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1.1.4. Transmettre un savoir

1.1.4.2. Modèle allostérique

« L’apprenant apprend par lui-même, au travers de ce qu’il est et de ce qu’il sait »14 Le modèle allostérique, présenté par A. Giordan (2004), met en avant un nouveau paradigme pour l’apprentissage, pour « l’apprendre », terme qui est employé dans son ouvrage. Ce

14 Giordan, A. « Apprendre » Belin (2004). p.17

modèle qui tente d’identifier les paramètres permettant et facilitant l’acquisition de nouveaux savoirs, cherche à cerner l’apprentissage, ses conditions, ses mécanismes, dans sa globalité.

Si la didactique étudie l’acte d’apprendre, on peut dire que le modèle allostérique se préoccupe lui plus des conditions qui facilitent l’apprentissage à travers des environnements qui seraient favorables à inciter une évolution du raisonnement.

Dans le modèle allostérique, c’est une vision globale du processus d’apprentissage qui est pris en compte et le sujet apprenant est considéré comme acteur de la construction de son savoir.

L’acquisition d’un nouveau savoir dépend évidemment du sujet lui-même, de ses capacités cognitives, mais également de son histoire, du contexte d’apprentissage, du savoir en question, etc. Dans les conditions qui facilitent l’apprendre, l’affectif tient une place importante en étant fortement lié au cognitif. Chaque sujet élabore sa propre signification, comprend en lien avec lui, ce qu’il est, ce qu’il vit. Et le tout inscrit dans un contexte culturel, socio-historique et dans un environnement avec lesquels il est en interaction.

Ce modèle d’apprentissage ne rejette pas le modèle constructiviste, mais va plus loin.

Apprendre par l’action et l’interaction est nécessaire, mais pas suffisant. Ce mécanisme complexe qu’est l’apprentissage n’est pas qu’interne à l’individu. L’exercice ne suffit pas pour apprendre, car on a tous notre façon de lire le monde. On apprend dans un contexte, dans une culture, une société, une époque, … et rarement seul. La plupart du temps, ce savoir est médiatisé par un formateur, un objet, ou simplement autrui. Ici est fait référence à Vigotski et sa théorie de la zone proximale de développement qui rappelle que notre expérience du monde, nos connaissances, nos représentations, se fait dans un environnement physique mais également social. Mais même les théories actuelles de co-construction du savoir à travers un conflit cognitif induit par l’opposition d’idées qui mènerait au dépassement de ses propres conceptions ne seraient pas suffisantes. Certes, tous ces paramètres sont importants mais ne suffisent pas si on les prend séparément. L’activité est nécessaire mais ne suffit pas à elle seule. L’individu apprend par lui-même en lien avec son histoire personnelle et en interaction avec un environnement. De plus un processus de médiation est toujours à l’œuvre. Le processus d’apprentissage, la rencontre d’un nouveau savoir est quelque chose de complexe qui est à voir comme un système où tous les rouages de la machine doivent fonctionner ensemble.

L’acquisition de savoirs passe aussi par l’élimination, la transformation, l’évolution de savoirs, de conceptions, déjà présents et souvent tenaces. Plus loin, sera développée

monde de l’individu du fait que ce sont elles qui organisent sa pensée. Ce sont ces conceptions déjà présentes, ce savoir préexistant, qui posent le plus de problèmes à l’appropriation d’un nouveau savoir, car ils résistent aux changements. Ceci particulièrement chez l’adulte lorsqu’elles sont bien enracinés.

On apprend à partir de ce que l’on sait déjà, on fait des liens avec des connaissances déjà présentes. Quand on apprend, dans nos actes quotidiens, on construit une conception de la réalité à partir des informations qui nous entourent et que l’on rencontre. On donne une signification à travers un raisonnement faisant appel à une mise en relation d’informations, de souvenirs, d’hypothèses,… on établit un potentiel de réponses face à une situation, une expérience. Mais quand celui-ci ne suffit plus, ne fonctionne plus, on adapte, on réélabore une nouvelle forme de compréhension, une nouvelle expérience. On rectifie le savoir dépassé, on élabore de nouvelles conceptions plus adéquates à la nouvelle expérience qui pourront être réutilisables face à des expériences identiques. On fait des liens. Apprendre, c’est transformer ses conceptions, son raisonnement, sa grille de lecture du monde, mais également son questionnement. A. Giordan nous dit : « Apprendre c’est créer des liens entre les idées. »15 Pour qu’un nouveau savoir puisse se développer, il doit interférer avec des conceptions préexistantes afin que le sujet puisse produire du sens, un nouveau sens. Apprendre n’est donc pas la simple acquisition d’un nouveau savoir mais plutôt la transformation d’un savoir préexistant sous forme de conceptions.

