence de phonon interm´ediaire ω0/∆0= 0.7 et une valeur de couplage ´electron-phonon |g˜|= 0.8. De ces susceptibilit´es,
Figure 3.7 – (a)-Exemple de variation des susceptibilit´es ´electroniques en fonction du g´en´erateur de renormalisation ℓ pour le mod`ele CM sans spin. (b)-Variation du gap
´electronique normalis´e en fonction de la fr´equence normalis´ee ω0/∆0 pour diff´erentes valeurs du couplage |˜g| [101].
seule la phase ODC pr´esente une divergence quandℓ approche la valeur critiqueℓc. Cette singularit´e marque l’apparition d’un gap de Peierls avec une amplitude ∆ = 2EFe−ℓc qui co¨ıncide avec la valeur du champ moyen ∆0(´equation (3.9)) pour les basses fr´equences de
Chapitre 3 : Syst`eme ´electron-phonon unidimensionnel 66 phonon (figure 3.7-b). Dans cette r´egion, le gap est faiblement renormalis´e et reste donc proche de sa valeur classique2. Quand ω0/∆0 augmente, la diminution du gap devient de plus en plus importante `a cause des fluctuations quantiques dues essentiellement aux interf´erences li´ees aux corrections de vertex et des diagrammes ouverts (ou en ´echelle) de plus en plus importantes dans les canaux de Cooper et Peierls. Comme dans le cas avec spin, le maximum de ces fluctuations quantiques survient quand la fr´equence des phonons devient de l’ordre de gap champ moyen ∆0. Le changement de courbure du gap est d´efini comme un crossover classique-quantique. Le gap ∆ finit par disparaˆıtre quand la fr´equenceω0/∆0 exc`ede l’unit´e, marquant la transition vers un ´etat o`u la mise en ordre de la charge n’est plus possible. En effet, dans le r´egime non adiabatique, la variation des constantes de couplages de l’´equation (3.18) ayant des valeurs nues nulles
˜
gf,3ℓ=0= 0, reste fixe `a z´ero le long de la renormalisation peu importe la valeur du couplage
´electron-phonon |˜g|, d’o`u un ´etat non gapp´e.
Ce r´esultat est compatible avec celui de la m´ethode du GR `a deux coupures [7] qui pr´evoit la transition vers un ´etat d´esordonn´e pour ω0 ≈ ∆0. Il corrobore aussi bien les conclusions de la m´ethode DMRG de Bursill et al. [78] que ceux obtenues par Hirsch et Fradkin [76] par la technique de Monte Carlo. Ces derniers montrent qu’`a l’oppos´e du cas avec spin pour lequel le syst`eme est ordonn´e pour toute fr´equence de phonon, le syst`eme sans spin transite d’un ´etat Peierls dim´eris´e vers un ´etat d´esordonn´e avec un param`etre d’ordre de phonon qui s’annule `a haute fr´equence (voir l’exemple de la figure 1.10-b).
En outre, Caron et Moukouri [77] ont ´etudi´e la nature de cette transition par la m´ethode de DMRG appliqu´ee `a une chaˆıne de spins XY coupl´es `a des phonons optiques par une interaction magn´eto-´elastique α. Ils ont montr´e, grˆace `a l’expression de Baxter pour le gap [107], que la transition vers un ´etat d´esordonn´e est bien de type Kosterlitz-Thouless (KT)3[67]. L’interaction magn´etique entre spins voisins joue le rˆole de la largeur de bande J ≡ 2t0 = 2EF/π. `A partir de la formule d´eriv´ee par Baxter [107] pour un param`etre d’ordre P, tel que P ∝ |Tc−T|−1/2exp
−|Tc −T|−1/2 pour un syst`eme 2D classique `a sym´etrie continue, Caron et Moukouri [77] ont identifi´e le couplage spin-phonon α `a la temp´erature T et le gap ´electronique ∆ au param`etre d’ordre P pour un syst`eme 1D quantique. Le couplage α est reli´e en terme de g-ologie au processus de
2Cette valeur est num´erique et peux ˆetre d´eterminer `a partir de la r´esolution de l’´equation (3.17) en fixant ˜gu= 0.
