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Le modèle de Rogoff et l’idée du gouverneur conservateur :

5 La prise en compte du phénomène de réputation :

6- Le modèle de Rogoff et l’idée du gouverneur conservateur :

En 1985, Rogoff102 trouve une solution originale au problème de l’incohérence temporelle, consistant dans la nomination par le gouvernement à la tête d’une banque centrale indépendante un gouverneur « conservateur », c’est-à-dire qui accorde un poids plus important à la lutte contre l’inflation que l’ensemble de la société.

Par conservatisme, on entend une aversion majeure à l’inflation, un poids plus élevé donné au niveau de l’inflation par rapport au taux de chômage. Il s’agit de changer l’objectif monétaire, afin de supprimer la tentation implicite de la politique monétaire. Le conservatisme permet de sauvegarder la politique discrétionnaire, car l’objectif est dirigé dans la juste direction anti-inflationniste.

On peut aussi définir le conservatisme d’une façon un petit peu différente : est conservatrice l’autorité qui possède une préférence temporelle plus longue, donc qui considère les effets sur le long terme de sa propre politique. Cette définition accentue l’assimilation du conservatisme à l’indépendance, car celle-ci permet l’adoption d’une logique de longue durée alors que la politique monétaire soumise au gouvernement est délimitée par des courtes périodes en raison des échéances électorales. L’aversion à l’inflation et le long terme sont des éléments complémentaires du conservatisme.

La présence d’un gouverneur conservateur permet de baisser les anticipations d’inflation des agents qui vont être moins exigeants lors de leurs revendications salariales, car ils s’attendent à ce que la lutte contre l’inflation soit objectif privilégié par la banque centrale et donc que la hausse des prix ne soit pas très forte.

Au début de l’analyse, les préférences de la société et du gouvernement sont identiques, et consistent à minimiser la fonction de coût total suivante :

Zt= (Ut- Ưt)² + (b/a (πt- π´t)²)

Dans laquelle Ut est le taux de chômage effectif, et Ưt le taux de chômage naturel. πt est le taux d’inflation effectif et π´t le taux d’inflation anticipé. Le coefficient (b/a) permet de pondérer les deux types de coûts issus des différences entre les taux d’inflation et de chômage désirés et effectifs. Deux acteurs sont en présence : l’autorité monétaire, qui détermine le taux d’inflation, et les décideurs salariaux (les syndicats), qui fixent le niveau des salaires nominaux. L’objectif des salariés est de minimiser l’écart entre l’emploi effectif et l’emploi d’équilibre sur le marché du travail. Cette minimisation permet de déterminer le salaire négocié en fonction des anticipations de prix pour la période suivante. L’objectif d’emploi de la banque centrale étant supérieur à celui des salariés, des tensions apparaissent sur le marché du travail. Les décideurs salariaux doivent donc établir des anticipations sur les niveaux futurs d’inflation. L’élément central de l’analyse repose sur le conflit d’objectif entre le décideur monétaire et décideurs salariaux. Le taux de chômage spontané, déterminé par le niveau des salaires nominaux, peut être perçu comme trop élevé par la société et l’autorité monétaire. Cette dernière est incitée à lutter contre le chômage, même au risque de relancer l’inflation. Les décideurs salariaux anticipent une telle action, en tenant de la déjouer en fixant les salaires nominaux à un niveau élevé et dissuasif : l’autorité ne pourra alors plus relancer l’inflation dans le but de limiter le chômage. Le point à partir duquel l’autorité monétaire renonce à agir est celui où le coût marginal pour tenter d’accroître l’emploi est égal au coût marginal d’une inflation supérieure.

Le constat de Rogoff est donc le même que celui des auteurs étudiés précédemment : on est dans le cadre d’un jeu non coopératif, dont le résultat est caractérisé par un niveau d’inflation trop élevé sans réduction du chômage (le biais inflationniste). Mais les solutions préconisées ici sont assez différentes : l’établissement d’une règle monétaire rigide n’est pas adaptée. Rogoff103disait que « pour être pleinement efficace, il faudrait que la règle soit mise en place de telle façon qu’il soit très difficile d’en changer. Mais ceci, fait naître, en contrepartie, le danger que la règle soit très difficile à abroger quand elle devient démodée ». Une règle introduit une rigidité qui peut empêcher l’autorité monétaire de répondre de façon adaptée en cas de choc d’offre dans l’économie. Rogoff met ainsi en avant le dilemme ‘Crédibilité versus flexibilité’. Les décideurs salariaux fixant le niveau des salaires nominaux selon les préférences de l’autorité monétaire, un degré élevé de conservatisme de cette dernière permet de limiter les négociations de salaires inflationnistes. Cependant, si le gouvernement doit être

assez conservateur pour assurer la crédibilité de la politique monétaire, il ne doit pas l’être trop, afin de pouvoir répondre aux chocs d’offre éventuels.

