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3. RÉSULTATS

3.1. Première partie : Santé mentale perçue des femmes enceintes - Données de

3.1.4. Discussion

3.1.4.1. Synthèse des résultats

Les objectifs de cette étude étaient d’analyser les associations entre les caractéristiques socio-démographiques et médicales des femmes et le ressenti d’un mal-être psychologique au cours de leur grossesse, puis d’analyser les associations entre un mal-être psychologique pour la grossesse et le recours à un professionnel de santé pour ces difficultés. A partir de l’Enquête nationale périnatale de 2010, près de 9% des femmes ont déclaré un mal-être psychologique pendant leur grossesse. Parmi elles, seulement 19% ont consulté un professionnel de santé pour ces difficultés psychologiques. Les femmes en situation sociale défavorisée avaient un risque accru de mal-être psychologique ; un gradient social était observé en lien avec le niveau d’études ou les revenus du ménage. En revanche, des caractéristiques sociales plus favorables étaient associées à la consultation d’un professionnel de santé pour les difficultés psychologiques. Les femmes en mauvaise santé mentale avaient un suivi prénatal moins conforme aux recommandations françaises (y compris en l’absence de complications pendant la grossesse), plus de complications médicales au cours de leur grossesse et un excès de risque de prématurité.

3.1.4.2. Forces et limites de l’étude

Dans l’Enquête nationale périnatale de 2010, la mesure du bien-être psychologique a été réalisée par une approche subjective, complémentaire aux données déjà existantes sur la santé des femmes enceintes. L’échantillon était de grande taille et issu d’une enquête nationale probablement représentative des femmes enceintes françaises [Blondel, 2012]. De nombreuses informations étaient disponibles pour décrire les caractéristiques médicales et sociales des femmes. Cinq pour cent des femmes n’ont pas répondu à la question relative à la santé mentale perçue, il s’agissait le plus souvent de femmes en situation sociale plus défavorisée. Comme la fréquence des difficultés psychologiques est plus élevée en cas de situation sociale défavorisée, la fréquence d’un mal-être psychologique au cours de la grossesse peut-être sous-estimée dans cette étude.

La mesure de la santé mentale perçue en une question unique a été choisie pour permettre une comparaison dans l’évaluation du bien-être des femmes entre les enquêtes nationales périnatales de 2003 et 2010. Bien que validée, cette mesure présente cependant des limites. D’autres mesures de la santé mentale positive telles que la santé perçue en plusieurs items, la qualité de vie ou l’estime de soi auraient pu aborder des dimensions spécifiques intéressantes du bien-être pour améliorer la compréhension des variations de santé mentale entre les femmes. De plus, l'évaluation de la santé mentale dans la période du post-partum pouvait être influencée par le déroulement ou l'issue de la grossesse. En cas de complications, la prévalence des troubles de la santé mentale pouvait être surestimée. Au contraire, une issue favorable de la grossesse pouvait conduire à oublier ou à sous-déclarer des difficultés psychologiques, pourtant bien réelles, au cours de la grossesse. Ces raisons nous ont conduit à estimer les prévalences de mal-être psychologique sur l’ensemble de l’échantillon, mais également sur des sous-échantillons obtenus après exclusion des femmes ayant eu des antécédents obstétricaux pathologiques ou des complications lors de la présente grossesse. De plus, la transversalité du recueil des données est une limite à l’interprétation des associations retrouvées entre le mal-être psychologique des femmes et les issues de grossesse défavorables observées.

Une autre limite de l’étude est l’absence de diagnostic objectif d’un trouble mental réalisé par un professionnel de la santé mentale. Bien que cette donnée soit difficile à recueillir dans de larges études, il aurait été intéressant de pouvoir étudier les liens entre un diagnostic objectif, une mesure ressentie et le suivi prénatal des femmes enceintes. Dans l’étude de Jang et coll., la santé mentale perçue était un modérateur dans la relation entre les troubles mentaux objectifs et le recours aux services de santé [Jang, 2014]. Les personnes présentant des troubles de la santé mentale avaient plus souvent recours aux services spécialisés lorsque leur santé mentale perçue était « mauvaise » ou « très mauvaise ». D’autres études ont également montré que le recours à un professionnel de santé en cas de troubles psychiatriques était faible (13% à 30% en cas de troubles de l’humeur) et que ce recours dépendait de facteurs socio-économiques (dont l’âge et l’origine ethnique des personnes) et psychologiques (ressources positives, santé mentale perçue, perception du recours au professionnel de santé) [Mojtabai, 2002 ; Zuvekas,

