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Chapitre I : Etat de l’art de la dosimétrie et de la planification de traitement en Radiothérapie Interne

3. Etat de l’art de la dosimétrie interne en médecine nucléaire

3.4. Modélisation de la biocinétique et distribution d’activité cumulée

La fixation du radiopharmaceutique dans l’organisme évolue au cours du temps du fait de la décroissance physique du radionucléide et de l’élimination biologique (hépatique, rénale, pulmonaire, …) du radiopharmaceutique. Cependant, la distribution spatiale du radiopharmaceutique dans le corps du patient ne peut pas être connue à tout instant. Afin d’estimer l’évolution de ces fixations au cours du temps et d’en déduire l’activité cumulée de chaque source nécessaire aux calculs dosimétriques, il est donc nécessaire de quantifier cette distribution à différents temps, à l’aide d’une ou plusieurs techniques présentées au paragraphe 3.3, et d’utiliser ensuite un modèle pour en déduire la cinétique de fixation et d’élimination du radiopharmaceutique. On peut noter que des cinétiques standards ont été publiées par la CIPR pour la plupart des radiopharmaceutiques diagnostiques [36-38]. Cependant, la biocinétique pouvant être très variable d’un individu à l’autre, il est indispensable de la déterminer au cas par cas pour les applications de médecine nucléaire thérapeutique.

3.4.1. Courbes activité/temps (TAC)

L’activité cumulée dans un volume (voxel, tissu, organe, …) correspond au nombre total de désintégrations ayant lieu dans ce volume pendant un intervalle de temps donné et est déterminée à partir de l’intégration de la courbe activité/temps (TAC – Time Activity Curve) qui définit l’activité présente dans le volume à un instant t. La Figure 5 (gauche) présente un exemple théorique type de TAC obtenue en médecine nucléaire ; deux phases principales pouvant être distinguées : la phase de distribution, qui correspond à la phase de fixation du radiopharmaceutique dans le volume d’intérêt et la phase d’élimination, qui correspond à sa disparition progressive de ce volume.

En pratique, les TAC sont établies à partir de plusieurs mesures (imagerie, prélèvements sanguins, …) espacées dans le temps, le choix de l’échantillonnage temporel étant primordial pour une description pertinente de la cinétique dans le volume considéré. De manière générale, la phase de distribution étant beaucoup plus rapide que la phase d’élimination, l’échantillonnage temporel utilisé en pratique est tel que seule la phase d’élimination est caractérisée. La Figure 5 (droite) présente un exemple type des TAC obtenues en pratique clinique.

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3.4.2. Calcul de l’activité cumulée

Une fois obtenue une TAC pour un volume donné, le calcul de l’activité cumulée dans ce volume pour un intervalle de temps donné nécessite l’intégration de la TAC sur cet intervalle de temps. Des méthodes d’intégration plus ou moins complexes peuvent être utilisées. Cependant, les processus biologiques étant généralement supposés suivre des lois exponentielles, les méthodes les plus courantes sont des régressions mono- ou bi-exponentielles, la méthode des trapèzes étant parfois utilisée en première approche. Il est intéressant de noter que les approches mono- ou bi-exponentielles sont cohérentes avec les théories compartimentales (à un ou deux compartiments) utilisées en pharmacocinétique.

Figure 5 : Exemples types de courbes activité/temps (TAC) obtenues en médecine nucléaire : exemple

théorique4 avec une phase de distribution et une phase d’élimination du radiopharmaceutique (gauche) et

exemple de TAC obtenue en clinique5 du fait d’un échantillonnage long par rapport à la durée de la phase

de distribution du radiopharmaceutique (droite).

En théorie, il est possible d’établir une TAC pour n’importe quel type de volume (le volume sanguin, un organe, un sous-compartiment d’un organe, un voxel, …). Cependant, en pratique, du fait des limitations inhérentes à l’échantillonnage temporel et aux techniques de quantification de l’activité (cf. § 3.3), les TAC sont établies à l’échelle des organes ou de sous-compartiments de certains organes ; le choix de ces volumes peut par ailleurs être déduit des études pharmacocinétiques conduisant à l’établissement de modèles compartimentaux décrivant les transferts biologiques existant entre les différentes zones anatomiques du corps. On peut citer par exemple, le cas des reins pour lesquels l’étude de leur fonctionnement a conduit à leur description à l’aide de douze compartiments [39].

En médecine nucléaire, l’activité cumulée est généralement calculée entre le moment de l’administration du radiopharmaceutique et un temps suffisamment long pour tenir compte de la totalité des désintégrations émanant de l’activité présente dans le corps du patient au cours du traitement. Etant donné l’élimination biologique du radiopharmaceutique et l’ordre de grandeur des périodes de décroissance radioactive des radionucléides utilisés en médecine nucléaire thérapeutique, l’élimination du radiopharmaceutique peut être considérée comme totale à un certain moment de la vie du patient. Un temps infini est donc considéré dans la majorité des cas pour l’intégration des courbes TAC.

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La phase de distribution est beaucoup plus courte que la phase d’élimination. En pratique, la TAC est donc caractérisée par une pente beaucoup plus abrupte que celle représentée sur cet exemple.

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En pratique, la phase de distribution est généralement négligée et le premier point de mesure est considéré comme la valeur initiale de la courbe.