De multiples voies mènent à l’apprentissage. Celles-ci dépendent de l’apprenant lui-même, de ses ressources cognitives, de son histoire, mais également du savoir en question et du contexte d’apprentissage. On apprend à travers ce que l‘on est, nos conceptions, nos expériences, nos projets futurs. Parler d’apprentissage, c’est aussi parler de motivation. Qu’est-ce qui pousse un individu à apprendre, à transformer son modèle de compréhension du monde ? On apprend ce qui nous fait plaisir, ce que l’on a envie d’apprendre, ce qui renforce nos convictions, ce que l’on pense déjà savoir. Mais alors comment pousser le public vers une nouvelle compréhension, un nouveau modèle explicatif, un nouveau savoir ?

Pour apprendre, il faut en ressentir le besoin, il faut que cela réponde à un but ou à un questionnement de l’individu. Il faut être interpellé, se questionner. On apprend si quelque chose nous y pousse. Il doit donc y trouver du plaisir, du sens, un intérêt, c'est-à-dire être concerné. Et comme il vient d’être dit, il faut tout d’abord que ses conceptions préalables, son

15 Giordan, A. « Apprendre » Belin (2004).

modèle explicatif ne lui semble plus suffisant ou dépassé pour que le sujet en constitue un nouveau. Il faut donc perturber l’apprenant, le mettre dans le doute, en le mettant face aux limites de son système explicatif et en lui permettant de le confronter. Pour ne pas le démotiver, il est également important que le savoir proposé lui soit accessible. Cela implique de ne pas amener que des problématiques mais également des solutions. Il faut également que le savoir proposé soit utile à l’apprenant, ait un sens pour lui dans son quotidien, pour qu’il le substitue à son savoir préexistant. On n’abandonne pas un savoir, on le transforme, et on apprend si on en ressent le besoin.

Ce modèle met donc en avant l’idée que pour apprendre il faut tout d’abord désapprendre, c'est-à-dire dépasser un savoir préexistant, des conceptions erronées qui bloquent ou faussent l’appropriation de nouvelles connaissances. On apprend à partir de ses conceptions mais, paradoxalement, les conceptions préexistantes du sujet sont également un obstacle à l’apprentissage d’un nouveau savoir et elles demandent à être bousculées, modifiées. Il faut déconstruire pour reconstruire. Un problème de compréhension vient souvent de fausses conceptions. Et, dans ce cas, elles peuvent être des obstacles limitant ou empêchant l’acquisition de savoir.

On voit se dessiner ici l’importance de connaître les conceptions du public auquel l’on s’adresse. Connaître les conceptions des sujets, chez qui on veut déclancher une transformation des savoirs, permet de définir une démarche pédagogique qui puisse être au plus proche du public visé et de ce qui fait sens pour lui. Et d’espérer en tant que formateur, médiateur, ou concepteur, de penser des espaces d’apprentissage permettant un déplacement significatif des représentations du public visé. Mais même si l’apprenant construit lui-même son savoir, cette construction se fait en interaction avec l’environnement, et est la plupart du temps médiatisée. Un environnement d’apprentissage doit faciliter cette médiation en interférant avec les conceptions et en proposant un accompagnement de ce processus de transformation de savoir.

La réalisation du « cahier de jeux » va tenter de tenir compte des conceptions des apprenants, tout en faisant attention à proposer au public un savoir accessible et des solutions aux problématiques abordées, afin de ne pas perdre sa motivation.