3La conversion des spins localis´es en fermions sans spin par la transformation de Wigner-Jordan [3], permet au mod`ele XY de devenir similaire au mod`ele SSH sans spin d’un syst`eme unidimensionnel de pseudo-´electrons coupl´e aux phonons.
Chapitre 3 : Syst`eme ´electron-phonon unidimensionnel 67 r´etrodiffusion instantan´e, ˜g1 =−8α2/πvFωD et poss`ede une valeur critiqueαc `a laquelle la transition survient. La formule Baxter se transpose alors sous la forme :
∆ ∝ 1
pα2 −α2c e−b/√
α2−α2c, b est une constante positive. (3.20) En comparant l’´evolution du gap avec la loi de Baxter ci-dessus comme le montre l’exemple de la figure 3.8-a, ces auteurs ont conclu `a une transition de type KT dans le cas des couplages faibles. Cette transition quantique s´epare un ´etat quantique gapp´e
0 10 20 30 40
Figure3.8 – (a)- Lissage du gap ´electronique suivant la formule de Baxter (3.20) pour le mod`ele XY. (b)- Diagramme de phase ((J/α)2, ω/J) montrant les transitions classique-quantique gapp´e-classique-quantique non gapp´e du mˆeme mod`ele. La derni`ere se fait suivant la loi de puissance α2c ∼ω1.4 [77].
d’un ´etat m´etallique du liquide de Luttinger (figure 3.8-b).
En ce qui nous concerne, nous allons v´erifier la nature de cette transition en adop-tant la mˆeme notation que Caron et Moukouri [77]. Pour cela, on va d´efinir un nouveau
Chapitre 3 : Syst`eme ´electron-phonon unidimensionnel 68 couplage effectif sous la forme α ≡ 12p
|˜g|ω0EF. La figure 3.9-a repr´esente l’´evolution logarithmique du gap en fonction du param`etre (α2 −α2c)−0.5 pour diff´erentes valeurs de fr´equences phononiques. On remarque qu’au voisinage de sa valeur critique, le
cou-50 100 150 200
Figure 3.9 – (a)- Gap ´electronique du mod`ele CM sans spin en fonction du param`etre (α2 − α2c)−0.5 pour diff´erentes fr´equences phononiques ω0/EF. Les lignes en pointill´es repr´esentent le lissage de la formule de Baxter (3.20). (b)- Diagramme de phase (α−2, ω0).
La ligne continue repr´esente le comportement en loi de puissance du param`etre critique α2c ∼ω01.4 [101].
plage effectif α r´eduit le gap ´electronique. Cette r´eduction reproduit bien la formule (3.20) (lignes en pointill´e) ce qui confirme le type KT de cette transition pour le mod`ele CM. Ce comportement est similaire `a celui obtenu par la DMRG [78] et la m´ethode du d´eveloppement perturbatif pour les couplages forts [76].
Une autre caract´eristique obtenue par la m´ethode DMRG et que Caron et Moukouri relient directement `a la nature de la transition est le comportement en loi de puissance de couplage effectif αc ∼ ω00.7 (figure 3.8-b). Le trac´e en ´echelle logarithmique de cette
Chapitre 3 : Syst`eme ´electron-phonon unidimensionnel 69 quantit´e obtenue ici par la m´ethode du GR `a la figure 3.9-b montre bien l’existence d’une telle loi ; celle-ci d´elimite la r´egion isolante de l’ODC et la r´egion m´etallique du liquide de Luttinger. Une d´eviation par rapport `a cette loi est observ´ee `a basse fr´equence de phonon. Nous pensons que le nombre de fr´equences de fermion (patches) relativement faible, utilis´e dans la r´esolution num´erique des cas de faibles couplages et de basses fr´equences phononiques en est la cause.
