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5 La prise en compte du phénomène de réputation :

7- Le gouverneur soumis à un contrat :

L’approche du contrat, retenue par Persson, Tabellini107 et Walsh108, se pose de façon alternative face au conservatisme de Rogoff (1985). Le conservatisme sacrifie partiellement la flexibilité pour atteindre la crédibilité : c’est la non-solution à l’arbitrage entre flexibilité et crédibilité. La perte de flexibilité se traduit en effet par une attention majeure à la lutte contre l’inflation en laissant partiellement de côté la production et l’emploi, d’où une réponse non optimale face aux chocs économiques qui endommagent la production et l’emploi. Et cela découle directement de la notion de conservatisme.

Persson et Tabellini différencient l’approche législative et l’approche objectif : la première signifie un conservatisme qui se réalise par une banque centrale indépendante dont le mandat est la poursuite de la stabilité des prix ; la deuxième correspond à l’approche du contrat qui se caractérise ainsi :

“Le gouvernement impose une cible d’inflation explicite visant la stabilité des prix que le banquier central doit réaliser, et ce dernier (le gouverneur de la banque centrale) est explicitement responsable envers la société.” (Persson & Tabellini, 1993 - p. 279)

Donc, devant l’impossibilité mise en évidence par Rogoff d’avoir en même temps crédibilité et flexibilité de la politique monétaire, l’idée a été introduite de limiter l’indépendance du gouverneur de la banque centrale à une indépendance d’instruments109 pour résoudre le problème de l’incohérence temporelle tout en préservant la capacité de la banque centrale de répondre à des chocs d’offre.

Carl Walsh tente d’apporter une réponse aux interrogations concernant les comportements optimaux des gouverneurs de banque centrale. Un contrat d’incitation optimal permet à la fois d’éviter le biais inflationniste des politiques discrétionnaires et d’apporter une réponse efficace aux chocs d’offre. On se situe alors dans le cadre d’un raisonnement principal-agent,

107 Persson, T. et Tabellini, G. (1993), Designing institutions for monetary stability, Carnegie-Rochester Conference Series on Public Policy, vol. 39, également in Persson et Tabellini (éds.), op. cit., chapitre 12.

108 Walsh, C. E. (1995b), Optimal contracts for independent central bankers, American Economic Review, vol. 85, n. 1, mars, pp. 150-167.

109 On fait souvent la distinction entre indépendance d’objectif et indépendance d’instruments. Dans la première la banque centrale à la totale liberté dans la définition de l’objectif et l’utilisation des instruments, alors que la seconde, l’objectif est déterminé par le gouvernement et la banque doit le réaliser en ayant une liberté dans l’utilisation de ses instruments.

le contrat étant passé entre le gouvernement et l’autorité monétaire indépendante. L’idée du contrat implique donc la présence d’un principal (le gouvernement) et d’un agent (la banque centrale). La banque centrale n’est pas contrainte de suivre une règle monétaire ; elle peut conduire sa politique de façon discrétionnaire, ce qui lui permet de répondre aux chocs économiques. Le contrat entre le gouvernement et la banque centrale doit sauvegarder cette flexibilité tout en favorisant une politique non inflationniste. Walsh étudie les types de contrats qui sont envisageables, afin de déterminer lequel sera optimal. Il part du constat que les personnes chargées de la politique monétaire ne sont jamais directement désignées par les citoyens. Ce sont en revanche les gouvernements, eux-même choisis par les citoyens, qui mettent en place les dirigeants des banques centrales. Ils choisissent en cela un individu parmi plusieurs banquiers centraux potentiels qui ont chacun leurs propres préférences entre l’inflation et le chômage.