3.1.4.3. Comparaison avec les données de la littérature

Les données de l’ENP de 2010 peuvent être comparées aux données issues de l’Enquête nationale périnatale de 2003 [Blondel, 2005]. En 2003, 6.7 % des femmes ont dit qu’elles se sentaient « assez mal » durant leur grossesse et 2,4 % se sentaient « mal ». Parmi ces femmes, 12,4 % d’entre elles ont dit avoir reçu l’aide d’un professionnel de santé. La prévalence d’un mal-être psychologique est stable entre ces deux études. En revanche, le recours à un professionnel de santé pour ces difficultés psychologiques semble avoir discrètement augmenté entre 2003 et 2010.

La comparaison avec les données internationales est difficile en raison du faible nombre d’études portant sur le bien-être des femmes au cours de la grossesse, des variations dans les mesures utilisées, des échantillons souvent non représentatifs de femmes enceintes et également en raison des influences des politiques sociales et familiales sur le bien-être ressenti [Dyrdal, 2011]. Nos résultats semblent proches de ceux retrouvés en Allemagne ou aux Etats-Unis [Hellmers, 2008] (chapitre 1.1.2.1). Dans l’étude de Horan et coll. menée en Irlande, le pourcentage de bien-être chez 619 femmes enceintes (mesuré par la question en 5 items de l’OMS) a été évalué à 58%. En Norvège, Dyrdal et coll. ont montré que la satisfaction de vie des femmes enceintes était d’environ 5.5 (sur une échelle de 1 à 7). Celle-ci était stable au cours de la grossesse puis chutait à partir du 6ème mois après la naissance de l’enfant [Dyrdal, 2011]. Au Royaume-Uni, la santé mentale des femmes enceintes a été évaluée par la question suivante : « Avez-vous ressenti un des symptômes psychologiques suivants ? » (la répondante devait alors choisir dans une liste comprenant l’item « déprimée »). La dépression durant la grossesse était alors déclarée par 10% des femmes enceintes et 8.7% d’entre elles à 10 jours du post-partum [Redshaw, 2006]. Aux Etats-Unis, la fréquence d’un mal-être psychologique en période préconceptionnelle a été estimée par une question unique de santé mentale perçue (similaire à celle de l’ENP 2010) à 6.8% dans une étude nationale représentative de la population [Witt, 2010]. La prévalence des troubles mentaux courants au cours de la grossesse a été plus documentée dans la littérature. Aux Etats-Unis, un diagnostic psychiatrique était établi avant et pendant la grossesse à partir des critères du DSM-IV [Vesga-López, 2008]. La fréquence sur 12 mois d’un trouble psychiatrique quel qu’il soit était de 8% pour les femmes enceintes et de 7% pour les femmes non enceintes. Dans l’étude ALSPAC (Avon Longitudinal Study of Parents and Children) au Royaume-Uni, 11.8% des femmes avaient un score à l’EPDS (Edinburgh Postnatal Depression Scale)

supérieur ou égal à 13 à 18 semaines d’aménorrhée et 14% d’entre elles à 32 semaines d’aménorrhée [Fergusson, 1996]. Les comparaisons de ces données à celles de l’ENP de 2010 nécessitent toutefois des précautions d’interprétation liées à la différence de dimension positive ou négative mesurée de la santé mentale.

