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4. DISCUSSION GÉNÉRALE

4.2. Commentaires

4.2.3. Modèles explicatifs

Plusieurs mécanismes à la fois prénataux et postnataux pourraient avoir un impact négatif sur le développement précoce de l’enfant et interagir entre eux. Cependant, ce domaine de recherche est difficile puisqu’il ne peut être abordé que par des études observationnelles soumises aux biais décrits plus haut, ou bien des études expérimentales chez l’animal.

4.2.3.1. Santé mentale des femmes enceintes et prématurité

Plusieurs modèles ont été proposés à ce jour pour comprendre les associations observées entre les troubles de la santé mentale des femmes enceintes et la survenue d’une prématurité [Lupien, 2009 ; Young, 2004 ; Arborelius, 1999 ; Smith 2006]. La première hypothèse est celle de la « programmation fœtale » selon laquelle, l’environnement in-utéro de l’enfant pourrait altérer le développement du fœtus durant certains moments spécifiques de la grossesse et induire une modification permanente sur le phénotype de l’enfant [Barker, 1986 ; Van den Bergh, 2005].

Les réponses à un stress impliquent l’action d’hormones provenant de l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (axe HPA) (figure 15). La comorbidité dépressive et anxieuse est probablement une condition vulnérable pour les femmes enceintes [Young, 2004]. Elle peut induire une stimulation excessive de l’axe HPA maternelle, et induire une stimulation excessive d’hormones de stress maternelles. Plusieurs études ont montré que les hormones de stress maternelles favorisaient la sécrétion de corticolibérine (CRH) placentaire [Arborelius, 1999 ; Dayan, 2006]. Un niveau excessif de corticolibérine placentaire pourrait induire une cascade d’évènements qui aboutirait à la parturition. Les

associations mesurées entre les hormones de stress maternelles et la survenue d’une prématurité ont cependant montré des résultats parfois discordants. Dans l’étude de Kramer et coll., les taux d’hormone adrénocorticotrophine (ou ACTH) maternels plasmatiques étaient positivement associés à la cortisolémie maternelle mais ils n’étaient paradoxalement pas corrélés aux taux de corticolibérine maternelle [Kramer, 2013]. Les auteurs argumentent une relation entre la cortisolémie maternelle et son rétro-contrôle positif sur la corticolibérine placentaire, indépendamment de l’axe HPA. L’étude de Korebrits et coll. a porté sur les effets d’une administration prénatale de gluco-corticoides exogènes (betaméthasone) sur les hormones plasmatiques maternelles au cours de la grossesse. Cette administration augmentait les taux de corticolibérine maternel sanguin sans augmentation de l’ACTH maternelle [Korebrits, 1998]. Ainsi, l’hyperactivité de l’axe HPA maternelle est une des hypothèses principales de l’association entre les symptômes dépressifs, anxieux maternels prénataux et la survenue de naissances prématurées spontanées. Cependant, elle n’explique probablement pas tous les mécanismes biologiques impliqués.

Une autre hypothèse porte sur le rôle des processus inflammatoires immuns. Chez les humains et chez les animaux, des niveaux élevés de symptômes dépressifs ou de stress peuvent prédire une dysrégulation des processus inflammatoires incluant des taux élevés de cytokines inflammatoires et des réponses inflammatoires exagérées à des évènements biologiques in-vivo ou in-vitro [Segerstrom, 2004]. Dans une étude américaine, 60 femmes enceintes ont été recrutées dans une maternité située en zone socialement défavorisée. Parmi ces femmes, celles qui présentaient les symptômes dépressifs les plus importants (évalués par le CES-D) présentaient également des niveaux plus élevés d’interleukines IL-6 et de TNF-α (facteur de nécrose tumorale) que les autres femmes [Christian, 2009]. De plus, des niveaux de stress élevés pourraient altérer les réponses à des événements biologiques et être source d’une grande variabilité entre les personnes [Christian, 2014]. Cette hypothèse a été testée par des modèles de vaccination auprès de personnes âgées présentant des symptômes dépressifs. Chez ces personnes, les réponses à une vaccination impliquaient des réactions inflammatoires plus fortes que chez les personnes sans symptômes dépressifs [Glaser, 2003]. Au cours de la grossesse, 22 femmes enceintes ont été évaluées avant et une semaine après une vaccination anti-grippale [Christian, 2010]. Les femmes présentant les symptômes dépressifs les plus bas (1er tiers de la distribution) n’avaient pas de réponse inflammatoire suite à la vaccination. En revanche, celles qui présentaient les symptômes dépressifs les plus élevés avaient une réponse inflammatoire marquée, en particulier des taux plus élevés de facteurs inhibiteurs de la migration des macrophages. D’autres données suggèrent que les réponses à un stress au cours de la grossesse sont moins marquées en cas de grossesse non compliquée et qu’elles peuvent différer selon l’origine ethnique des femmes [De Weerth, 2005 ; Christian, 2012]. Cette atténuation dans la réponse a également été montrée dans des modèles animaux [Rohde, 1983 ; Neumann, 2000].

