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CHAPITRE 1: Le concept de l’accident

3. Les modèles conceptuels de l’accident

3.2 Les modèles conceptuels sociotechniques

Dans les systèmes complexes modernes, l’homme se trouve dans un environnement où il va manipuler des machines et des technologies compliquées. Les résultats de ces interactions homme/machine ne peuvent pas être appréhendés d’une façon analytique. En effet, on ne peut pas comprendre le résultat de ces interactions si l’homme ou la technologie sont étudiés chacun isolément de leur contexte. Les systèmes composés d'agents humains et d’artefacts techniques sont souvent ancrés dans des structures sociales complexes telles que les objectifs de l'organisation, ses stratégies, la culture d’entreprise, sa situation économique, juridique, politique et environnementale.

La théorie sociotechnique implique donc que les agents humains et les institutions sociales fassent partie intégrante des systèmes techniques, et que la réalisation des objectifs de l'organisation ne soient pas atteints par le système d'optimisation de la technique, mais par l'articulation des aspects techniques et sociaux (Trist, 1951). Ainsi, l'étude des systèmes complexes modernes nécessite une compréhension des interactions et des interrelations entre les aspects techniques, humains, sociaux et organisationnels du système.

Charles Perrow (Perrow, 1984) à travers sa théorie de l'accident normal fournit une approche de l’accident dans les industries complexes (nucléaire, pétrochimie, aviation, navires, espace, armes nucléaires). Il analyse plusieurs problèmes d’accidents

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impliquant des systèmes complexes comme l’accident nucléaire de Three Miles Island en 1979. Il considère que la complexité des interactions et le couplage fort de ces systèmes complexes font irrémédiablement migrer le système technique et les organisations vers l’accident.

Un système complexe est constitué de plusieurs composants en interaction. Ces interactions peuvent être linéaires ou compliquées. Les interactions non-linéaires correspondent aux séquences étranges, imprévues, inattendues, invisibles, incompréhensibles au départ. Selon Perrow (1984) deux ou plusieurs évènements discrets peuvent interagir sous cette forme difficile à prédire par les concepteurs et difficile à maitriser par les opérateurs.

3.2.1 Le modèle conceptuel de Reason

Les travaux consacrés à la gestion du risque ont montré que les accidents survenus dans les milieux industriels complexes (par exemple les catastrophes de Fukushima ou de Bhopal) ne résultent jamais des seules erreurs humaines mais de l’imbrication en chaîne de nombreuses causes ou des facteurs favorisants. Ces causes, appelées systémiques ou latentes, sont plus difficilement identifiables que les erreurs humaines qui apparaissent comme les causes évidentes, immédiates des accidents (Larouzée et Guarnieri, 2015).

Ces causes systémiques ne créent pas d’accidents à elles seules mais sont délétères et synergiques lorsque surviennent une ou des erreurs humaines. Elles sont par ailleurs la raison principale des défaillances futures. Ces causes ne se révèlent que lors des enquêtes approfondies dites systémiques qui mettent le plus souvent en évidence la mauvaise organisation ou coordination du système plutôt que le manque de compétence des professionnels. Ces enquêtes approfondies sont un objet essentiel de la démarche de gestion des risques.

On comprend ainsi que la mauvaise organisation du travail, l'ambition excessive du rendement, un personnel mal formé ou en nombre insuffisant, des coordinations mal pensées, une gouvernance locale instable et peu présente, sont la source principale des

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catastrophes observées, bien avant les questions de manque de compétences techniques de chaque acteur impliqué.

Les travaux de Reason (2013) ont mis l’accent sur l’aspect multifactoriel et la nécessité de promouvoir une analyse non culpabilisante afin de pouvoir apprendre de ses erreurs pour améliorer la sécurité. Apprendre d’une erreur nécessite un diagnostic approfondi et approprié des causes.

3.2.2 Intégration d’une chaîne évènementielle dans le modèle de Reason

Les modèles conceptuels basés sur les chaînes d’évènements à l'origine sont utilisés pour décrire la propagation des défauts dans les systèmes techniques. Le modèle conceptuel du fromage suisse de Reason est destiné à décrire les facteurs organisationnels et les relations de causalité avant les erreurs de l'opérateur conduisant à un accident (Reason et Hollnagel, 2006).

Dans les systèmes sociotechniques, ordinateurs et artefacts techniques sont de plus en plus étroitement intégrés avec les activités humaines. Reason considère que les défaillances dans les systèmes sociotechniques sont le résultat des multiples facteurs engrenés dans une causalité complexe reparties sur le réseau hiérarchique des différents niveaux organisationnels.

Besnard et Baxter (2003) considèrent qu’il faut qu’il y ait simultanément des défaillances techniques et organisationnelles pour s’emparer du maillage de cette causalité conduisant à l’accident. Ils proposent d’intégrer alors les modèles conceptuels des chaînes d’évènements avec le modèle de Reason afin de trouver le maillage de causalité qui entraine l’accident et effectuent les approches suivantes pour soutenir leurs propositions.

Un système peut être représenté selon plusieurs niveaux. Chaque niveau contient un sous-système susceptible d’affecter le fonctionnement de l’ensemble général du système. Les défaillances sont influencées par les conditions instables qui sont généralement présentes sans avoir d'effet immédiat. Une défaillance de ce point de vue

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est donc la confrontation d’une combinaison improbable d'un certain nombre de facteurs contributifs (erreurs latentes *conditions instables). Dans de tels systèmes, Besnard et Baxter (2003) considèrent que les événements se propagent. Les accidents ne sont donc pas causés par la survenue des circonstances défavorables soudaines. Ils sont générés par des défauts initiaux qui, sous certaines conditions, déclenchent un événement indésirable. L’effet d’escalade des évènements se manifeste à travers des défaillances latentes reparties sur le système complet.

Figure 1-4 Intégration d’une chaîne séquentielle dans le modèle conceptuel de Reason (Qureshi, 2007)

Dans les années 1980, une nouvelle forme de modèles d'accident est apparue, qualifiée « d’épidémiologique ». Elle a pour ambition d’expliquer la cause des accidents au sein de systèmes dits « complexes ». Le modèle « épidémiologique » prend en compte les événements conduisant à des accidents analogues à la propagation d’une maladie, c'est-à-dire, comme le résultat d'une combinaison de facteurs, qui coexistent dans le temps et dans l'espace (Perneger, 2005). Le modèle de fromage suisse de Reason (2016, 1990) est la référence en la matière car il met en évidence les relations entre causes latentes et causes immédiates.