Les liens entre une mauvaise santé mentale et des caractéristiques sociales défavorisées ont été montrés dans un rapport récent de l’OMS [Organisation Mondiale de la Santé, 2009]. Dans la période périnatale, ces associations ont été également documentées [Horan, 2014 ; Li, 2012 ; Fergusson, 1996 ; Ban, 2012]. Dans l’étude de Horan et coll., une association a été retrouvée entre le bien-être des femmes enceintes et un faible niveau d’études. Les auteurs suggèrent que le niveau d’études est un marqueur du statut socio-économique qui peut-être positivement lié aux capacités de résilience de la femme contre les facteurs de stress potentiels de la grossesse. Dans l’étude de Li et coll., plusieurs variables socio-démographiques étaient associées à la composante mentale du score de qualité de vie (mesurée par la version courte du Short-Form General Health Survey : SF-12) : un niveau d’études élevé, des revenus importants, un âge maternel plus avancé, une grossesse prévue [Li, 2012]. Des résultats similaires ont été montrés dans l’étude de Wang et coll. [Wang, 2013]. Dans cette étude, les facteurs étudiés incluaient également le sentiment des femmes vis à vis de la grossesse en cours (heureuse/ pas heureuse/ incertaine). Dans l’étude de Hardee et coll., les grossesses non prévues étaient associées à un mal-être psychologique au cours de celle-ci [Hardee, 2004]. Les résultats de notre étude sont concordants avec ces données, en dehors de l’association entre l’âge maternel et la santé mentale perçue retrouvés dans l’étude de Li et coll. Dans l’ENP de 2010, les femmes ayant reporté un mal-être psychologique étaient plus nombreuses à ne pas être heureuses lorsqu’elles ont découvert leur grossesse. De plus, l’existence d’un gradient social a été décrit entre le mal-être psychologique d’une part, et le faible niveau d’études ou les revenus plus faibles du ménage d’autre part.

Plusieurs études ont pris en compte les soins médicaux des femmes enceintes selon leur état psychologique. Selon les auteurs, de nombreuses femmes souffrant de dépression pendant la grossesse ne sont pas diagnostiquées ni traitées [Buekens, 1998 ; Farr, 2010].

professionnels de santé pour leurs difficultés émotionnelles, comparées aux femmes blanches non hispaniques [Huang, 2007]. Seules 25% de ces femmes enceintes ont consulté un professionnel de santé pour ces difficultés psychologiques. Dans la littérature, les raisons de non recours étaient les suivantes : un besoin d’aide non identifié ou une aide non souhaitée ; des difficultés d’accès ou de transport vers les services dédiés ; un manque de temps ou de confiance envers les professionnels de santé (concernant la confidentialité ou la qualité des entretiens, le risque de stigmatisation, l’efficacité des traitements) ; un sentiment d’ambivalence, de honte, de culpabilité ou de peur de consulter ; des délais de rendez-vous trop longs ou d’autres raisons personnelles [Jesse, 2008 ; Goodman, 2010 ; McCauley, 2011 ; Söderström, 2012 ]. Dans l’étude d’Haddrill et coll., des facteurs liés à une « vulnérabilité sociale » étaient associés à un retard dans le suivi des femmes enceintes, mais également des facteurs en rapport avec les croyances des femmes, leurs craintes ou ambivalences, l’empowerment, l’estime de soi, des facteurs médicaux ou liés au système de santé [Haddrill, 2014]. Aux Etats-Unis, Weir et coll. ont montré que le suivi prénatal n’était pas optimal auprès des personnes bénéficiant de programmes sociaux (Medicaid) [Weir, 2011]. D'après Sohr-Preston et coll., beaucoup de femmes enceintes américaines ne bénéficiant pas de ressources sociales optimales pour accueillir l’arrivée d’un enfant pourraient être à risque d’un vécu psychologique négatif au cours de la grossesse [Sohr-Preston, 2006].