Une fois nommé le gouverneur, le gouvernement peut en influencer les préférences et les intentions. Donc, l’accent est mis sur les tâches et les incitations du gouverneur de banque centrale pour qu’il achève les missions qui lui ont été conférées dans le cadre d’un modèle principal-agent. En particulier, il s’expose à des représailles s’il échoue, représailles qui peuvent prendre la forme de suppressions de primes ou même d’un renvoi. Une incitation financière ‘une prime par exemple’ peut aussi être envisagée si les objectifs d’inflation sont atteints. Donc, par le contrat on détermine un revenu que le principal transfert à l’agent, en fonction du résultat obtenu par l’agent. Cela modifie les incitations de l’agent. Il faut donc identifier le transfert110 optimal qui oriente l’action de la banque centrale dans la juste direction, c’est-à-dire vers la réalisation d’une politique qui ne soit pas inutilement inflationniste. Si on admet un contrat qui définit un transfert monétaire dépendant linéairement du taux l’inflation réalisée, la fonction d’objectif que la banque centrale cherche à maximiser va se modifier. Admettons que le contrat est déterminé avant la fixation des anticipations. Une fois la réalisation des anticipations et la détermination des salaires nominaux, le contrat ne peut plus être renégocié (ce qui sauvegarde la crédibilité du contrat et devrait éviter l’incohérence temporelle du contrat lui-même). La banque centrale doit alors maximiser la fonction suivante :

110 Dans son modèle, Walsh (1995b - p. 152) considère comme transfert le cas où les salaires des membres de la banque centrale sont déterminés en fonction du résultat économique obtenu (state-contingent wage contract): plus d’inflation, moins de salaires. Cela pourrait être le cas d’une détermination nominale des salaires, de telle sorte que toute inflation érode la valeur réelle.

W = t - L(π,U)

Avec :

W = fonction objectif en termes d’utilité;

L = fonction de coût social (Loss function) qui correspond aux préférences sociales et qui est égale à la fonction sociale retenue auparavant. Le coût social dépend du taux d’inflation π et du niveau de l’emploi U (qu’on peut considérer, d’après la formule de Lucas, comme écart entre π et πe);

t = transfert monétaire que la banque centrale obtient en fonction du résultat obtenu, défini en termes d’inflation (plus d’inflation, moins de transfert).

Si la banque centrale cherche à maximiser cette fonction d’utilité, le gouvernement est en mesure d’établir le montant optimal de transfert. Pour cela, le gouvernement peut se baser sur l’établissement d’une cible monétaire ou d’une cible d’inflation. Si l’autorité ne la respecte pas, elle s’expose à une punition proportionnelle au niveau de la déviation entre la cible annoncée et la réalisation. Le transfert optimal étant une fonction linéaire du taux d’inflation, l’augmentation du coût marginal est le même dans tous les états de la nature.

Walsh insiste sur le fait que la fonction de transfert repose à la fois sur l’inflation et sur le niveau d’emploi. Il remarque que beaucoup de réflexions récentes sur les banques centrales ont privilégié l’objectif d’inflation. Selon l’auteur, des contrats basés sur un unique objectif ne sont optimaux que s’ils reflètent les préférences effectives de la société. Cependant, les contrats ne sont souvent pas aussi simples que ceux décrits par la théorie ; ainsi la solution contractuelle de Walsh n’a que rarement été observée en pratique ‘le cas de la Nouvelle-Zélande’.

Pour les vérifications empiriques des travaux de Walsh, on peut se pencher sur l’expérience de la Nouvelle-Zélande. Depuis 1989, la banque centrale de ce pays s’est vue assigner des objectifs par la loi et des mécanismes ont été mis en place pour qu’elle remplisse ses missions. Cela peut être comme l’établissement d’un contrat entre le gouvernement et l’autorité monétaire. Des études ont été menées pour savoir si, les changements institutionnels avaient entraîné une baisse des coûts de la désinflation. Debelle111, affirme que tel n’a pas été le cas.