6-1 Analyse de la solution proposée par Rogoff :

Même si le modèle proposé par Rogoff aboutit à des résultats intéressants, il ne peut pas être considéré comme le modèle optimal qui résout le biais inflationniste. Comme l’affirme Rogoff, le conservatisme, tout en réduisant le biais inflationniste, constitue une solution de troisième degré (third best). La solution de premier degré consiste à déraciner la distorsion présente sur le marché du travail ‘distorsion fiscale, présence de syndicat….’ qui rend le taux de chômage naturel socialement trop élevé et qui incite l’autorité monétaire à conduire une politique inflationniste. Le résultat de cette première solution est qu’on aurait moins de chômage pour un même taux d’inflation, situation qui serait préférable à toutes les autres (le biais inflationniste est effacé depuis ses racines). Dans le cas où cette solution n’est pas réalisable, la solution de deuxième degré consiste à adopter une règle monétaire contingente : on aurait une inflation nulle et un taux de chômage optimal (sauvegarde de la flexibilité avec la crédibilité). Les limites de la règle réduisent cependant la portée de cette solution. Le conservatisme est une solution de troisième degré, car il comporte des aspects négatifs : à côté de la réduction de l’inflation augmente l’instabilité économique.

Le conservatisme naît de la nécessité de sauvegarder la flexibilité à côté de la crédibilité, il n’arrive pas à surmonter le compromis existant entre les deux termes. Si le poids majeur donné à la lutte contre l’inflation, conduit l’autorité conservatrice à réaliser un taux d’inflation moins élevé (apport de la crédibilité), les réactions face aux chocs économiques sont moins efficientes (flexibilité moindre) d’où une variabilité économique plus prononcée104.

En 1990, à partir d’un modèle à deux pays, Laskar105 montre que la nomination d’un gouverneur central conservateur permet dans certains cas de détériorer la situation des deux pays. Si les deux pays ont besoin de mener une politique expansionniste (ce qui est le cas en présence d’un choc symétrique), chaque gouverneur peut craindre une dépréciation trop importante de sa propre monnaie par rapport à la monnaie étrangère. En l’absence de coopération entre les deux gouverneurs, la politique monétaire dans chaque pays sera moins expansionniste que souhaitée. Or avoir à la tête de l’institut d’émission un gouverneur

104 Cukierman, A. (1992), Central bank strategy, credibility and independence: theory and evidence,Cambridge, Mass, MIT Press. 105 Laskar, (1990), « The role of a fixed exchange rate system, When central bankers are independant », CEPREMAP.

conservateur accentue cette crainte et donc est néfaste au bien-être des deux économies. Cependant, les fluctuations du taux de change réel et leurs effets distorsifs sur le niveau des prix, sont réduites quand le gouvernement est conservateur.

On peut noter aussi que l’aversion majeure à l’inflation qui est source de crédibilité, comporte une attention mineure au chômage, d’où une politique moins stabilisatrice et moins attentive à la croissance. Si la rigidité de la règle était dans l’action monétaire, dans le conservatisme la rigidité concerne l’objectif monétaire : l’attention étant mise plus sur l’inflation que sur le chômage, donc, cela peut conduire à de fortes fluctuations et se révèle néfaste pour la politique de stabilisation.

Pour faire face à ce problème, Rogoff démontre que le degré de conservatisme doit être positif afin de réduire le biais inflationniste, mais non pas infini, afin d’éviter de perdre trop en flexibilité, d’où l’existence de différentes études qui cherchent à déterminer le degré optimal de conservatisme. Si d’un point de vue théorique, cette question peut être intéressante, on peut se demander comment cela peut être rendu opérationnel : le degré de conservatisme se traduit par un taux d’inflation plus ou moins élevé à réaliser.

Pour faire disparaître le biais inflationniste, Svensson106 en 1997 montre qu’il est aussi possible de choisir une cible d’inflation permettant d’atteindre un faible taux d’inflation. Ainsi, au lieu de déléguer le pouvoir à un banquier central n’ayant pas les mêmes préférences en matière de lutte contre l’inflation, le gouvernement choisit un banquier qui minimise l’écart de l’inflation objectif à une cible d’inflation, qui n’est pas nécessairement égale au taux d’inflation socialement optimal. La cible d’inflation optimale est donc inférieure à l’objectif de la société. Les cibles d’inflation qui ont été mises en place en pratique sont plutôt supérieures au taux d’inflation socialement optimal.

106 Svensson, L. E. O. (1997), Optimal inflation targets, "conservative" central bank, and linear inflation contracts, American Economic Review, vol. 87 n. 1, mars, pp. 98-114.