Chapitre 7 Vieillissement dans les verres de silice 125
7.3 Modèles de vieillissement
Historiquement, le phénomène de vieillissement a tout d’abord été considéré comme
une difficulté expérimentale qui se manifeste par la non reproductibilité des mesures des
différentes propriétés des matériaux vitreux. Mais, par la suite, cet aspect incontournable
des matériaux complexes qui n’atteignent jamais l’équilibre sur des temps accessibles
ex-périmentalement, s’est révélé être en fait un outil précieux pour l’étude des matériaux
amorphes et la compréhension de leurs propriétés. Ainsi, il est apparu à la suite de
nom-breuses études (dont celles du vieillissement physique des verres de spin et des polymères,
en particulier) qu’il s’agissait d’un phénomène parfaitement reproductible, et de surcroît
assez peu dépendant de la structure microscopique des matériaux considérés. Ce qui
néces-site alors de développer une théorie permettant de décrire les observations expérimentales.
Très vite, les verres de spin, matériaux magnétiques désordonnés et frustrés, constitués de
7.3. Modèles de vieillissement
moments magnétiques en interactions aléatoires (pouvant être modélisés par un
Hamil-tonien très général), sont apparus comme des systèmes modèles simples pour la physique
statistique des systèmes complexes. Il a fallu cependant attendre quelques années pour
que cet Hamiltonien commence à donner des résultats et ce n’est qu’au cours des dix
dernières années que les études de la dynamique hors d’équilibre des verres de spin ont
réellement pris leur envol. Pourtant, en dépit des efforts et des nombreux modèles
phéno-ménologiques proposés, une description unifiée du phénomène de vieillissement n’existe
pas encore.
Pour comprendre les phénomènes de vieillissement présents dans les divers matériaux
amorphes, plusieurs approches expérimentales [3, 172, 230], théoriques [58, 79, 96] et des
approches par simulations numériques [8, 59, 205] ont été développées. Il existe aujourd’hui
une littérature abondante sur le sujet et il n’est bien sûr pas possible de faire ici une revue
exhaustive et détaillée de l’ensemble des modèles. Un des mécanismes les plus simples,
qui conduit à des phénomènes de vieillissement, est basé sur le concept de la croissance
des domaines (cf. §7.3.1). Pour un certain nombre de modèles simples de champ moyen
où les interactions ont une portée infinie, il a été possible de caractériser les propriétés de
la dynamique hors d’équilibre et de montrer l’existence d’un régime de vieillissement.
Les différentes approches explorées pour expliquer les phénomènes de vieillissement
dans les matériaux vitreux peuvent être groupées en deux grandes catégories. La première,
inspirée de la théorie des verres de spin, appelée modèle dans l’espace des phases. Dans
ce modèle, l’espace des phases présente un paysage d’énergie accidenté où le système
peut se retrouver piégé dans des états métastables. Ces modèles s’attachent à décrire
la dynamique hors équilibre comme une exploration lente et progressive d’un paysage
d’énergie complexe, constitué d’un grand nombre d’états métastables séparés par des
barrières d’énergie de toutes tailles. La seconde catégorie, issue du ferromagnétisme, est
dite croissance de domaines et théories d’échelles. Ces modèles décrivent le vieillissement
comme une mise en ordre progressive impliquant des processus de type croissance de
domaines.
7.3.1 Croissance des domaines
Le cas le plus simple où les effets de vieillissement doivent apparaître est la phase de
mise en ordre dans des systèmes purs. Cette croissance des domaines est le mécanisme
le plus simple qui conduit au vieillissement. Une longueur de corrélation augmente avec
le temps d’attente tw, créant ainsi des domaines de taille ζ(tw). Ces domaines évoluent
en suivant une loi en puissance avec le temps, c’est à dire qu’elles varient rapidement
en fonction du temps même pour des températures très basses. Loin à l’intérieur d’un
domaine, le système semble à l’équilibre, mais sur des échelles de temps comparables à
tw, les parois des domaines se déplacent sur des distances comparables àζ(tw), autrement
dit le système évolue. Cette évolution avec une loi en puissance signifie que les temps
de relaxation doivent être du même ordre de grandeur que les temps d’attente tw. Ce
comportement a été confirmé par plusieurs modèles de croissance comme le modèle d’Ising
et par le modèle sphérique où il est possible de calculer explicitement les fonctions de
corrélations à deux temps.