Dans la même année Fisher112 avance que les modifications en Nouvelle Zélande n’ont pas d’effet sur les anticipations et les résultats en matière monétaire. En 1995 Walsh113 disait « Les conclusions qui affirment que les importantes réformes en Nouvelle Zélande ont échoué à entraîner un bonus de crédibilité tendent à être trop pessimistes. »

7-1 Analyse de la solution proposée par Walsh :

Le principal objectif de cette solution du contrat est de résoudre le problème de l’arbitrage entre flexibilité et crédibilité. D’ailleurs Walsh souligne qu’ « Un banquier central soumis à un contrat peut éliminer le biais inflationniste tout en assurant une politique de stabilisation optimale en réponse aux chocs d’offre qui frappent l’économie. » (Walsh, 1995b - p. 157) L’avantage du contrat réside dans le fait que le transfert ne touche pas la fonction de bien-être en elle-même, mais il s’y ajoute, ce qui permet de ne pas modifier le rapport entre inflation et chômage. Le poids relatif entre inflation et chômage est le même que celui retenu par les individus. Le transfert linéaire en fonction du taux d’inflation augmente le coût marginal de l’inflation de façon constante : le poids relatif par rapport au chômage n’est pas affecté, mais le coût absolu de l’inflation est plus grand. On évite ainsi la distorsion du poids relatif qui garde l’arbitrage entre flexibilité et crédibilité dans le conservatisme.

En réalité, plus qu’une solution effective à l’arbitrage entre inflation et chômage, il s’agit de pouvoir garder par le contrat le même poids relatif implicite dans la fonction de bien-être social entre inflation et croissance. Si le conservatisme change ce rapport, le contrat le garde intact en ajoutant simplement un coût supplémentaire pour toute inflation.

Comme on l’a déjà étudié la principale source de l’absence de crédibilité dérive de la soumission de la politique monétaire à des objectifs non monétaires, d’où la dérive inflationniste. L’approche par le contrat, à la différence du conservatisme, laisse encore une place au gouvernement dans la définition de la politique monétaire. En particulier, le gouvernement garde la définition de l’objectif que la banque centrale doit poursuivre. Étant donné que le principal problème de la crédibilité concerne l’objectif poursuivi, on peut soutenir que le contrat ne permet pas d’établir une politique parfaitement crédible.

112 Fischer, A. M. (1995), New Zealand's experience with inflation targets, in Leiderman et Svensson. 113 C. Walsh (1995), op cite, 75.

Le fait de laisser la détermination de l’objectif et le pouvoir d’établir une sanction en cas de non-réalisation de l’objectif par la banque centrale au gouvernement, donc à l’autorité qui possède les tentations inflationnistes, réduit la crédibilité de l’approche par le contrat. Si le gouvernement n’est pas capable de mettre en œuvre une politique non inflationniste, on ne voit pas comment il pourrait le faire sous le contrat étant donné que l’objectif dépend encore de lui. En d’autres termes, le mécanisme de l’incohérence temporelle passe de l’instrument appliqué par le gouvernement à la définition du contrat : dans le premier cas, le gouvernement renie sa propre conduite monétaire, alors que dans le deuxième cas, il renie le contrat lui-même en favorisant ainsi un comportement inflationniste de la banque centrale.

On peut répondre à cet argument que la transparence du contrat (publication) met en évidence un possible abandon des tentations inflationnistes. Le fait de prévoir une sanction en cas de résultat inflationniste et le fait de ne pas la réaliser serait un signe évident de non-respect des accords, signe d’absence de crédibilité. La transparence devrait ainsi réduire cette tentation et permettre d’établir la crédibilité. De plus, le fait que l’instrument monétaire soit délégué à la banque centrale et qu’elle doit poursuivre l’objectif défini, peut favoriser une politique non inflationniste, surtout en cas d’information incomplète quant aux vraies intentions du gouvernement : mieux vaut réaliser l’objectif fixé, que spéculer sur le reniement du contrat par le gouvernement. La séparation des rôles entre gouvernement et banque centrale serait ainsi un facteur de crédibilité.

En 1995, Jensen114montre en particulier que s’il n’existe pas de ‘coût de rupture de contrat’ la délégation n’apporte aucun gain de crédibilité, car elle fait-même l’objet d’un choix stratégique discrétionnaire. S’il existe, en revanche, des coûts positifs, la délégation se traduira par une amélioration par rapport à la situation où le gouvernement ne peut pas s’engager, mais le problème de l’incohérence temporelle ne sera totalement résolu que dans le cas extrême où les coûts de rupture de contrat sont infinis.