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CHAPITRE 1: Le concept de l’accident

4. Les limites des modèles conceptuels de l’accident

4.1 Limite des modèles traditionnels

Les modèles qui représentent une chaîne d’évènements impliquent une relation de cause à effet entre deux évènements consécutifs dans la chaîne. Ces relations de liens sont donc considérées comme directes et linéaires. Un évènement a lieu si l’évènement direct qui le précède a eu lieu et si les conditions de liaison sont présentes pour le déclencher. Ainsi, les modèles de chaînes d'événement favorisent la causalité linéaire, et il leur est difficile, voire impossible d'incorporer des relations non linéaires. Les facteurs de causalités identifiés en utilisant le modèle de chaîne d’événements dépendent de la sélection des conditions qui font le lien entre les événements ; cependant, le choix des événements à inclure ainsi que les conditions restent subjectives (Leveson, 2011). Chacune de ces deux limites est considérée à son tour dans ce qui suit.

35 4.1.1 Subjectivité dans la sélection des évènements

La sélection des événements à inclure dans une chaîne dépend de la règle d'arrêt déterminée, de la séquence explicative ou du raisonnement d’interprétation de l’approche de la vérité de l’accident. Bien que le premier événement dans la chaîne soit souvent appelé la cause initiatrice d’événement, la sélection de cette dernière reste arbitraire. Parfois l'événement déclencheur est sélectionné car il représente un type d'événement qui est familier, acceptable comme motif ou parce qu’il s’avère représenter un écart par rapport à une norme. Dans d'autres cas, l'événement initiateur est choisi parce qu'il est le premier événement pour lequel on estime qu’une intervention pourrait empêcher l’accident. Le chaînage peut également s’arrêter parce que le chemin causal disparaît en raison du manque d'information.

Pour Rasmussen (1997) la difficulté principale réside dans la poursuite de la recherche inverse « à travers » un être humain, c’est-à-dire si la cause des évènements est étrange aux opérateurs ou s’ils ne sont pas impliqués directement. D’autres événements ou explications peuvent être exclus ou non examinés de manière approfondie, car ils soulèvent des questions qui sont embarrassantes pour l'organisation ou pour ses entrepreneurs ou qu’elles sont politiquement inacceptables. L’évènement qui précède directement l'accident est considéré généralement comme la cause primordiale. Toutefois, ce principe dans la sélection de l’évènement peut révéler une approche non fondée et induit souvent les enquêteurs des accidents en erreur.

A titre d’exemple, le cas du « Friendly fire » qui a abattu deux hélicoptères Black Hawk en Iraq (AAIB, 1994) : le tir de missiles par les pilotes du F-15 a été identifié comme la cause « primordiale », et par la suite les pilotes ont été considérés responsables de l’accident. Toutefois, le rapport d'accident a démontré qu'il y avait un grand nombre de facteurs et des événements qui ont contribué à l'accident.

L'une des raisons de cette tendance à rechercher une cause unique réside dans la volonté d’attribuer à l’accident un responsable physique humain et par la suite le blâmer, ceci souvent à des fins juridiques. Occasionnellement, un enquêteur d’accident

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va s'arrêter à un événement particulier ou sur une condition qui lui est familière et certainement l’utiliser comme une explication acceptable de l'accident.

On remarque dans ces modèles des notations formelles et informelles pour la représentation de la chaîne d'événements. En effet, d’une part les chaînes peuvent contenir uniquement des événements et d’autre part, les chaînes peuvent contenir des conditions qui ont conduit aux événements. La différence entre les événements et les conditions réside dans le fait que les événements sont limités dans le temps, alors que les conditions persistent et changent quand un événement se produit. Généralement, dans ces modèles, il n'y a pas de critère objectif pour distinguer un facteur ou plusieurs facteurs des autres facteurs qui composent la cause de l'accident (Leveson, 2001).

4.1.2 Subjectivité dans la sélection des conditions

En plus de la subjectivité dans la sélection des événements, des événements initiateurs, des conditions ou des liens directs qui peuvent entrainer la succession des événements sont choisis de manière très subjective. Leveson (2011) fait remarquer que les liens sont justifiés par les connaissances ou les règles de différents types (physiques et organisationnelles).

Le même événement peut ainsi donner lieu à différents types de liens selon les représentations mentales que l'analyste a de la réalisation de cet événement. Lorsque plusieurs types de règles sont possibles, l'analyste appliquera celles qui lui semblent proches de son modèle mental au regard de la situation en jeu.

L’approche de la vérité de l’accident peut paraitre inatteignable du fait de la subjectivité de la sélection des événements, des conditions et des liens d’influence. On n’obtiendra pas toujours une vérité absolue mais par contre des vérités plausibles dont chacune pourra servir comme une explication de la séquence d'événements qui conduit à l’accident.

Ainsi, la compréhension de l’accident et l’apprentissage pour prévenir de nouveaux accidents exigent l’identification de tous ces facteurs pour expliquer l'entrée

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incorrecte et les subjectivités qui induisent en erreur. Pour cela il convient d’adopter un modèle d’accident qui utilise et guide une analyse complète à plusieurs niveaux du système technique et social. Nous allons expliquer dans ce qui suit la démarche de cette approche.

4.1.3 Recherche des facteurs de cause de l’accident

Les limites des modèles de chaînes d'événements ne se résument pas simplement au niveau de la sélection des événements mais aussi dans l'étiquetage de certaines causes et conditions arbitraires et incomplètes considérées comme principales et nécessaires à inclure dans la chaîne. Les chaînes d'événements développées pour expliquer un accident se concentrent habituellement sur les événements précédant immédiatement la perte. Mais les facteurs accidentogènes sont souvent présents des années à l’avance (Leveson, 2011). Un événement déclenche simplement la perte, mais si cet événement n’est pas advenu, un autre événement lié indirectement peut conduire à une perte.

Bon nombre des facteurs de causalité systémiques ne sont qu'indirectement liés aux conditions précédant la perte et les événements. La catastrophe de Bhopal fournit un bon exemple. En général, les modèles basés sur des événements ne représentent pas les facteurs systémiques de l’accident comme : les déficiences structurelles de l'organisation, la gestion de la prise de décision et la faible culture de la sécurité de l'entreprise ou d’une industrie. Un modèle d'accident devrait encourager une vue d'ensemble des mécanismes de l'accident qui élargit l'enquête au-delà des événements immédiats : une focalisation sur des composants technologiques et des activités d’ingénierie pure ou une focalisation étroite similaire sur les erreurs d'opérateurs peut conduire à négliger certains facteurs plus importants en termes de prévention des accidents.

Le modèle de l'accident pour expliquer pourquoi l'accident s'est produit ne devrait pas seulement encourager l'inclusion de tous les facteurs de causalité, mais devrait également fournir des indications pour identifier ces facteurs.

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4.2 Les répercussions des limites des modèles conceptuels traditionnels dans