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2 Couplages thermo-hydro-mécaniques et endommagement

2.2 Prise en compte de la fissuration et estimation des paramètres hydromécaniques

2.2.1 Modélisation de la fissuration

Considérations générales

La description de la fissuration dans les matériaux quasi-fragiles tels que les matériaux cimentaires est complexe et fait l’objet de nombreuses recherches depuis plusieurs décennies.

Concernant le problème mécanique, les aspects essentiels qu’il convient de considérer sont les suivants : dissymétrie du comportement traction-compression liée à la refermeture des fissures lors du changement de signe des contraintes ou déformations, et anisotropie induite du comportement. Lorsque l’on s’intéresse à des phénomènes physiques couplés, il faut de plus estimer et répercuter s’il y a lieu les effets de la fissuration sur ces phénomènes. En particulier, dans le cas de l’étude des couplages THM, l’impact des fissures sur les paramètres hydromécaniques et les propriétés de transfert des fluides doit être pris en compte. Dans tout ce qui suit, l’approche retenue pour modéliser la fissuration est basée sur la mécanique de l’endommagement. Le développement de ce type d’approche requiert généralement d’étudier les trois points suivants : caractérisation et choix des variables d’endommagement décrivant les dommages dans le matériau, modélisation du comportement endommagé, et formulation des lois d’évolution des variables d’endommagement (He et Curnier 1995). On gardera à l’esprit que le modèle développé doit également permettre d’étendre les effets de la fissuration aux paramètres hydromécaniques et de transport.

La mécanique de l’endommagement est habituellement traitée à l'échelle macroscopique. La première étape essentielle concerne le choix de la ou des variables scalaires ou tensorielles, qui

0 0.2 0.4 0.6 0.8 1

0 0.2 0.4 0.6 0.8 1

hr

Sr

m=1 m=5

Matériau 1 Matériau 2

Matériau 3

0.0E+00 5.0E+07 1.0E+08 1.5E+08 2.0E+08

0 0.2 0.4 0.6 0.8 1

Sr

Pc (Pa)

m=1 m=5

Matériau 1 Matériau 2

Matériau 3

hr

Sl

Sl

pc(Pa)

conditionne le degré de précision de la description des effets de l’endommagement. A partir de ce tensorielles soient en général nécessaires, certains auteurs préconisent le recours à deux variables agissant indépendamment sur deux paramètres mécaniques élastiques (He et Curnier 1995;

Ladevèze 1983), ou de distinguer des variables activées en traction et d’autres en compression (Bary et al. 2000; Mazars et al. 1990; Sellier et Bary 2002). En ce qui concerne les effets des dommages sur les paramètres hydromécaniques et de transport, l’utilisation de variables d’endommagement conduit généralement à des formulations théoriques claires (voir par exemple (Shao 1998)), mais qui souffrent parfois du caractère empirique des lois spécifiant l’évolution de ces paramètres en fonction de l’endommagement (Bary et al. 2000; Gawin et al. 1999)). Ainsi, dans une étude en conditions saturées on propose l’évolution suivante du tenseur de Biot B exprimé dans le repère principal d’endommagement (RPD) (Bary et al. 2000) :

1 1 1 sont des fonctions de f+ et éventuellement p à préciser et qu’il convient d’identifier à partir des résultats expérimentaux. Les formes de B et K ci-dessus sont basées sur l’hypothèse qu’une augmentation de pression dans un matériau fissuré dans la direction 3 se répercute essentiellement sur les contraintes dans cette même direction 3 (par rapport au matériau sain), alors que les écoulements sont préférentiellement affectés dans les deux directions perpendiculaires (Figure 2.4).

En toute rigueur, les évolutions des variables d’endommagement spécifiées via le formalisme des matériaux standards généralisés sont également contrôlées par la pression de la phase fluide saturant le matériau. Ceci résulte du fait que le tenseur de Biot, et possiblement le module de Biot, dépendent de l’endommagement, et apparaissent donc dans l’expression des forces thermodynamiques associées à ces variables. Prenons le cas d’un potentiel d’énergie libre écrit

l’endommagement et ζ =mw ρw0 est l’apport de masse fluide rapporté à la masse volumique d’eau initiale.

Figure 2.4 : effets d’un état de fissuration plan perpendiculaire à la direction 3 sur les paramètres de couplage hydromécaniques et sur le tenseur de perméabilité (Bary et al. 2000).

Puisque deux variables d’endommagement sont introduites, la dissipation d’énergie prend la forme : Φ=Y+D&++YD&≥0, avec Y la force thermodynamique associée à α D définie par α

Un convexe Ζ est alors défini dans l’espace des forces thermodynamiques Y par le biais d’une fonction f caractérisant le domaine élastique : Y(Y+,Y)∈Ζ⇔ f(Y+,Y,D+,D)≤0 (Marigo

Cette formulation des évolutions de D associée à la convexité de f garantissent le respect de α l’inégalité Φ≥0. Le multiplicateur λ& est classiquement obtenu par la condition de consistance sous la forme : pratique, cette dépendance est souvent négligée (voir par exemple (Gawin et al. 1999; Gawin et al. 2002; Grasberger et Meschke 2004)).

