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A.2. Des Processus automatiques de généralisation cartographique

A.2.4. Les Modèles pas à pas locaux

L'approche pas à pas locale est celle qui applique littéralement la proposition de (McMaster et Shea, 1988 ; Shea et McMaster, 1989) en répondant aux questions quand, comment, et pourquoi généraliser ? C'est la présence locale de conflits cartographiques, que l’on peut définir comme des contraintes non satisfaites selon les principes de (Beard, 1991), qui déclenche dans cette approche les opérations de généralisation. Ces conflits sont détectés par des mesures d'analyse spatiale et dépendent des spécifications du produit final recherché. Ces mesures servent également à analyser le contexte géographique et les caractéristiques du conflit pour déterminer quel algorithme sera utilisé et avec quels paramètres.

Des premiers processus ont adopté cette approche pas à pas locale pour traiter des problèmes de généralisation spécifiques comme la généralisation des groupes de lacs (Müller et Wang, 1992) ou pour la généralisation des routes de montagne (Figure A-20) avec le processus GALBE (Mustière, 1998).

Plusieurs modèles théoriques ont été proposés pour détailler cette approche pas à pas locale. Ainsi, le modèle de (Ruas et Plazanet, 1996) détaille l'étape de focalisation sur une situation détectée comme conflictuelle (quand, en introduisant la nuance du où) quand le modèle de (Weibel et Dutton, 1998) détaille le rôle des contraintes dans le guidage du processus répondant au pourquoi et au comment (Figure A-21). Les modèles présentés dans la suite de cette partie se sont appuyés sur ces deux modèles théoriques pour mettre en œuvre l’approche pas à pas locale.

Figure A-21. Les modèles pas à pas locaux de (Ruas et Plazanet, 1996) et (Weibel et Dutton, 1998).

Le modèle AGENT est issu des travaux de (Ruas, 1999 ; 2000) repris dans le cadre du projet européen AGENT (Lamy et al, 1999 ; Barrault et al, 2001). Afin qu’ils se généralisent localement avec autonomie, les objets géographiques (bâtiments, routes par exemple) sont vus comme des agents. Les agents sont des entités autonomes capables de raisonnement et de prise de décision pour atteindre un but individuel et/ou collectif (voir les définitions précises en B.1.2). Dans AGENT, les agents cherchent à se généraliser en satisfaisant leurs contraintes de généralisation par application d’algorithmes. Le modèle est basé sur une structure hiérarchique d’agents : il existe des agents micros (par exemple un bâtiment ou une route), des agents meso composés d’agents micros (par exemple un îlot de bâtiments) ou d’autres agents meso (par exemple une ville composée d’îlots). AGENT est donc particulièrement adapté à la généralisation des villes dont la structure est bien hiérarchisée et à celle des routes de montagnes (Figure A-22) parce que l’approche hiérarchique correspond bien au principe de découpage des routes en parties homogènes comme dans GALBE, même si quelque que soit l’espace, il peut y avoir la nécessité d’une approche locale hiérarchique (un groupe de lacs par exemple dans la généralisation d’une couche de lacs). Mais AGENT n’est pas uniquement hiérarchique car à chaque étape, dans un niveau donné, l’agent se généralise individuellement par un moteur non hiérarchique (par exemple, un bâtiment peut se généraliser seul à partir de ses contraintes micro). Un tel modèle est paramétré par le choix des contraintes à affecter aux agents et le choix des valeurs à atteindre pour satisfaire les contraintes.

Figure A-22. Des résultats obtenus à l'aide du modèle AGENT sur une ville et une route de montagne.

