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Autres modèles de loi cinétique

1.1 Modélisation de la décomposition thermique des matériaux

1.1.3 Autres modèles de loi cinétique

De nombreuses autres approches ont été expérimentées depuis le XIXe siècle afin de modéliser la cinétique de décomposition des espèces chimiques.

Dans le domaine de l’incendie, la plus simple consiste à prendre en compte une chi-mie infiniment rapide, associée à une température d’activation et à se focaliser sur le bilan énergétique de la décomposition thermique. L’hypothèse d’une chimie infiniment rapide en phase solide permet de définir un terme source de gaz de pyrolyse directement pro-portionnel à l’énergie transmise au matériau et à son enthalpie apparente de vaporisation (QUINTIERE,2006). Cela se traduit simplement de la manière suivante, en considérant la masse réactive sur un volume de contrôle :

∀T < Tactivation, m(T) =m0 ∀T ≥Tactivation, m(T) =m∞ (1.19) Dans une démarche de complexité croissante, on rencontre ensuite les modèle dits de puissance, ou encore modèles de Harcourt et Esson (HARCOURT et ESSON, 1895), pour lesquels la constante cinétique est écrite sous la forme :

k(T) =A Tm (1.20) Ces modèles utilisent donc une formulation mathématique très simple pour repro-duire la constante de réaction, préférant une bonne adéquation entre les données expé-rimentales et un modèle analytique simple et très facilement intégrable, à une justification physique de la loi utilisée (CARLOTTI, THIRYet BOULET,2016, TORERO,2013). Une telle approche permet de travailler directement sur l’expression analytique de la masse, et ainsi

20 Chapitre 1. Perte de masse par décomposition thermique de prendre en compte de manière élégante des notions de mélange et de chimie à plu-sieurs étapes (CARLOTTI, THIRY et BOULET, 2016). Cependant, cette approche présente l’inconvénient majeur de ne reposer sur aucune justification théorique. Enfin, à l’usage, cette famille de modèle s’est avérée relativement peu précise en termes de reproduction des données expérimentales, sauf sur quelques matériaux en particulier.

Enfin, dans la catégorie des modèles à paramètres constants, Laidler a réalisé un état de l’art très documenté sur la question (LAIDLER,1984b). Il arrive à la conclusion que, en dehors de la loi d’Arrhénius telle que généralement employée, toutes les autres formula-tions mènent à des impasses théoriques (theoritically sterile). Il relève cependant l’intérêt du modèle suivant (TRAUTZ,1909), et sa capacité à reproduire avec des meilleurs résultats un panel important de réactions, permettant de reproduire très précisément les cinétiques pour lesquelles l’équation d’Arrhénius classique était en défaut :

lnk(T) =A+B/T +ClnT (1.21) Il est intéressant de garder à l’esprit la forme générale de ce modèle lors de la lecture du chapitre 4 du présent manuscrit, et en particulier que ce modèle n’a pas été développé par le passé du fait de la difficulté à donner un sens physique à la constante C.

Les approches isoconversionnelles regroupent de nombreuses méthodes très largement utilisées par les spécialistes de la cinétique de décomposition en phase solide. Elles re-posent sur l’analyse de plusieurs courbes de perte de masse, caractérisées par des vitesses de chauffage différentes. Ces courbes sont exploitées pour des taux de conversion,α, iden-tiques (voir graphique1.8) et cette démarche repose sur l’hypothèse sous-jacente queαest assimilable à une variable d’état.

Ces méthodes conduisent, en fonction des hypothèses utilisées, à différentes formules de corrélation en vue de déterminer le triplet cinétique(A, E, f)(COATSet REDFERN,1964, OSAWA,1965, FLYNNet WALL,1966, AKAHIRAet SUNOSE,1971).

À titre d’exemple, ACHAR, BRINDLEY et SHAP, 1966 a proposé la forme suivante, connue sous le nom de méthode ABS, de portée générale en condition non-isotherme, pour déterminer les paramètres à partir de plusieurs vitesses de chauffage et sous l’hypo-thèse préalable d’une fonction de conversion identifiée.

ln β dT f(α) ! = lnA− E RT (1.22)

Dans un second temps, une évolution intéressante de l’approche isoconversionnelle a été développée à partir des années90(VYAZOVKINet DOLLIMORE,1996et SBIRRAZZUOLI,

2013), à partir des développements de FRIEDMAN,1964. Elle consiste à conserver l’expres-sion générale dek(T), mais en introduisant le fait queAetEpuissent cette fois dépendre de l’état du système, et en particulier de son avancement, α. Ces méthodes sont souvent citées commemodel-free, car elles ne présupposent plus de fonction de conversion lors de leur application. Elles rentrent dans la catégorie des méthodesisoconversionnellesdans la mesure où les valeurs E(α) etA(α)sont calculées à partir de plusieurs programmes de température, pour des taux de conversion donnés.

