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La problématique de la crédibilité des banques centrales

1- Définition de la notion de crédibilité :

Au cours de ces dernières années, la notion de la crédibilité a fait l’objet d’une recherche approfondie dans les revues spécialisées d’économie. Elle représente un intérêt de haute importance pour les banquiers centraux. Toutefois, beaucoup d’auteurs utilisent ce concept sans clarifier son sens exact, et de ce fait le flou qui entoure la crédibilité n’est pas levé par la masse de la littérature qui porte sur cette notion, ce qui laisse à penser qu’il n’existe pas une définition unifiée.

Cette idée a été confirmée par Stanley Fischer (1994)32, qui mentionne que la notion de crédibilité est assez insaisissable. Il est vrai que ce concept semble à la fois vague et d’une appréciation intuitive. Mais cela ne veut dire pour autant que ce concept est dénué de sens. Nombreux sont les économistes et les institutions qui se sont penchés sur la crédibilité, afin d’en cerner le plus précisément ses contours. Pour être un concept utile, la crédibilité doit être clairement définie. Evoquer la crédibilité est pertinent dans toutes les situations d’intérraction dynamique entre des individus ayant des objectifs au moins en partie conflictuels. Cette notion est liée à tous les types de relations humaines où les contrats entre les agents économiques comprennent un échange inter-temporel.

Les définitions académiques de la crédibilité qui coexistent parmi les économistes font intervenir des terminologies spécifiques, comme l’aversion à l’inflation, le préengagement et les contrats incitatifs. Ces définitions entretiennent des liens variables avec l’acception commune de crédibilité, « ce qui fait qu’une chose mérite d’être crue »33, ou « le caractère de quelqu’un qui est digne de confiance »34. Pour qu’une institution ou une personne soit crédible, il faut que sa parole engage ses actes.

Dans le domaine monétaire, la notion de crédibilité est souvent reliée voire assimilée, au concept de « cohérence (constance) temporelle », l’expression « time consistent », a été introduite par un article de F.E Kydland et E.C Prescott35en 1977 qui représente le socle des

32 Stanley Fisher (1994), « Modern central banking », in caple Forrest, Goodhart Charles, Fisher Stanley, Schmadt Norbert, The future of central Banking, Cambrige University Press.

33 Définition prise du Robert. 34 Définition prise de Larousse.

travaux de recherche sur la crédibilité. Elle exprime le caractère cohérent et rationnel d’une décision par rapport aux informations disponibles à un moment donné. Une politique cohérente est ainsi définie36 « à tout point du temps, la politique choisie est la meilleure, compte tenu de la situation courante ». Ainsi une politique monétaire envisagée au temps t pour une période future est crédible si –compte tenu des objectifs de l’autorité monétaire- il est de son intérêt de réaliser cette politique le moment venu. Toutefois, cette politique est optimale, si et seulement si les performances de l’économie dépendent uniquement des décisions politiques actuelles et passées et non des décisions futures. Mais ce n’est pas le cas pour les systèmes dynamiques, dans lesquelles les décisions courantes dépendent des anticipations que les agents forment sur les décisions futures. Ainsi, il est facile de montrer que la solution optimale pour un ensemble de périodes comprenant t1 et t2, celle qui maximise la fonction objectif, ne correspond pas nécessairement à la décision cohérente au temps t1 en fonction des informations disponibles à ce moment là. Donc, cette décision peut être qualifiée par non seulement ‘temporellement cohérente’ mais aussi ‘temporairement cohérente’. Donc, une politique monétaire n’est pas crédible si la meilleure action pour elle au moment de la mise en œuvre est différente de l’action qui avait été prévue auparavant pour cette période. Cette conception de la crédibilité a donné lieu à une abondante littérature. Toutefois, la définition de la crédibilité ne doit pas se limiter à la seule cohérence temporelle de la politique qu’elle met en œuvre, cette notion recouvre plusieurs autres aspects autre que celui de la cohérence temporelle. Afin d’éviter de raisonner sur des bases vagues et instables, nous essayerons de spécifier les caractéristiques importantes de la crédibilité, et pour cela, nous allons nous baser sur les travaux de Blackburn et Christensen37. En 1989, ces deux auteurs admettent que la crédibilité ne peut pas être réduite à la seule cohérence temporelle. En particulier, ils admettent des facteurs technologiques (qui touchent à la validité des données statistiques avec lesquelles la politique monétaire est décidée, la validité de la théorie à la base de ces décisions, le contrôle effectif sur les instruments qu’on veut influencer, le réalisme de l’objectif fixé), des facteurs administratifs (la possibilité des responsables monétaires en place, ministre ou gouverneur, de pouvoir mettre en place et tenir la politique souhaitée, ce qui touche en particulier à la durée du mandat et aux possibles changements d’objectifs), et des facteurs stratégiques (principalement le problème de l’incohérence temporelle).