Illustration du passage approche/modèle/processus/algorithme

Dans le cas du modèle AGENT, le passage de modèle à processus est un peu différent que dans le cas du modèle de généralisation par moindres carrés car la spécialisation met en jeu le concept d’algorithmes de généralisation. Comme dans le cas des moindres carrés, il faut spécialiser les contraintes prises en compte par le processus en définissant dans ce cas des méthodes pour déterminer la valeur courante du caractère contraint (par exemple un algorithme calculant l’aire d’un bâtiment), la valeur but ou la satisfaction de la contrainte. Il faut également spécifier des connaissances de contrôle (Taillandier, 2008) qui permettent notamment de déterminer si l’état global d’un agent a été assez amélioré par une action pour valider l’état ou revenir en arrière. Il faut spécialiser également les types d’agents pouvant être manipulés par le processus, par exemple des agents bâtiment, route et îlot de bâtiments pour un processus dédié à la généralisation des zones urbaines. On peut ensuite déterminer les contraintes qui peuvent s’appliquer sur chacun des types d’agent. Il faut enfin spécialiser le modèle en désignant les algorithmes de généralisation pouvant être utilisés par chaque agent pour résoudre chacune de ses contraintes : par exemple, l’agent îlot de bâtiments peut utiliser l’algorithme de déplacement de (Ruas, 1998) pour tenter de satisfaire sa contrainte de congestion de ses bâtiments.

Un processus spécialisant le modèle AGENT a pour paramètres restant le choix des types d’objets géographiques qui sont des agents et un certain nombre de paramètres qui sont utilisés pour déterminer les valeurs but des contraintes comme l’aire minimale d’un bâtiment (en fonction des spécifications du produit final). On peut toutefois imaginer la spécialisation du modèle avec un processus dans lequel le choix des contraintes assignées aux agents est laissé libre comme paramètre supplémentaire du processus. Le processus spécialise moins le modèle : il est plus générique mais peut-être moins efficace car les choix faits pour l’assignation des contraintes par un utilisateur seront peut-être moins pertinents que ceux effectués par le développeur du processus, plus spécialiste du modèle.

Le modèle CartACom (Duchêne 2003 ; Duchêne 2004) est complémentaire au modèle AGENT car il est dédié aux conflits partagés entre deux objets géographiques et non aux relations hiérarchiques ; il

fonctionne par interactions transversales entre agents de même niveau (i.e. un bâtiment et une route) qui s’échangent des messages (i.e. « peux-tu te pousser ? ») pour résoudre les conflits partagés. Les relations entre deux objets comme la proximité des symboles, le positionnement relatif (par exemple, le bâtiment est au bout à droite de l’impasse) ou l’orientation relative sont contraintes sous la forme de contraintes relationnelles et les conflits partagés reviennent à des contraintes relationnelles non satisfaites. Le modèle CartACom est adapté à la généralisation des zones peu denses comme les zones rurales (Figure A-23). Les zones plus denses nécessiteraient de raisonner sur des entités de plus haut niveau comme dans AGENT pour résoudre certains conflits et génèreraient un trop grand nombre de dialogues dans CartACom. Son paramétrage repose sur le même principe qu’AGENT : il faut donner les valeurs permettant aux contraintes de calculer leur satisfaction et éventuellement désigner les contraintes à appliquer sur chaque type d’agent suivant le niveau de granularité du passage du modèle au processus.

Figure A-23. Résultat d’une généralisation d’une zone rurale au 1/50000 par CartACom (Duchêne, 2004).

Dans (Jabeur et al, 2003 ; Jabeur et al 2006), les objets géographiques sont encore des agents, qui sont en compétition pour la place disponible sur la carte afin d’être lisibles. Ils sont plus ou moins forts suivant leurs caractéristiques et peuvent réaliser des coalitions. L'application proposée pour ce modèle est la génération de cartes avec une couche de symboles thématiques sur des données de référence car ce problème représente vraiment une forme de compétition entre les données de références (bâtiments, routes, etc.) et les données thématiques (hôtels, restaurants, magasins par exemple) ce qui n’est pas vraiment le cas pour les cartes topographiques où l’ensemble des données sont plutôt en coopération pour donner le sens géographique de la carte. Cependant, peu de résultats concrets sont présentés dans ces travaux. Le paramétrage est fait par la saisie de besoins utilisateurs sous une forme ad-hoc proposée dans (Jabeur et al 2006). On y définit des priorités d’affichage entre les couches thématiques, des tailles de symboles pour les données thématiques ainsi que des contraintes plus classiques pour la lisibilité des objets de la carte comme la distance minimum entre objets.