Cette approche revient à considérer une réaction de décomposition comme une unique réaction globale dont les paramètres cinétiques sont susceptibles de varier continuement pour rendre compte de l’hétérogénéité de la matière. De manière simplifiée, les lois ciné-tiques isoconversionnellesmodel-frees’écrivent :

1.1. Modélisation de la décomposition thermique des matériaux 21

FIGURE1.8 – Exemple de détermination des couples(1−α, T)dans le cadre des méthodes isoconversionnelles - extrait de MATALA,2013

dt = [A(α)f(α)]e

−E(α)/kBT

(1.23) Les deux grandes approches se distinguent par une formulation différentielle ou inté-grale du problème posé. La méthode de Friedman exploite la forme différentielle suivante (FRIEDMAN,1964) ; l’indiceise réfère auie programme thermique utilisé pour traiter les données. Un exemple parmi les nombreuses applications peut être trouvé dans SNEGIREV

et al.,2013. ln dt α,i = ln[A(α)f(α)]−E(α) kBT (1.24) La méthode de Vyazovkin, basée sur une formulation intégrale et variationnelle (VYA

-ZOVKINet DOLLIMORE,1996et largement exploitée dans la thèse de RIERA,2013), consiste à minimiser la fonction de coût suivante.

(C) = n X i=0 n X j6=i J[Eα, Ti(tα)] J[Eα, Tj(tα)] (1.25) Avec : J[Eα, Ti(tα)] = Z tα−∆α exp Eα kBTi(t)dt (1.26)

A(α)étant calculée dans un second temps une foisE(α)connue.

L’un des avantages les plus notables de cette approche(E(α), A(α))est qu’elle permet, par construction, de prendre en compte la variation des paramètres cinétiques en fonction de la vitesse de chauffage. De même, son utilisation permet de s’affranchir de la notion de mécanisme réactionnel (sauf dans le cadre de la compréhension du spectre obtenu). Un

22 Chapitre 1. Perte de masse par décomposition thermique exemple d’utilisation de cette méthode est traité dans la section1.1.4.

Enfin, le modèle le plus innovant qui a été développé est sans conteste le modèleCDV, pour Congruent Dissociative Volatilization(L’VOV,2007), présenté comme une alternative aux approches basées sur les lois d’Arrhénius ou, pour reprendre ses termes, aux modèles d’activation cinétique. Celui-ci part du postulat de base selon lequel il est totalement im-probable que la transformation d’un réactif solide en produits solides, lesquels auront des configurations spatiales potentiellement très différentes, se déroule au sein de la phase solide (et dans une moindre mesure, au sein d’une phase condensée). Il postule donc l’existence d’état intermédiaires assimilables à des espèces gazeuses qui vont subir to-talement ou partiellement une recondensation à la surface du matériau. Subsidiairement, cette théorie postule également que les produits de décomposition peuvent être très diffé-rents de leur forme d’équilibre et que l’énergie libérée lors de la condensation des espèces peu volatiles dans la zone de réaction peut diminuer l’enthalpie totale de la réaction de décomposition.

De manière simplifiée, cela revient à considérer la réaction suivante :

Asolide=⇒Igaz↓+Vgaz (1.27)

Où la flèche symbolise la condensation des espèces peu volatiles.

Fort de ce constat, L’Vov décrit alors la réaction de décomposition comme un flux de produits à l’interface solide/milieu extérieur, en quasi-équilibre thermodynamique. Ce flux se calcule sur la base des équations de Hertz-Langmuir (HERTZ, 1882, LANGMUIR,

1916), lesquelles induisent la dépendance exponentielle à la température par un terme de pression d’équilibre. Sur la base de l’équation 1.27, cela conduit à l’expression suivante, valable pour une décomposition au sein d’un balayage par un gaz inerte (plaçant le sys-tème dans le cadre du régimeéquimolaireintroduit par L’vov) :

JV =f(I, V) DV kBT exp 0 rH(T0) kBT + ∆ 0 rS(T0) (1.28) Oùf(I, V)est une constante construite à partir des propriétés des espèces Inertes et Volatiles (masse molaire, coefficients stoechiométriques, ...),DV le coefficient de diffusion de l’espèceV dans le gaz inerte et les termes∆0rH(T0)et∆0rS(T0)sont, respectivement, les enthalpies et entropies standards de la réaction de décomposition.

Ce modèleCDV a fait l’objet de nombreuses confrontations avec l’expérience dans le cadre de la décomposition des oxydes métalliques, des oxalates et autres sels, avec des résultats très prometteurs. Toutefois, il reste peu, voire pas, appliqué à ce jour et s’avère complexe d’utilisation dans le cadre d’applications en ingénierie. L’Vov, dans son ouvrage, indique toutefois que le modèleCDV permet de s’affranchir de nombreux écueils rencon-trés lors de l’usage de la loi d’Arrhénius classique comme, par exemple, l’influence de la masse initiale et du débit de gaz de balayage sur les thermogrammes obtenus à l’analyseur thermogravimétrique.

Enfin, plusieurs initiatives ont été proposées pour augmenter les capacités prédictives des modèles cinétiques employés. Il est possible de citer, à titre d’exemple, le travail de BRUNS,2015, de SKRDLA,2014ou encore de VARHEGYIet al.,2011, lesquels introduisent une fonction de densité de probabilité en lieu et place deE. Ces modèles ne seront toute-fois pas développés ici, car ils entrent dans la catégorie des outils statistiques permettant

1.1. Modélisation de la décomposition thermique des matériaux 23 de minimiser l’erreur des modèles, sans apporter d’améliorations significatives du point de vue théorique.

Les limites et contraintes liées à l’utilisation de ces modèles sont décrites dans la sec-tion1.3, laquelle viendra conclure ce chapitre de synthèse bibliographique.