36 F.E Kydland et E.C Prescott, op.cite P 29.

De son coté Fisher .A.M38 (1994), soulève le possible conflit d’intérêt entre politique monétaire qui vise la stabilité des prix, et le rôle actif de la banque centrale dans la supervision bancaire en soutenant qu’en cas d’intervention lourde pour sauver des institutions financières en difficulté, dans ce cas la stabilité des prix peut se trouver menacée. La crédibilité monétaire ne peut donc pas être réduite à la seule cohérence temporelle.

Pour la Banque de France39, la notion de la crédibilité est assimilée à « la confiance qu’elle inspire dans sa capacité à garantir que ses décisions seront inspirées par la volonté de protéger le long terme ». Cette définition donnée par la Banque de France rejoint la vision de G. Erbert et H. Hagemanm40. Ces auteurs montrent avant tout que crédibilité et confiance sont très proches synonymes, bien que l’un concerne les institutions et l’autre les individus. La crédibilité est déterminée par les individus et les perceptions individuelles d’une institution qui doit remplir ses engagements.

De leur coté, Barro et Gordon (1983a, 1983b)41privilégient plutôt la notion de la règle, qu’ils opposent aux décisions discrétionnaires. Les gouvernements sont incités à tricher sur les intentions et cherchent à provoquer des surprises d’inflation. Cependant, face à des agents privés parfaitement informés, il n’y a pas d’écart entre l’inflation effective et l’inflation anticipée : tricher ne paie pas. Pour passer d’un équilibre de « third best » (la discrétion) à un équilibre de « second best », il faut se lier les mains en adoptant une règle de préengagement. Pour parvenir au « first best », rien n’est mieux que d’avoir construit sa réputation, la banque centrale est alors en mesure d’atteindre un taux d’inflation inférieure qui élimine le biais inflationniste qu’incorpore encore l’équilibre de « second best », et de ce fait, la notion de la crédibilité utilisée par ces deux auteurs est assimilée à l’adoption d’une règle et à la bonne réputation.

Toutefois, la notion de la crédibilité ne doit pas être réduite à la seule bonne réputation, au sens commun du terme, de l’institution et de ses dirigeants, à qui est déléguée la politique monétaire. Elle est aussi fonction de la bonne insertion de cette politique dans l’ensemble de

38 Fisher .A.M « Crédibilité de la politique monétaire et incertitude concernant les prix : l’expérience néo-zélandaise en matière d’objectif d’inflation, revue de l’OFCE, n° 22.

39 La politique monétaire à l’heure du marché mondial de capitaux, Banque de France, 1998.

40 G. Erbert et H. Hagemanm, « Credibility : meseaurment and impact. Central bank experience and Europerspective », in ARESTISP, SAWYER M.C, Polical economy of central bank, MC 1998.