D’autres hormones telles que les oestrogènes et la progestérone jouent un rôle important pendant la grossesse et l’initiation de la parturition [Kamel, 2010 ; Vidaeff, 2008]. D’une part, il a été montré que des taux suffisants de progestérone étaient nécessaires au maintien de la gestation ; d’autre part, la progestérone pourrait avoir un rôle « anti-stress » ou « anti-anxiété » et serait importante dans la régulation de l’axe HPA [Paris, 2011]. L’étude de Ruiz et coll. a montré une interaction entre les symptômes dépressifs maternels et le ratio œstrogène (E3)/progestérone sur le risque de survenue d’une naissance prématurée [Ruiz, 2012] : la présence de symptômes dépressifs maternels élevés associée à un ratio E3/progestérone élevé augmentait le risque de survenue d’une

prématurité. Chez des modèles murins, des niveaux de stress élevés ont été associés à une diminution des métabolites actifs de la progestérone et à une durée de gestation plus courte [Paris, 2011]. De plus, des essais randomisés ont proposé la 17-hydroxyprogesterone comme traitement préventif d’un accouchement prématuré auprès de femmes ayant des antécédents de prématurité ou de col utérin court [Meis, 2003 ; Dodd, 2006]. Cependant, d’autres études ont montré des résultats plus discordants avec cette hypothèse [Kramer, 2013].

Field et coll. ont évoqué la possibilité d’un effet additif de la dépression et de l’anxiété maternelle [Field, 2010]. Une autre hypothèse est celle d’une interaction entre ces deux états impliquant des effets biochimiques complexes [Glover, 1999]. Par ailleurs, la santé mentale des femmes évolue au cours de la grossesse (en termes de symptômes), il est possible que les effets sur le fœtus diffèrent selon les moments de mesures des troubles de la santé mentale. Ainsi, dans l’étude de Ruiz et coll., l’exposition à un stress maternel entre 23 et 25 semaines d’aménorrhée et le taux de corticolibérine sanguin mesuré pendant la grossesse expliquaient 14% de la variance de l’âge gestationnel à l’accouchement [Ruiz, 2002]. Ces deux facteurs mesurés entre 31 et 35 semaines d’aménorrhée expliquaient 20% de la variance de l’âge gestationnel.

4.2.3.2. Santé mentale des femmes enceintes et développement cognitif de l’enfant

Les mécanismes impliqués dans la relation entre la dépression, l’anxiété maternelle prénatale et le développement cognitif de l’enfant sont probablement multi-factoriels. Comme évoqué précédemment, la première hypothèse est celle de la « programmation fœtale » via une stimulation excessive de l’axe HPA maternel puis une stimulation excessive de l’axe HPA du fœtus [Van den Bergh, 2005]. Chez le fœtus, les glucocorticoïdes tels que le cortisol pourraient également passer la barrière hémato-encéphalique et altérer directement le développement du système limbique (dont l’amygdale, l’hippocampe, la circonvolution cingulaire, l’hypothalamus et le fornix). Ce système en anneau se situe au cœur des hémisphère cérébraux et est notamment impliqué

Y-B à 26 semaines d’aménorrhée) avaient un développement des structures hippocampiques similaires aux autres enfants. En revanche, 6 mois après la naissance, les nouveaux-nés de mères anxieuses au cours de la grossesse présentaient un développement moins important des structures droite et gauche de l’hippocampe [Qiu, 2013]. Les glucocorticoïdes pourraient également altérer le développement du cortex pré-frontal chez le fœtus (en particulier la zone orbitofrontale du cortex). Cette zone du cerveau est impliquée dans la réalisation des tâches cognitives et dans le comportement des enfants [Buitelaar, 2003 ; Mennes, 2006]. Enfin, les glucocorticoïdes pourraient affecter le développement des monoamines et autres neurotransmetteurs ainsi que le développement des synapses [Van den Bergh, 2005].

