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La simulation numérique des écoulements liquide-vapeur dans des conditions réa- listes est un véritable défi à l’égard des multiples difficultés relatives à la modélisa- tion physique autant qu’aux méthodes numériques. En effet, il s’agit de représenter un écoulement comportant des interfaces liquide-vapeur de dynamique rapide avec de plus des changements de phase.

À l’échelle la plus locale, un écoulement diphasique est constitué de fluides monopha- siques (la vapeur et le liquide) séparés par des interfaces mobiles. Une des complexités de ces écoulements (avec ou sans changement de phase) provient justement de la pré- sence de ces interfaces qui sont le siège d’échanges entre les phases et dont la position est une inconnue supplémentaire du problème (par rapport au cas monophasique).

Parmi les méthodes qui permettent l’étude de la dynamique de ces interfaces, nous privilégions une approche de «capture» d’interface sur un maillage eulérien plutôt que le «suivi» lagrangien d’une interface. Dans cette modélisation les mouvements des phases sont régis par un seul système d’équations aux dérivées partielles. Du point de vue de la résolution numérique cela signifie que les interfaces ne sont plus des sur- faces que l’on doit suivre et auxquelles il faut vérifier des bilans interfaciaux, mais qu’elles sont des solutions particulières du système résolu. Ces méthodes présentent l’avantage de pouvoir facilement prendre en compte l’évolution de plusieurs inclusions au sein d’un même domaine et, en conséquence, de tenir compte des changements de topologie du système diphasique. En contrepartie, numériquement cette approche s’accompagne inévitablement d’une certaine diffusion artificielle de l’interface, qui a pour conséquence la création d’une zone numérique de «mélange» des deux milieux. En d’autres termes, dans cette approche les interfaces sont modélisées comme des surfaces de discontinuité mais où, pour des raisons purement numériques, il est nécessaire de transformer certaines discontinuités en fonctions continues. Bien que parfaitement compréhensible, cette manière de procéder n’est pas clairement justifiée d’un point de vue physique. Si l’on souhaite garder les avantages de l’utilisation d’un maillage fixe, on doit, à un moment donné de la résolution numérique, distribuer sur le maillage fixe des grandeurs normalement discontinues ou concentrées sur les surfaces de discon- tinuité. L’idée est alors de considérer dès la formulation mathématique du problème, c’est-à-dire dès l’écriture des équations aux dérivées partielles, que les interfaces ne sont pas des surfaces de discontinuité mais des zones volumiques de transition.

Si le cadre général des modèles à interface diffuse est bien adapté à notre type de pro- blème car ils permettent notamment de rendre compte sans grand effort numérique ni

Section 1.4. Modélisation

algorithmique des changements topologiques, la connaissance du comportement ther- modynamique dans cette zone de diffusion s’avère cependant essentielle pour la bonne marche de la résolution. Néanmoins, elle s’avère délicate, ces états étant purement fic- tifs. De plus, si l’état thermodynamique est mal déterminé, les méthodes numériques échouent très rapidement en raison de pressions négatives par exemple ou de vitesses du son complexes.

Donc, pour pouvoir capturer ces interfaces «épaissies» on a besoin d’un modèle qui «tolère» les épaississements, c’est-à-dire qui permet le calcul dans les zones diffuses aussi bien que dans les zones monophasiques et qui dégénère vers le modèle discon- tinu lorsque l’épaisseur de l’interface tend vers zéro. La meilleure manière de la déter- miner est de se baser sur des principes physiques, ce qui garantit la cohérence de la formulation.

1.4.1. Interfaces diffuses et loi de fermeture

Dans le cadre de la mécanique des milieux continus, tout état de la matière est carac- térisé par plusieurs variables macroscopiques, telles la densité molaire (x, t) 7→ ρ(x, t), la vitesse (x, t) 7→ u(x, t) et l’énergie interne molaire (x, t) 7→ ε(x, t). Son évolution est décrite par les équations de conservation de la masse, de la quantité de mouvement et de l’énergie totale. On obtient ainsi le système des équations d’Euler décrivant l’évo- lution d’un fluide compressible non visqueux en l’absence d’échanges de chaleur avec

l’extérieur :           ∂tρ+div(ρu) = 0, ∂t(ρu) +div(ρu ⊗ u + P) = 0, ∂t  ρ |u|2 2 + ε  +div  ρ |u|2 2 + ε  u + Pu= 0.