1.1.4.2.1. Concevoir un environnement d’apprentissage à partir des conceptions du public

« La prise en compte des conceptions de l’apprenant doit impérativement devenir le point de départ obligé de tout projet éducatif. »16 Une conception est une représentation, une forme de sens commun, d’opinion sur lesquelles le savoir va se baser, se construire, mais qui paradoxalement peut également l’enfermer, bloquer la constitution de nouveaux savoirs. C’est une forme de filtre qui ne donne à voir qu’une partie de la réalité. Les conceptions, sont comme des lunettes, propres à chacun, permettant de décoder le monde qui nous entoure. Elle sont au centre du processus cognitif et montrent les mécanismes intellectuels. Selon A. Giordan, «Il s’agit, grossièrement, de savoirs engrangés par le cerveau, au travers d’un processus d’organisation de la pensée bien spécifique à chaque individu, qu’il peut mobiliser dans un contexte. (…) elle se forme en interaction avec l’environnement immédiat ou social. Chaque personne édifie une « vision individuelle » du monde à partir de ses observations et de son expérience, des rapports qu’elle entretient avec les autres et les objets ; sa mémoire affective ou sociale y prend une place prépondérante.»17 Les conceptions d’un individu sont donc la base de sa compréhension du monde et c’est à partir d’elles qu’il construit son savoir, son « apprendre ». Mais de ce fait, elles peuvent également l’enfermer dans une certaine compréhension du monde incomplète car subjective (étant liée au monde propre de la personne). L’appropriation d’un nouveau savoir demande donc de remettre en question et de dépasser ses conceptions préalables. Pour qu’un individu transforme ses conceptions qui sont une forme de modèle explicatif, il faut que celui-ci lui semble inefficace. Mais également qu’il ait de nouvelles conceptions, un nouveau modèle explicatif, qui ait du sens pour lui et qu’il puisse substituer à celui qui lui paraît dorénavant comme dépassé. Pour apprendre, il ne suffit pas de bouleverser et abandonner des conceptions, mais plutôt de les transformer, de constituer une nouvelle forme de compréhension du monde.

Pour un médiateur, un formateur ou lors de constitution d’un environnement d’apprentissage comme pour ce projet de « cahier de jeux », les conceptions des apprenants, du public que l’on veut toucher, sont à voir comme des outils nous permettant d’avoir accès à la compréhension du public, à son système explicatif, son mode de raisonnement. Questionner les conceptions d’un sujet qui est, rappelons-le, acteur de son savoir, c’est tenter d’établir ce

16 Giordan, A. « Apprendre » Belin (2004), p. 30

17 Giordan, A. « Apprendre » Belin (2004), p. 62

qu’il a comme connaissances préexistantes à un nouveau savoir. C’est comprendre sur quoi se base la construction d’un nouveau savoir. Cela permet de cibler la sensibilisation, de définir les objectifs, de sélectionner les contenus. Les conceptions permettent de connaître le niveau du sujet, ses connaissances de base et ce qui pourrait faire obstacle à un nouvel apprentissage.

Connaître les conceptions du public auquel on s’adresse permet aussi d’être sur la « même longueur d’onde » que lui : connaître ses préoccupations, ses intérêts, ses représentations, son savoir préexistant sur lequel on peut s’appuyer, mais aussi le vocabulaire et les termes qui lui sont plus familiers. Ceci permet d’éviter, ou du moins de mieux cerner, les problèmes de compréhension qui ont souvent lieu lors de transmission (de vulgarisation) de savoirs

« scientifiques » pour le grand public.

Travailler sur les conceptions, c’est la situation de départ pour penser une pédagogie éducative ou informative. Mais si les conceptions sont quelque chose de personnelles, comment espérer s’en servir pour un projet éducatif ou d’information destiné au grand public ? Comment avoir accès à toutes les représentations, conceptions que l’on pourrait rencontrer chez un large public ? Bien que les conceptions soient fortement liées au sujet, des lignes générales, des « types » se dessinent. Pour y avoir accès, une solution efficace est simplement de questionner le public. Que ce soit sous forme d’entretiens, d’observations, de dessins, de questionnaires, c’est le public lui-même qui est le plus à même de nous donner ces informations si importantes pour la constitution d’un environnement d’apprentissage qui soit pertinent.

Dans ce travail, l’outil de l’entretien semi-directif sera utilisé pour avoir accès aux conceptions du public. Il permettra d’identifier la base sur laquelle va se constituer la réflexion amenant au nouveau savoir ainsi que les obstacles possibles, et donc de cibler les informations qui composeront chaque thème du « cahier de jeux ». Connaître les conceptions du public va permettre de définir les ressources et perturbations adéquates pour espérer le

« cahier de jeux de vacances pour adultes » comme un environnement d’apprentissage adapté et pertinent.

1.1.4.3. Cahier de jeux de vacances pour adultes comme environnement d’apprentissage