Dans notre étude, un mal-être psychologique était associé à une déclaration plus tardive de la grossesse, à une plus grande consommation de tabac et à un taux de prématurité plus élevé. En revanche, nous n’avons pas retrouvé de lien entre la santé mentale et la consommation d’alcool ou de cannabis pendant la grossesse. Cela peut être dû à la faible fréquence de consommation de ces substances ou à leur sous-déclaration [Wright, 2011 ; Derauf, 2003]. Dans notre étude, les femmes ayant un mal-être psychologique au cours de leur grossesse avaient soit moins, soit plus de consultations prénatales et d’échographies que le nombre recommandé. Ces résultats ont déjà été décrits dans la littérature auprès de femmes enceintes socialement défavorisées. Selon Bromley et coll., les freins au suivi des consultations prénatales pouvaient être d’ordre structurel (prise de rendez-vous, difficultés avec les transports, horaires de consultation non adaptés), informationnel (non connaissance des modalités de prise en charge des frais) ou éducatif (sous-estimation de l’importance du suivi) [Bromley, 2012]. Bloom et coll. ont décrit une fréquence plus grande de consultations prénatales et ont rapproché ce résultat aux consultations plus fréquentes des personnes socialement défavorisées dans les services d’urgence

[Bloom,°2007]. Ces femmes pouvaient avoir plus de complications médicales au cours de leur grossesse (justifiant ce recours plus fréquent), mais les auteurs soulèvent également l’hypothèse que le suivi prénatal ne répond pas aux besoins d’une partie de ces femmes. De plus, ce résultat pourrait être médié par d’autres données non prises en compte dans ce travail tel que le niveau de health literacy3 des femmes, le niveau d’acculturation ou les différences culturelles [Bloom, 2007].

Les associations entre la santé mentale des femmes enceintes et la prématurité ont été documentées dans plusieurs études. Nous avons cependant retrouvé peu d’études portant sur le bien-être, la qualité de vie des femmes enceintes et les issues de grossesse (chapitre 1.1.1.2.). Des études ont montré que les femmes enceintes ayant une qualité de vie mauvaise avaient un risque accru d’accouchement prématuré [Wang, 2013 ; Mautner, 2009]. Dans l’étude de Gungor et coll., les femmes enceintes ayant un faible soutien social, un suivi prénatal irrégulier, des symptômes dépressifs ou anxieux significatifs avaient également un risque accru d’accouchement prématuré [Gungor, 2011]. Dans ces études, les risques de prématurité spontanée ou induite n’ont pas été étudiés. Dans l’ENP de 2010, des arguments peuvent être apportés en faveur d’un lien entre un mal-être psychologique des femmes enceintes et la survenue d’une prématurité. Celle-ci peut être une prématurité induite, éventuellement conséquence de complications prénatales (hémorragie pendant le 2ème ou 3ème trimestre de la grossesse, anomalies de la croissance fœtale, diabète ou hypertension artérielle). La prématurité peut également être de survenue spontanée car les associations statistiques persistent après prise en compte de facteurs de confusion socio-démographiques, des complications obstétricales et des antécédents obstétricaux pathologiques. Toutefois des études complémentaires sont nécessaires car notre étude présente un biais de déclaration important par le recueil de la santé mentale en post-partum. Des associations entre les troubles mentaux communs chez les femmes enceintes et la survenue d’une prématurité ou d’un petit poids de naissance ont été bien documentées dans la littérature et seront abordées ultérieurement dans ce travail.

3.1.4.4. Perspectives

Dans notre étude, les femmes enceintes présentant un mal-être psychologique présentaient des caractéristiques sociales et médicales plus vulnérables. Peu d’entre elles ont eu l’occasion de consulter un professionnel de santé pour leurs difficultés psychologiques. Prendre en compte le bien-être ressenti des femmes ou leur qualité de vie pourrait être réalisé dès le début des grossesses, cela permettrait un suivi et une opportunité de dialogue tout au long de celle-ci. Par ailleurs, aborder la question en consultation pourrait permettre d’évaluer le besoin ressenti d’aide et pourrait être réalisé en un temps court de consultation. La promotion de la santé mentale devrait prendre en considération le double désavantage lié à la position sociale : plus les conditions économiques et sociales sont désavantagées, plus la santé mentale est détériorée ; et plus la santé mentale est mauvaise, moins les soins à la grossesse semblent appropriés. Un soutien approprié aux femmes enceintes pourrait ainsi conduire à un meilleur vécu de la grossesse et possiblement à une réduction des complications néonatales et du post-partum.

3.2. Deuxième partie : Dépression, anxiété des femmes enceintes et