Une relation supplémentaire modélisant les propriétés du fluide doit alors être connue pour fermer ce système : il s’agit d’une équation d’état qui permet de trouver la pres- sion en fonction des autres variables d’état (ρ, ε) 7→ P.

La modélisation que nous allons étudier est de l’ordre de quelques bulles. À cette échelle, la séparation entre le liquide et sa vapeur est un front de discontinuité à tra- vers lequel les propriétés du fluide changent. Une approche naturelle pour décrire simultanément la phase liquide et la phase vapeur d’un même fluide est alors l’intro- duction d’une «fonction couleur» (x, t) 7→ ϕ tel que si à l’instant t le fluide est dans sa phase liquide au point x alors ϕ(x, t) = 1 et si le fluide est dans sa phase vapeur alors ϕ(x, t) = 0.

Liquide ϕ = 1 Vapeur ϕ = 0 x ϕ ϕ= 0 ϕ= 1 Interface ∂tϕ+ u · ∇ϕ = 0 Fonction couleur

En faisant ainsi on peut définir la pression P de façon naturelle comme

(ρ(x, t), ε(x, t))7→ P= ϕ(x, t)Pdéf liq ρ(x, t), ε(x, t)+ 1 − ϕ(x, t)Pvap ρ(x, t), ε(x, t). Si pour le moment on ne considère que l’écoulement en négligeant le changement de phase, la position de l’interface est déterminée simplement par la résolution de l’équation de transport

∂tϕ+ u ·∇ϕ = 0.

L’équation de transport et les équations d’Euler fermées par la loi de pression ci- dessus sont telles que, si à l’instant initial la fonction couleur ϕ ne prend que les valeurs 0 ou 1, alors c’est le cas à tout instant t > 0. Cependant, la résolution numé- rique de ces équations fait apparaître une zone de mélange artificiel (correspondant à 0 < ϕ < 1) dans laquelle il n’est pas possible d’interpréter l’état thermodynamique obtenu (car il n’est pas pris en compte dans le modèle) ni donc de continuer le calcul.

Liquide ϕ = 1 Vapeur ϕ = 0 x ϕ ϕ= 0 ϕ= 1 ? ? ? ? Diffusion numérique 0 < ϕ < 1 Fonction couleur

Afin de remédier à ce problème on modifie alors notre modélisation. En introduisant directement dans le modèle un fluide fictif dans ces zones équivalent à un mélange des deux phases, on sera ainsi amené à interpréter les variables physiques au sein des in- terfaces étalées dès la phase de la modélisation et non lors de la résolution numérique.

Section 1.4. Modélisation Liquide ϕ= 1 Vapeur ϕ = 0 x ϕ ϕ= 0 ϕ= 1 Fluide fictif 0 < ϕ < 1 Fonction couleur

Grâce à l’introduction de ce fluide fictif (qu’on appellera «mélange à l’équilibre»), on pourra définir un modèle d’écoulement de deux phases décrit par des variables qui varient fortement mais continûment aux interfaces. La variable ϕ pourra être interprétée comme une fraction (par exemple massique ou volumique) de la phase 1 dans ce mélange.

Parmi les principaux atouts de cette méthode il y a le fait que les deux phases ne sont pas décrites par des modèles différents incluant une représentation explicite de l’interface, mais par un modèle unique permettant de résoudre en tout point les mêmes équations avec la même méthode numérique. Ce dernier est donc un modèle monofluide dans lequel l’écoulement est régi par un jeu d’équations unique pour les deux phases et le fluide fictif. Ainsi la gestion des interfaces et leurs déplacements sont intrinsèques au modèle puisqu’un seul système d’équations aux dérivées partielles suffit pour dé- crire l’ensemble du système liquide-vapeur, y compris les interfaces. La formulation choisie permet non seulement de rendre compte des fortes variations de masse volu- mique à travers les interfaces entre phases distinctes, mais également de considérer la fonction couleur ϕ comme une fonction continue de l’espace. Plus généralement, toutes les grandeurs physiques relatives au fluide peuvent être considérées comme continues en dehors des chocs possibles. On verra de plus que la prise en compte du changement de phase ainsi que les changements de topologie peuvent être faits directement via une définition adéquate de la pression.