Figure 16 : Les lobes du cerveau

Par ailleurs, un stress maternel prénatal pourrait affecter la circulation utéro-placentaire et fœto-placentaire via les taux sanguins de cortisol et de catécholamines maternelles (dont les plus courantes sont l’adrénaline, la noradrénaline et la dopamine), et induire une hypoxémie fœtale à un moment de la grossesse [Helbig, 2014]. L’hypoxémie fœtale pourrait à son tour altérer la neurogenèse. Des études ont par exemple montré une association entre des symptômes anxieux maternels prénataux et un indice de résistance accrue au niveau des artères utérines [Teixeira, 1999]. Ces mécanismes étudiés par les échographies doppler fœtales et les mesures hormonales seraient à l’origine de la survenue de retards de croissance intra-utérin ou de phénomènes de pré-éclampsie [Van den Bergh, 2005].

La troisième hypothèse est celle de la modification des habitudes de vie et notamment de la nutrition en cas de stress, d’anxiété ou de dépression maternelle prénatale. En particulier, les rôles du tabac, de l’alcool, des apports insuffisants en acides gras, en iode et en vitamines (dont la vitamine B12) pourraient impacter le développement du cerveau et donc le développement cognitif et comportemental de l’enfant [Leung, 2009].

La quatrième hypothèse est que des facteurs environnementaux prénataux pourraient induire une dysrégulation épigénétique. Celle-ci reflète des changements dans l’expression des gènes par méthylation de l’ADN ou par altération de sa structure chromatinienne [Henrichs, 2010]. Des études animales ont par exemple suggéré qu’une exposition à un stress maternel prénatal pouvait modifier l’expression des gènes impliqués dans le développement de l’hippocampe et induire des modifications permanentes dans le neurodéveloppement [Bogoch, 2007 ; Darnaudery, 2008].

Ces premières hypothèses nécessitent d’intervenir à des périodes de sensibilité spécifique pendant la grossesse. Les études parues sur ce thème ont cependant montré des résultats parfois différents. Dans l’étude de Mennes et coll., les symptômes anxieux maternels prénataux (mesurés par le STAI forme Y-A) entre la 12ème et la 22ème semaine d’aménorrhée étaient associés à la survenue de troubles du comportement cognitif chez des adolescents de 17 ans [Mennes, 2006]. Les symptômes anxieux maternels présents

Huizink, 2003]. Notre étude fournit également des arguments pour un effet possible à des moments plus tardifs de la grossesse et rejoint d’autres résultats similaires dans la littérature [Brouwers, 2001 ; Huizink, 2003].

La cinquième hypothèse est celle de la transmission génétique. De nombreuses études menées auprès de jumeaux ont montré que les facteurs génétiques impactaient significativement le développement comportemental et cognitif de l’enfant [Plomin, 1998]. Les enfants nés de parents déprimés ou anxieux pourraient être plus susceptibles de développer une dépression ou une anxiété du fait de l’hérédité ou d’une dysrégulation du fonctionnement de leur axe HPA [Rice, 2007 ; Turner, 1987]. Ils pourraient également avoir hérité une susceptibilité accrue au stress ou aux évènements anxieux associée à des moins bons scores aux tâches cognitives et comportementales [Van den Bergh, 2005].

La dernière hypothèse que nous avons déjà évoquée dans ce travail est celle de la parentalité et du rôle des interactions parents-enfants dans le post-partum (chapitre 1.2.2.) [Evans, 2001]. Un stress, une anxiété ou une dépression chez les parents pourrait altérer la qualité des relations et des soins prodigués à l’enfant, influençant de façon négative le développement de l’enfant. Dans cette association entre le stress, la dépression maternelle et les interactions mère-enfant, le rôle d’hormones modératrices telles que l’ocytocine plasmatique a été décrit récemment [Zelkowitz, 2014]. Dans cette étude canadienne, les femmes ayant un niveau de stress important avec des taux d’ocytocine plasmatique élevés présentaient moins de symptômes dépressifs prénataux et de meilleures interactions avec l’enfant 7 à 9 semaines après l’accouchement.