Pour finir, rappelons que l’extension du formalisme de la TPI au cas des matériaux insaturés (non linéaires par nature) se heurte à quelques difficultés. En effet, comme déjà mentionné au §2.1.3, la formulation classique du potentiel d’énergie libre ψ et des enthalpies libres des fluides g i dans le cadre des petites transformations repose sur le fait que les variables d’état varient peu par rapport à l’état initial. Or en conditions partiellement saturées le processus classique d’obtention

evolution of the

de ψ et g par linéarisation par rapport aux variables d’état jusqu’au second ordre n’est plus i

possible (Coussy 2004). Les équations d’état sont alors soient directement postulées (absence de potentiels), soit exprimées sous forme incrémentale.

Modèle d’endommagement isotrope basé sur la micromécanique

On s’intéresse ici à l’introduction d’un modèle d’endommagement scalaire dans la formulation THM simplifiée présentée en fin de section 2.1.1. L’objectif est de disposer d’un modèle simple et robuste pouvant en pratique être appliqué à des structures complexes, et suffisamment précis pour que les prédictions numériques du comportement de ces structures soient réalistes. Le choix d'un modèle isotrope est lié essentiellement à la simplicité de la formulation obtenue, celle-ci se traduisant par une assez bonne convergence numérique. Cependant ce modèle ne permet pas de représenter le caractère anisotrope du comportement induit par des fissures alignées. Par ailleurs, les paramètres THM introduits doivent avoir dans la mesure du possible une signification physique claire, afin notamment de pouvoir les déterminer ou les évaluer de façon fiable à partir des caractéristiques intrinsèques des matériaux ou de leurs composants élémentaires. En pratique, ce dernier point est important car il permet de limiter les identifications expérimentales coûteuses qu’il est bien souvent nécessaire d’effectuer pour chaque nouveau matériau. Le choix d'une approche basée sur la micromécanique s’appuyant sur une description des microfissures du béton au moyen d’ellipsoïdes de forme aplatie a été guidé par le fait qu'à partir de cette même description de la microfissuration, l’application de méthodes de changement d'échelle peut fournir des estimations pour l’ensemble des paramètres dépendant de l’endommagement (Dormieux et Kondo 2004). Ces méthodes permettent en outre d'introduire dans ces estimations le degré de saturation, qui est une variable essentielle pour les paramètres hydromécaniques et de transfert. En plus d'une certaine homogénéité et uniformité dans la modélisation, ce type d’approche permet d’établir l’évolution de ces paramètres sur des bases théoriques en général rigoureuses, et ainsi de réduire l’empirisme inhérent aux approches phénoménologiques. Dans tout les cas, la confrontation des estimations obtenues avec les résultats expérimentaux reste nécessaire pour s’assurer de leur validité.

L’utilisation de microvides de forme ellipsoïdale aplatie pour représenter les microfissures dans une matrice homogène n’est pas nouvelle (voir par exemple (Aboudi et Benveniste 1986;

Benveniste 1986; Horii et Nemat-Nasser 1983)). Des adaptations de cette théorie au cas des milieux poreux ont été proposées entre autre dans (Dormieux et Kondo 2004). On se place ici dans un cadre isotrope, c'est-à-dire que les microfissures sont orientées aléatoirement dans l'espace, et on suppose de plus pour simplifier qu’elles sont toutes identiques. On introduit alors classiquement le paramètre scalaire de densité de microfissures ρ = Na3, avec N le nombre de microfissures par unité de volume et a le rayon du grand axe des ellipsoïdes (Budiansky et O'Connell 1976). En notant c2 l’ouverture des fissures (dimension des ellipsoïdes suivant le petit axe), la porosité correspondant aux microfissures est φc =4π/3ρX , avec X =c/a le rapport d’aspect.

On suppose en outre pour simplifier que les matériaux cimentaires sont des milieux poreux constitués de pores et de microfissures ellipsoïdales distribuées dans une matrice homogène.

Dans ce cas deux descriptions peuvent être envisagées : les deux familles d’inclusions ont des tailles du même ordre de grandeur, ou bien elles sont de taille significativement différente, autorisant une représentation à deux échelles (Figure 2.5 respectivement gauche et droite). Dans

tous les cas, on fait l'hypothèse que ces inclusions sont connectées, de sorte que les pressions des phases fluides (liquide et gazeuse) sont homogènes au sein des inclusions.

Figure 2.5 : représentation schématique d'un milieu poreux constitué d’une matrice homogène dans laquelle sont distribuées des pores et des fissures ellipsoïdales aplaties : une seule échelle (gauche) et deux échelles distinctes

pour les pores et les fissures.