41 Barro R.J et Gordon D.B, 1983a : « A positive theorie of monetary policy in a natural-rate model », Journal of Political Economy, août. Barro R.J et Gordon D.B, 1983b : « Rules, discretion and reputation in a model of monetary policy», Journal of Political Economy, Juillet.

l’action macroéconomique menée par les autorités publiques partie prenante à cette action. Elle n’est pas indépendante de la qualité de coopération des institutions en charge de politiques économiques. « La crédibilité n’est pas une simple propriété intrinsèque de la banque centrale : Pour qu’elle lui soit accordée, il faut que son action et celle des autres institutions responsables de la politique économique s’harmonisent suffisamment42. »

Une autre définition de la crédibilité est proposée par Walsh (1995)43, qui fait intervenir les contrats incitatifs44. Ceux-ci doivent permettre de rendre crédibles, aux yeux de la société, les annonces de politique monétaire faites par le banquier central. Pour ce faire, il faut s’assurer qu’il est dans l’intérêt de celui-ci de ne pas revenir sur sa parole. Un moyen pour y parvenir consiste à spécifier une amende proportionnelle à l’écart entre le taux d’inflation réalisé et sa cible. Ce mécanisme est supposé inciter le banquier central à respecter ses objectifs et à tenir parole.

De son côté, M. Aglietta45 (2000), propose une définition élargie de la crédibilité. Selon cet auteur, « la crédibilité est l’aptitude de la banque centrale à faire reconnaître sa détermination de préserver le régime monétaire sur lequel elle a engagé sa stratégie, en dépit des déviations qu’elle consent pour absorber les chocs dans les meilleures conditions possibles ». C’est la revendication d’une complémentarité entre la règle et les décisions discrétionnaires. Dans ce sens, la notion de crédibilité perd sa simplicité parce que la banque centrale crédible est celle qui sait faire un arbitrage adéquat de fidélité au régime monétaire et de décisions discrétionnaires, de telle sorte que ses décisions, face à des chocs imprévus, n’auront pas d’effets négatifs sur les attentes des agents économiques.

Dans un article intitulé « La BCE : être crédible pour ne pas faillir », Michel Dévoluy46, distingue entre la crédibilité institutionnelle et la crédibilité opérationnelle. Pour cet auteur, l’indépendance de la banque centrale est une condition institutionnelle nécessaire de la crédibilité. Mais cela ne suffit pas, pour asseoir sa crédibilité opérationnelle la banque centrale

42 La politique monétaire à l’heure du marché mondial des capitaux, Banque de France, 1998. 43 Walsh (1995), « Optimal Contracts for Central Bankers », the Américan Economic Review.

44 On se situe dans le cadre d’un raisonnement principal-agent, le contrat relie le gouvernement et la banque centrale. Le principal objectif de ce contrat est de définir au mieux les comportements optimaux des banquiers centraux. Cette idée sera développée dans la partie intitulée ‘gouverneur soumis à un contrat’ chapitre 1, Section 2 : les fondements théoriques de la crédibilité.

45 Aglietta. M, (2000), « Macroéconomie financière », Seconde Edition, La Découverte, Collection Repères. 46 Michel Dévoluy, « La BCE : être crédible pour ne pas faillir », l’euro dix mois après.

doit, en proposer une stratégie monétaire qui renforce et soutienne la crédibilité institutionnelle acquise grâce à l’indépendance.

Cette crédibilité que Michel Dévoluy qualifie d’opérationnelle, se construit autour de trois axes. D’abord, les engagements annoncés par la banque centrale doivent être compris, lisibles, clairs et transparents pour tous. Ensuite, les règles de conduite de la politique monétaire ne doivent donner lieu ni à des réactions mécanistes, ni à des mesures discrétionnaires mal comprises. Enfin, les mesures prises doivent reposer sur des orientations de moyen terme. Il faut donc axer la politique monétaire sur l’anticipation de l’évolution des prix.

Les différences de jugement sur la crédibilité entre les individus s’expliquent par le fait qu’ils utilisent différents modèles implicites ou explicites et différents types d’informations concernant les autres acteurs.

Au final, on peut dire que le plus important est de montrer sa détermination à atteindre un objectif ultime et en l’atteignant effectivement. Toutefois, Blinder (2000)47 rappelle avec justesse que la Bundesbank, malgré les échecs répétés à respecter ses objectifs de croissance monétaire, a toujours été perçue comme institution crédible, tout simplement parce qu’elle maîtrisait l’inflation et, de ce fait, la crédibilité est synonyme de réputation. Donc, on peut dire que la crédibilité devient un capital qui peut être objet d’accumulation, même si comme d’autres, il est vulnérable à l’usure.