Le modèle GAEL (Gaffuri 2007 ; 2009 ; Gaffuri et al, 2008) est aussi basé sur un système multi-agents, dédié à la gestion des relations entre les objets géographiques discrets et les champs continus comme le relief (thème ayant une valeur en tout point de l’espace). Des contraintes objet-champ (par exemple « un bâtiment doit garder son altitude » ou « une rivière doit couler dans son talweg ») sont définies. Le champ est décomposé en agents (qui sont les points du champ triangulé) qui vont chercher un équilibre global du champ entre sa forme initiale et les contraintes objet-champ (Figure A-24). Pour réaliser cet équilibre, les contraintes objet-champ sont traduites en contraintes spatiales sur des objets ‘submicros’ du champ qui sont les segments, les triangles et les angles de la triangulation du champ. Des contraintes permettant au champ de maintenir au mieux sa forme initiale sont également définies sur les objets submicros. Toutes ces contraintes sur les objets

submicros sont ensuite traduites en forces sur les agents points qui vont chercher une position d’équilibre entre toutes leurs forces.

Figure A-24. Le relief est déformé grâce au modèle GAEL pour rétablir la relation entre la rivière et son talweg

détériorée par la généralisation (Gaffuri, 2007). Les valeurs en rouge représentent la satisfaction de la contrainte objet-champ entre le relief et chaque tronçon de cours d’eau sur une échelle de 1 à 10.

D’autres modèles pas à pas locaux proposent de déterminer le choix et l’ordre des algorithmes de manière stochastique (en introduisant une part de hasard) : les connaissances procédurales qui permettent de guider un modèle pas à pas locale (choix du prochain algorithme, validation de la progression, décision d’arrêter la généralisation car on ne peut pas avoir mieux) sont remplacées partiellement ou totalement par un procédé stochastique. Contrairement aux modèles globaux présentés en A.2.3, les décisions stochastiques ne sont pas globales mais locales pour la généralisation de chaque objet ou groupe d’objets. (Neun et al, 2009) proposent trois méthodes de résolution stochastique pour choisir les opérateurs à appliquer dans un cas bien caractérisé par ses contraintes : le recuit simulé, un algorithme d'escalade (Russell et Norvig, 2006, p. 126) et une recherche génétique. La société ESRI propose avec l’Optimizer une approche similaire par recuit simulé (Hardy et al, 2006; Monnot et al, 2007). Le modèle de (Neun et al, 2009) a été spécialisé pour la généralisation des villes que l’on peut donc considérer comme son domaine d’application. C’est le cas également du modèle d’Optimizer, appliqué à la généralisation des villes dans (Punt et Watkins, 2010). Ici, il faut paramétrer en plus des contraintes, l’algorithme de recherche stochastique (gestion du refroidissement de la température du recuit simulé par exemple).

Enfin, (Burghardt et Neun, 2006) propose d’utiliser une méthode d’apprentissage par renforcement (le filtrage collaboratif) pour apprendre petit à petit quels algorithmes appliquer à un îlot caractérisé par un ensemble de mesures. Chaque généralisation contribue à améliorer les connaissances en attribuant une note au choix d’algorithme en fonction de l’évaluation du résultat de la généralisation. Les choix postérieurs d’algorithmes pour des îlots ayant les mêmes caractéristiques seront filtrés par cette note. Comme ce modèle s’améliore à chaque fois qu’il rencontre une situation similaire (la similarité est calculée par agrégation de mesures d’analyse spatiale), il est particulièrement adapté aux zones répétitives (structurées et fréquentes) comme les zones de lotissement. Comme souvent, les paramètres comptent les valeurs permettant d’évaluer les contraintes mais aussi dans ce cas des choix sur les algorithmes proposés par défaut et sur le mécanisme de filtrage collaboratif (à quel point on fait confiance au filtrage par rapport aux connaissances initiales). Une approche équivalente d’apprentissage de connaissances sur le choix des algorithmes a été proposée pour AGENT dans (Taillandier, 2008).

Figure A-25. Résultats obtenus par la méthode de filtrage collaboratif en utilisant des algorithmes disponibles

par services web (Burghardt et Neun, 2006).