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Age des exploitants enquêtés

Encadré 1 : Le Groupement des producteurs corses de Roquefort :

1. Modèles locaux de fonctionnement

On peut constater que les relations et leurs conséquences s’insèrent dans des modèles locaux de fonctionnement, inhérents à la filière corse.

On a pu constater l’hétérogénéité structurelle des transformateurs laitiers, mais on retrouve aussi cette hétérogénéité dans leurs organisations et leurs relations avec les éleveurs apporteurs. On remarque finalement que « l’industriel laitier » recouvre différentes réalités : plusieurs « figures » se distinguent au sein cette représentation complexe et dynamique.

1.1. Figures du laitier

Notre étude nous a permis de décrire les relations existantes entre éleveurs apporteurs et transformateurs, à travers les caractérisations et les constructions de ces relations. On peut à présent remettre en perspective ces résultats à travers les Economies de la Grandeur.

En effet on constate que la forme marchande se retrouve chez tous les transformateurs, même si elle peut être masquée par les autres formes de coordination, car il existe une forme de transaction, d’achat du lait, pour tous les éleveurs apporteurs.

Le seul transformateur chez qui on n’a pas observé de forme domestique de la relation est le T1, en effet la forme industrielle prédomine, malgré des relations existant parfois depuis plusieurs générations. Parmi les apporteurs du T1, trois ont changé de

46 laiterie avant de vendre à ce transformateur. Tous évoquent la « sécurité » dans le paiement et la continuité de l’entreprise, appartenant à un grand groupe. La réputation du transformateur est donc importante dans sa relation avec les apporteurs. Les autres se sont tournés vers cette laiterie dans la continuité de l’exploitation familiale. Il n’y a cependant pas de relation particulière, de forme d’attachement ou de lien affiché liés à l’antériorité de la relation. L’organisation collective constituée par le groupement des producteurs pourrait expliquer l’absence de relation domestique, puisque l’interlocuteur direct de la laiterie est le groupement, et non chaque éleveur séparément, comme c’est le cas pour les autres laiteries. De plus le groupement peut engendrer des relations spécifiques, en maintenant un rapport de force plus équilibré entre les apporteurs et le transformateur, avec des discussions et de l’information circulant plus directement.

On pourrait se demander pourquoi le groupement est la seule structure collective d’organisation des apporteurs (en dehors des coopératives), pourquoi ce genre de structure n’existe pas dans d’autres fromageries. Cela vient peut-être d’un manque de figure fédératrice autre que le président actuel de ce groupement. Même au sein de ce groupement, peu de personnes seraient prêtes à prendre la relève. On remarque également que l’ARC employé par le T1 est le seul à tenir un tel rôle dans la filière corse, alors que cette fonction semble être courante chez Lactalis et dans l’ensemble des industries agro-alimentaires françaises.

On peut faire correspondre aux autres « types » de transformateurs laitiers une forme domestique de la relation, mais celle-ci est variable. En effet, chez le T2, on observe des compromis entre forme industrielle et domestique : le paiement à la qualité et le fonctionnement de l’entreprise se rapprochent d’une forme industrielle qui prédomine dans la relation, mais celle-ci est accompagnée de liens familiaux, de connaissance, qui peuvent même créer un sentiment d’appartenance, ou du moins de proximité avec le transformateur. De plus la légitimité du laitier est assise par le fait qu’il vienne d’une famille d’éleveurs corses. Des réunions seraient également organisées, ce qui traduit une forme d’interaction collective.

Chez le T3, on observe une relation plutôt équilibrée entre la forme industrielle, toujours par le paiement à la qualité et le fonctionnement des entreprises, et la forme domestique, qui est liée à des relations de longue date, des « noyaux » d’éleveurs, dont beaucoup ont participé à la création de la coopérative. On pourrait également supposer une forme civique à l’échelle d’une coopérative, dans la notion d’intérêt général et de solidarité créée par le fonctionnement coopératif lui-même, mais nous n’avons pas pu observer cette forme lors des enquêtes auprès des apporteurs.