Le nouvel ´etat d´esordonn´e (LL non gapp´e de la figure 3.9-b) est un liquide de Lut-tinger [7, 78]. Cette phase m´etallique poss`ede les mˆemes caract´eristiques que le mod`ele de Tomonaga-Luttinger (Chapitre 1). Les propri´et´es `a basse ´energie de cette phase sont compl`etement d´ecrites par un mod`ele de Luttinger effectif avec deux param`etres : la vitesse des excitations de charge vF maintenue constante dans notre cas et la constante de rigidit´e Kρ. Cet ´etat se distingue du liquide de Fermi par l’absence d’excitations de quasi-particule et par des fonctions de corr´elation poss´edant des exposants non-universels, d´ependant explicitement du param`etreKρ (´equation (1.6)).
Dans notre cas, l’estimation des susceptibilit´es dans la phase liquide de Luttinger et la nature du mod`ele sans spin vont nous permettre d’avoir acc`es au comportement critique de ces susceptibilit´es, et ainsi extraire le param`etre de Luttinger Kρ. Comme on l’a annonc´e dans le dernier paragraphe du chapitre 2, la susceptibilit´e ´electronique relative `a l’ODC peut s’´ecrire en loi de puissance χ+µp=0(ℓ) ≈ [Λ(ℓ)]−γ avec un expo-sant γ. L’exemple de la figure 3.10-a montre que ce comportement en puissance prend place quand le g´en´erateur de renormalisation ℓ devient sup´erieure `a une certaine va-leur critique ℓ∗. La divergence de la susceptibilit´e reste d´ependante des valeurs de la fr´equence phononique ω0 et du couplage |˜g|. Cette non-universalit´e apparaˆıt aussi dans l’exposant du liquide de Lunttinger γ pour Λ(ℓ)≪Λ(ℓ∗). Suivant la m´ethode de boso-nisation [65, 108], cet exposant peut ˆetre ´ecrit en fonction du param`etre de rigidit´e Kρ
sous la forme γ = 2−2Kρ. Nous avons trac´e dans la figure 3.10-b la variation de Kρ en fonction de |g˜| pour diff´erentes valeurs de fr´equences phononiques. On remarque que le param`etre de rigidit´e est non-universel et varie avec |g˜| et ω0/EF. Pour un |g˜| fixe, Kρ diminue avec la fr´equence au fur et `a mesure qu’on s’approche de la transition KT (α ∼ √
˜
g approche αc), o`u les effets de retard deviennent pr´edominants. On constate aussi que les valeurs de Kρ restent sup´erieures `a Kc=12 qui est une valeur propre aux chaˆınes de spins isotropes dans la r´egion non gapp´ee (figure 1.9-a) [108, 109]. Pour la grande valeur de fr´equence ω0= 16.5EF, le termeKρ est quasiment constant et tend vers 1. Dans cette limite le syst`eme est ´equivalent `a un gaz de fermions sans interaction d’une
Chapitre 3 : Syst`eme ´electron-phonon unidimensionnel 70
0 10 20 30
-4 -2 0 2 4
ln[
ODC ]
*
0.8
0.5
|g|= 0.2
0 /E
F
=3.3
~
~ (a)
~
0.1 1
0.5 0.6 0.7 0.8 0.9 1.0
K
|g|
16.5
3.3
2.0
1.3
0 /E
F
=1.2 (b)
Figure3.10 – (a)-La divergence en loi de puissance de la susceptibilit´e ODC pourℓ > ℓ∗ dans le r´egime de liquide de Luttinger. (b)-Variation du param`etre de rigidit´e Kρ en fonction de |g˜| pour diff´erentes valeurs de fr´equence phononique ω0/EF [101].
Chapitre 3 : Syst`eme ´electron-phonon unidimensionnel 71 chaˆıne XX (´equations (1.8)-(1.9)), puisque dans le r´egime fortement non adiabatique, les valeurs nues des couplages de diffusion vers l’avant et Umklapp ˜gℓ=0f,3 , deviennent nulles.