C(tw+t, tw) = C∞(t) +CAG
t
tw
, (7.1)
D’autres observables peuvent être aussi calculées, comme l’effet d’un champ
magné-tique extérieur sur le vieillissement. Il a été montré que la partie de la fonction de
corré-lation, due au vieillissement évolue comme ζ(tw)−1 quand le temps tw augmente.
La croissance des domaines dans les systèmes purs est gouvernée par les tensions de
surface des domaines et ne nécessite pas une activation thermique, ce qui rend difficile la
détection expérimentale des phénomènes de vieillissement dans ces systèmes parce que la
taille typique des domaines atteint rapidement son maximum.
7.3.2 Espace des phases
Ce modèle est une approche inspirée des études en champ moyen [70, 178] et
dévelop-pée par Bouchaud et al. [29, 30, 31] dans les verres de spin. Ce modèle est d’une portée
très générale, donc il est encore applicable aux autres matériaux vitreux. Le vieillissement
se produit naturellement dans une situation de brisure faible d’ergodicité, qui correspond
à une impossibilité statistique pour un système de réaliser des taux d’occupation
d’équi-libre entre les différents états métastables. Dans sa version la plus simple (le modèle des
pièges simple), le vieillissement est décrit comme une marche aléatoire dans une collection
de pièges équi-accessibles avec des temps de piégeage (τ). A chaque piège sont associées
7.3. Modèles de vieillissement
sont alors obtenues en moyennant sur un ensemble de sous-systèmes décorrélés. Le lien
avec la solution champ moyen correspond ici au choix particulier d’une distribution
expo-nentielle pour les profondeurs de pièges [178]. Pour des processus thermiquement activés,
ceci conduit à la distribution suivante pour les temps de piégeage :
ψ(τ) = xτ
x
0
τ1+x, pour τ >> τ0 (7.2)
où x est un exposant dépendant de la température et décrivant la structure de l’espace
des phases.
Le point crucial est que x < 1 dans la phase verre de spin. Par conséquent, la
va-leur moyenne de (ψ(τ)) diverge et le temps moyen nécessaire pour explorer l’ensemble
des pièges (et atteindre l’ergodicité) est infini. Ce scénario est appelé brisure faible
d’er-godicité dans le sens où l’équilibre n’est jamais atteint mais le système ne reste jamais
piégé dans une région finie de l’espace des phases, ce qui conduit donc à une fonction
de corrélation nulle asymptotiquement. Il s’agit là d’une situation très différente de la
brisure d’ergodicité usuelle où le système peut atteindre assez rapidement une
configura-tion d’équilibre mais reste piégé dans une certaine région de l’espace des phases. Puisque
x < 1, la distribution des pièges est très large. Après une marche aléatoire pendant un
temps tw, le système a visité un grand nombre de pièges de courte durée de vie mais en
un laps de temps relativement court en comparaison avectw. Une des propriétés générales
de ces distributions larges est que les contributions les plus importantes proviennent des
événements les plus grands, bien qu’ils soient rares. En conséquence, après un temps tw,
le système a la plus grande probabilité de se trouver dans un piège de temps
caractéris-tique de l’ordre de tw. Si le champ magnétique est modifié à cet instant, la plupart des
sous-systèmes auront donc besoin d’un temps de l’ordre de tw avant de pouvoir changer
leur aimantation.
Ce modèle, qui se base sur une description statistique de l’espace des états métastables,
permet de rendre compte du phénomène de vieillissement observé expérimentalement dans
les relaxations de l’aimantation et sur la susceptibilité magnétique. En particulier, il
dans sa forme la plus simple, il ne permet pourtant pas d’expliquer les effets de
rajeu-nissement et de mémoire observés dans les expériences où l’on fait subir des variations
de température à un verre de spin pendant son vieillissement, ni par ailleurs l’existence
d’une partie stationnaire. Pour rendre compte de ces aspects particuliers du
vieillisse-ment, une version plus élaborée a été développée [29] dans laquelle les états métastables
du verre de spin (les pièges) sont organisés hiérarchiquement, sur un arbre, en fonction
de la température. Il s’agit là en quelque sorte d’une image de pièges dans les pièges dans
les pièges.
Dans le document
Etude des processus de vieillissement des matériaux amorphes hors d'équilibre.
(Page 149-153)