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Modèle mono-exponentiel

Une première approche possible pour modéliser la phase d’élimination de la TAC pour une source rS

donnée consiste à utiliser un modèle mono-exponentiel. Ce modèle revient à considérer un volume source contenant une activité A(rS,0) à l’instant 0 et pour lequel la disparition de l’activité suit une loi exponentielle. Ce modèle conduit donc à l’introduction de la notion de période effective Teff, qui caractérise la combinaison des deux phénomènes concourant à la disparition du radiopharmaceutique, à savoir son élimination biologique et la décroissance physique du radionucléide. Des modèles exponentiels sont utilisés pour caractériser ces deux phénomènes ; les périodes physique (Tphys) et biologique (Tbiol) sont alors introduites. L’activité à un instant t est alors définie par l’équation 1.8 ci-dessous, où ( ), et la relation entre les différentes périodes est caractérisée par l’équation 1.9.

( ) ( ) ( ) (1.8)

(1.9)

L’activité cumulée à partir du moment de l’administration, et jusqu’à l’infini, est alors calculée à l’aide de l’équation 1.10 ci-dessous.

̃( ) ∫ ( ) ( )

( ) (1.10)

On peut noter que la période effective est donc toujours inférieure ou égale aux périodes physique et biologique et qu’elle varie d’un organe ou sous-compartiment à l’autre en fonction de leur métabolisme. Ce dernier point rend d’autant plus difficile le choix d’un échantillonnage temporel optimal pour l’établissement des TAC. En effet, l’échantillonnage temporel ne pouvant, dans la majorité des cas, être optimal pour l’ensemble des organes, l’analyse de la littérature existante et des études préliminaires sont donc essentielles pour définir le protocole d’échantillonnage le plus adapté, notamment au niveau des organes à risque.

De plus, du point de vue de l’élaboration d’un radiopharmaceutique à visée thérapeutique, la période effective de celui-ci doit être longue dans la tumeur et courte dans les tissus sains. Un des critères permettant de choisir le radionucléide le plus approprié pour un vecteur donné est donc d’avoir une période physique entre 1,5 et 3 fois plus longue que le temps nécessaire au vecteur pour atteindre le maximum du différentiel de fixation entre la tumeur et les tissus sains [40].

Modèle bi-exponentiel

Outre la régression mono-exponentielle, la décomposition des TAC peut également être effectuée sous forme d’une série de fonctions exponentielles. Les modèles bi-exponentiels, qui consistent à considérer une phase d’élimination rapide du radiopharmaceutique suivie d’une phase d’élimination lente sont les plus couramment utilisés en pratique. L’activité à un instant t est alors décrite par l’équation 1.11, où λbiol,R

et λbiol,L sont les constantes de décroissance biologique associées aux exponentielles rapide et lente, respectivement, pour la source rS.

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29 L’activité cumulée dans la source rS à partir du moment de l’administration, et jusqu’à l’infini, est alors calculée à l’aide de l’équation 1.12, où Teff,R et Teff,L sont les périodes associées respectivement aux exponentielles rapide et lente et sont définies par ( ).

̃( ) ∫ ( )

( ) [ ( ) ( ) ] (1.12)

3.4.3. Logiciels dédiés à la modélisation de la biocinétique

Plusieurs logiciels peuvent être utilisés pour calculer l’activité cumulée dans des régions d’intérêt à partir des TAC. Certains d’entre eux, tels qu’Excel® (Microsoft Office) ou CurveExpert Professional® peuvent être utilisés pour des régressions linéaires ou non linéaires sans pour autant être dédiés aux applications de pharmacocinétiques. Des logiciels dédiés aux applications de pharmacocinétiques sont également disponibles pour réaliser des régressions linéaires et non linéaires et analyser les données. On peut citer, par exemple, Monolix® (Lixoft, France), développé à la suite d’une décennie de recherche conduite par l’INRIA (Institut National de la Recherche en Informatique et Automatique), Graphpad Prism® (GraphPad Software, USA), développé à l’origine pour les biologistes en école de médecine et les entreprises pharmaceutiques, ou encore SAAM II® (The Epsilon Group, USA), permettant la mise au point de modèles compartimentaux pour les systèmes biologiques, métaboliques et pharmaceutiques. Enfin, Glatting et al. développent depuis quelques années un logiciel dédié aux applications de RIV, baptisé NUKFIT [41-42]. Ce logiciel utilise un algorithme permettant de choisir le meilleur modèle de régression parmi un ensemble de fonctions prédéfinies en fonction d’un modèle d’erreur et du critère d’information de Akaike (AIC – Akaike information Criterion) [43] dont la pertinence pour déterminer la meilleure régression a été démontrée [44].

3.4.4. Limitations et perspectives

L’estimation de l’activité cumulée en médecine nucléaire est complexe et dépend de nombreux paramètres, tels que la quantification de l’activité à différents temps, l’échantillonnage temporel de ces mesures et le modèle de régression utilisé pour calculer l’activité cumulée. Au-delà des limitations inhérentes aux techniques de quantification de l’activité, le nombre de points de mesure est limité en pratique par la faisabilité clinique des examens. Ces limitations nécessitent donc des études préliminaires poussées visant à définir le protocole d’examens le plus adéquat, réalisable en routine clinique, qui permette d’estimer l’activité cumulée dans chaque région anatomique d’intérêt avec le plus de précision possible.

A l’heure actuelle, les modélisations de la biocinétique sont généralement réalisées à l’échelle des organes, ou éventuellement à l’échelle de sous-compartiments anatomiques. Cette approche suppose donc que la fixation de l’activité dans ces compartiments évolue au cours du temps de manière homogène spatialement. Cependant, le potentiel lié aux techniques d’imagerie d’émission tridimensionnelle (TEMP ou TEP) laisse entrevoir la possibilité de caractériser l’évolution de la fixation à une échelle plus fine, comme par exemple à l’échelle des voxels ou de groupes de voxels.