On choisit alors d’appliquer des méthodes d'approximation dites de milieux effectifs pour estimer les paramètres mécaniques du milieu poreux microfissuré. Celles-ci ont l'avantage de fournir des expressions analytiques et relativement simples pour ces estimations, ce qui cadre bien avec l'objectif pratique de calculs de structures. Deux schémas seront plus particulièrement étudiés et appliqués, le schéma de Mori-Tanaka (MT, (Mori et Tanaka 1973)), et la méthode de Zheng et Du (notée IDD pour Interaction Direct Derivative, (Zheng et Du 2001)). Ils se différencient principalement par le fait que le second schéma permet d'imposer la distribution spatiale des inclusions indépendamment de la forme de ces dernières via la cellule de distribution D entourant chaque inclusion, alors que pour le schéma MT cette distribution spatiale est directement contrôlée par la forme (et l'orientation) des particules. A titre d'illustration, on obtient assez facilement les expressions suivantes pour les paramètres élastiques du milieu homogène microfissuré (la matrice est indicée I ) avec le schéma IDD, correspondant à la configuration de la Figure 2.5 droite (voir (Bary 2010)) :

( )

inclusions est définie par la forme ellipsoïdale de la cellule D et est intégrée au schéma via S . DI La Figure 2.6 présente les évolutions des modules de compressibilité et de cisaillement

pore fissure échelle des fissures échelle des pores

1 échelle 2 échelles

normalisés pour le milieu microfissuré avec une distribution isotrope de microfissures en fonction de ρ, pour les schémas d'approximation suivants : MT, IDD, Full Range IDD (qui se distingue de l'IDD par le fait que la cellule définissant la distribution spatiale isotrope D ne reste plus sphérique à partir de la valeur de fraction volumique correspondant à ρ=3 /(4 )π , voir (Ponte Castaneda et Willis 1995) pour plus de détails) et auto-cohérant (SC) (Bary 2010). Le coefficient de Poisson est νI =0, 25. On constate que les schémas SC et IDD prédisent des module nuls pour des valeurs finies de ρ, alors que ce n'est pas le cas des schémas MT et FR IDD. Ces deux derniers schémas semblent par ailleurs donner des résultats plus proches des valeurs numériques disponibles en 2D (voir par exemple (Kachanov 1992; Shen et Li 2004)), et seront donc employés par la suite.

Figure 2.6 : évolutions des modules de compressibilité (gauche) et de cisaillement (droite) normalisés en fonction du paramètre de densité de microfissures ρ pour une distribution isotrope et pour différents schémas (Bary 2010).

Notons que l'estimation des propriétés mécaniques isotropes à l'échelle des pores (voir Figure 2.5 droite) s'obtient également facilement avec le schéma IDD par (Bary 2010) :

1

Par ailleurs, un modèle orthotrope basé sur une approche similaire a été récemment développé et implanté dans Cast3M dans le cadre d'une application aux couplages CTM (Stora et al. 2009a), voir §3.3.2.

Macroscopiquement, la principale distinction entre cette approche et celle par exemple de Mazars (Mazars 1985) réside dans le fait que les paramètres k et µ évoluent différemment en fonction de ρ, alors qu’ils sont affectés par le même facteur de réduction (1−D) dans le modèle de Mazars, D étant la variable d'endommagement (voir aussi (Shao et al. 2006)). La variable d’endommagement étant choisie et le comportement du matériau endommagé défini (les microfissures étant supposées être toutes ouvertes), il reste à spécifier les évolutions de cette variable. La description précise de la propagation des fissures à l’échelle microscopique est un problème très complexe, surtout lorsque les interactions entre microfissures sont prises en compte. Ce problème sort du cadre de cette étude. On propose alors de spécifier pragmatiquement les évolutions de ρ directement à l’échelle macroscopique et sans avoir recours à la TPI, en

utilisant la formulation de Mazars dans laquelle ces évolutions sont contrôlées par la déformation équivalente définie par 2 ii 2

i

ε% =

ε +, sous la forme :

0

1 ε m

ρ ε

 

=  −

 

% si ε~≥ε0 (2.54)

avec la condition ρ& ≥0; m est un paramètre positif et ε0 correspond au seuil d’endommagement. A titre d’illustration, on présente Figure 2.7 (gauche) les courbes contraintes – déformations en traction obtenues pour différentes valeurs du paramètre m et en utilisant le schéma FR IDD. Les autres paramètres sont fixés à k0 =20.109 MPa, µ0 =17.109 MPa et

4 0 =1.10

ε . Les évolutions de ρ correspondant aux courbes contraintes – déformations sont représentées Figure 2.7 (droite). On s’aperçoit que ρ atteint des valeurs assez élevées pour des niveaux importants d’endommagement macroscopique.

Figure 2.7 : courbes contraintes – déformations en traction pour différentes valeurs du paramètre m (gauche) ; évolutions correspondantes du paramètre de densité de microfissures (droite) (Bary 2010).