Enfin on peut rapprocher les relations existantes au sein du T4 à celles existantes au sein du T5. En effet, on observe ici des formes de relations principalement domestiques, tout en gardant une part d’industrielle. En effet, l’antériorité de la relation n’est pas nécessairement grande, avec 5 apporteurs sur 6 qui ont changé de laiterie avant de

47 vendre à ces transformateurs. Cependant, des relations de « confiance » et de voisinage sont établies, les laitiers entretenant le relationnel, et dans certains cas les apporteurs évoquent même une forme d’ « amitié » ou de « partenariat ». La légitimité des laitiers est également acquise par leur passé dans l’élevage ovin. Ceci leur confère également une forme de compréhension et de proximité avec les apporteurs. De plus on remarque que ce sont de petites structures avec peu d’apporteurs, particulièrement pour les laiteries artisanales, ce qui peut expliquer l’importance de la nature domestique dans les relations entretenues avec les éleveurs apporteurs.

On peut finalement décrire les différents modèles de fonctionnement existants à travers une nouvelle typologie, construite par le biais de ces « figures » du laitier, qui semble faire varier les relations entre apporteurs et transformateurs laitiers. Nous choisissons ainsi de décrire les modèles de fonctionnement existants par les formes de coordination prédominantes pour chacun, au-delà de la forme marchande, qui, on l’a vu, ne permet pas de distinguer les modèles de fonctionnement (cf. Tableau 8) :

· On constate d’une part l’existence d’un type de relations et de fonctionnement spécifique au transformateur T1, avec une forme industrielle dominante.

· D’autre part, on peut rapprocher le T2 des T3, où on constate un compromis entre forme industrielle et domestique (même si celui-ci semble plus équilibré pour le T3).

· Enfin, la forme domestique prédomine chez les T4 et T5.

Type structurel Modèle de fonctionnement

T1 Industriel T2 Compromis industriel/domestique T3 T4 Domestique T5

Tableau 8 : Correspondances entre types structurels des transformateurs laitiers et modèles de fonctionnement 1.2. Critères de variation des relations

On supposait que l’historique et l’antériorité de la relation entre un apporteur et le transformateur auquel il livre agissaient sur les relations existantes.

On n’a pas observé d’influence directe de cette nature domestique formée par l’antériorité des relations sur les relations existantes. Cependant, comme on l’a vu en

48 étudiant les trajectoires des transformateurs laitiers et de leurs apporteurs, l’antériorité des relations et la connaissance ont joué des rôles décisifs dans la construction et le développement des relations actuelles, ou du moins des modèles de fonctionnement tels qu’ils existent aujourd’hui. Dans ce cadre, la dimension spatiale n’a pas été mise en valeur : il ne semble pas que la situation géographique au niveau des microrégions ou de la proximité avec le transformateur joue sur les relations entre apporteurs et laitiers.

Le contexte de la filière (situation de concurrence ou de coopération) est un facteur de variation des relations. Au début des années 2000, la « guerre du lait » a bien existé, et été perçue comme telle par la plupart des enquêtés. De plus, le paiement du lait à la qualité a été mis en place en 2000, et la politique peut-être plus stricte du transformateur de type T1 a pu jouer dans la perte importante d’apporteurs qu’il a subie au début des années 2000. Aujourd’hui cette période de concurrence semble révolue. On peut toutefois se demander si des tensions ne subsistent pas au-delà des discours convenus.

On peut finalement voir que l’antériorité de la relation ou la proximité géographique n’influent pas nécessairement sur les relations entre apporteurs et transformateurs. Ceci semble avant tout résulter d’un choix de fonctionnement du laitier, également lié à la taille de son entreprise, et aux liens qui sont créés et entretenus. Les « figures » du laitier semblent donc être le facteur principal de variation des relations entre apporteurs et transformateurs, et on peut finalement regrouper ces « figures » sous trois modèles de fonctionnement déterminant les relations entre éleveurs apporteurs et laiteries : « industriel » « compromis industriel/domestique » et « domestique ».

2. Influences de ces modèles de fonctionnement sur les pratiques d’élevage