1.4.2. Loi d’état de changement de phase

Puisque l’épaisseur des interfaces est artificielle,3il faut «construire» un fluide fictif

dans la zone de coexistence de façon à avoir une et une seule loi d’état continue et valable pour tout (x, t). De plus, cette construction devra prendre en compte le chan- gement de phase. Pour cela on pourrait s’inspirer de modèles préexistants ; citons no- tamment la méthode du second gradient (voir par exemple les thèses de doctorat de Jamet [55] ou de Fouillet [37] ou l’article de Jamet et al. [56]) qui s’inspire de la phy- sique aux échelles inférieures pour définir le comportement du fluide dans l’interface,

3Soulignons que, à des échelles plus fines que celle choisie, les interfaces peuvent effectivement être consi-

dérées comme des zones volumiques de transition entre deux phases, mais cette épaisseur est trop faible pour que, à l’échelle à laquelle nous nous sommes placés, les interfaces diffuses de notre modèle puissent être considérées comme physiques.

ou les modèles de type phase field (en particulier le modèle développé dans la thèse de doctorat de Ruyer [87]) qui visent à contrôler l’épaisseur de cette interface.

L’approche que nous avons retenue est la suivante : en définissant la fonction couleur ϕcomme une sorte de «taux de présence», nous nous baserons sur la thermodynamique classique afin de décrire le changement de phase. Le système d’équations aux dérivées partielles que l’on utilise correspond ainsi aux équations d’Euler fermées par une loi d’état de mélange obtenue par maximisation de l’entropie (physique). L’évolution (et donc l’épaisseur) de l’interface est alors contrôlée par les équations classiques de la mécanique des fluides compressibles non visqueux. On tient alors compte du second principe de la thermodynamique via une définition appropriée de la pression qui sera valable dans les phases pures ainsi que dans la zone de coexistence.

Grâce à cette démarche les interfaces et les changements de phase sont définis impli- citement. Les interfaces se situent dans les régions de fortes variations de la densité ; leurs déplacements par convection et par changement de phase ainsi que des ruptures ou reconnections d’interfaces sont implicitement pris en compte dans la solution des équations de mouvement. De plus, le changement de phase respecte la thermodyna- mique classique, c’est-à-dire qu’il tient compte des courbes de saturation.

1.4.3. Propriétés mathématiques

Il est bien connu que la loi de changement de phase ainsi définie est en partie dégé- nérée au sens où elle est caractérisée par une entropie concave mais pas strictement concave. Ceci peut poser un problème car la stricte concavité de l’entropie est la condi- tion suffisante usuelle qui assure que le système d’Euler est hyperbolique (cette der- nière propriété étant nécessaire pour la résolution théorique et numérique des équa- tions). Bien que les vitesses caractéristiques (c’est-à-dire les valeurs propres de la ma- trice jacobienne) soient réelles, il n’était pas évident que la vitesse du son était non nulle, propriété nécessaire à l’existence d’une base de vecteurs propres réels et donc à l’hyperbolicité du système. Dans Allaire et al. [2] nous avons démontré que, sous des hypothèses génériques, le système d’Euler diphasique avec changement de phase est effectivement strictement hyperbolique mais que la vitesse du son est discontinue.

Après avoir démontré la stricte hyperbolicité du système des équations d’Euler muni de cette loi d’état, nous avons rappelé quelques points à propos de l’existence et de l’uni- cité des solutions du problème de Riemann. Il est bien connu (cf. par exemple Jaouen [58], Menikoff et Plohr [80], Voß [96]) qu’il existe plusieurs solutions entropiques à cause de la discontinuité de la vitesse du son. Il est néanmoins possible de résoudre le problème de Riemann de manière unique grâce au critère entropique de Liu (voir par exemple Jaouen [58], Voß [96]).

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