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1.1.4. Transmettre un savoir

1.1.4.1 L’apprentissage chez l’adulte

Une des bases théoriques sur laquelle s’appuie ce travail est une approche de la formation centrée sur l’activité développée par M. Durand dans le cadre de la formation d’adultes.

L’activité y est considérée comme un point de vue, une visée de la formation, comme objet d’analyse, comme objet d’intervention ou encore comme entrée, c'est-à-dire en partant d’une analyse de l’activité permettant d’identifier les savoirs mobilisés dans un certain contexte (Durand 2006). L’activité constitue l’objet de formation, ce qui est très différent, par exemple d’une approche prenant pour objet les savoirs. Une telle approche exploite les propriétés de l’activité ainsi que le fait que l’apprentissage, ainsi que le développement, se font dans l’action, et que les acteurs ont des compétences réflexives. Le courant dans lequel s’inscrit cette vision de l’apprentissage chez l’adulte suit un tournant pragmatique, et a pour but de montrer que le fait de se centrer sur l’activité sociale et individuelle permet entre autres de concevoir des modalités de formation innovantes. Une approche par l’activité permet de définir de façon particulière les contenus des formations en étant plus proche des apprenants.

1.1.4.1.1. Apprentissage par couplage structurel. Cette approche de l’apprentissage chez l’adulte prend en compte l’idée développée par H.R. Maturana et F.J. Varela (1994) dans leur ouvrage L’arbre de la connaissance. Racine biologique de la compréhension humaine, que chaque individu interagit avec ce qui l'intéresse ou le perturbe dans son environnement, à savoir ce qui fait sens pour lui. Il n'existe pas d'environnement objectivement déterminé.

paramètres pertinents, pour ce qu'il projette de faire. A travers ce processus, il constitue son monde propre qu’il construit donc à partir des perturbations, des intérêts dans un environnement qui est plus global. L'environnement agit sur l'acteur et inversement, ils sont donc en interaction. L'acteur contribue à la construction de son monde propre par son histoire personnelle, ses compétences, sa constitution physiologique, sa personnalité, etc.

L’activité y tient une place importante car c’est par elle qu'un acteur construit son monde propre, et cette construction, cette interaction avec l’environnement, est nommé couplage structurel. Ces différents mondes propres liés aux acteurs sont à comprendre comme autant de lunettes, points de vue sur l'environnement, liés aux caractéristiques singulières de l'individu. Ces caractéristiques singulières peuvent être d'ordre organique/physique, mais également liées à l'expérience, aux buts, intentions, etc. Cette conception de monde propre révèle qu’il y a autant de mondes que d'acteurs. On peut donc dire que chacun construit son monde propre à partir de ce qu'il juge utile ou perturbant dans le milieu dans lequel il agit, et qui agit sur lui.

Au sujet de la cognition, cette fois en faisant référence à A.R. Damasio (1995), on peut avancer qu’il n'y a pas de fonctionnement autonome du système nerveux, mais un fonctionnement de l'ensemble de l'organisme dans son environnement. La cognition y est considérée comme l'ensemble des interactions qu'un organisme a avec son environnement. On parle d'action située, car la situation et l'activité/action sont indissociables, l'interaction se déroulant toujours en situation. C'est par les actions effectuées que l'acteur construit les situations, en prenant ce qui est significatif dans l'environnement. Ces ressources

« signifiantes » de l'environnement peuvent être des éléments physiques, ou sociaux. Dans cette approche, les processus cognitifs et l'activité sont envisagés comme indissociables d'une situation et les éléments physiques, artefactuels autant que sociaux, offrent des ressources signifiantes pour l'action des sujets.

Parler ici de cognition située met en avant une conception du savoir contextualisé. Les individus mobilisent leurs différentes connaissances dans des contextes situationnels précis.

Face aux différentes expériences rencontrées, il y a réactualisation de ces dernières en créant des liens entre les différentes situations vécues. On peut parler de réactualisation d'expériences déjà constituées de sa propre histoire, mais également d’une histoire plus large que l’on peut lier à la culture ou l’histoire de l’Homme. Ici est fait référence au concept de disposition. Selon R Gouin (2007), ce concept de « disposition » est à comprendre comme des comportements appris et répétés de façon inconsciente, mais ne sont ni innés ni immuables. Les dispositions ne sont pas à considérer comme un héritage génétique,

l’individu a bien une marge de manœuvre, mais ce sont des catégories et concepts créés socialement et imposés comme « ordre social » que l’individu a intégré comme normal. Nous héritons d'un environnement commun à la naissance, avec des traditions, une culture, des normes, des références (religieuses, politiques, etc.). Ces dispositions ne sont donc pas déterministes et peuvent évoluer. Elles se construisent dans l'action et le résultat de cette activité est un apprentissage, c'est-à-dire une disposition à agir d’une certaine façon. Elles concernent l’ensemble des actions, qu’elles soient connues ou qu’il s’agisse de tâches nouvelles. Nous appréhendons un fait nouveau, nous agissons à partir de ce que l'on connaît déjà. C'est-à-dire, que face à une nouvelle situation on va mobiliser des connaissances, des souvenirs, des savoir-faire, dont on a déjà l'habitude. A la fois ces expériences sont indispensables pour appréhender le nouveau, mais pas toujours suffisantes. Quand on est confronté à de nouvelles tâches, on utilise des dispositions déjà-là, mais elles ne sont pas toujours efficaces. Par le processus de couplage structurel entre l’environnement et les caractéristiques individuelles, il peut y avoir innovation.

Dans cette approche, la culture serait donc vue comme un système de stockage, de récupération des connaissances. Mais la culture n’est pas statique et évolue au courant de l’histoire de l’Homme. Elle se transforme à travers des innovations individuelles et collectives. C’est une redéfinition permanente dans un mouvement sans fin.

Dans le contexte de la conception d’environnement d’apprentissage, ce concept devrait permettre au formateur d'avoir une meilleure vision de la façon dont l'individu appréhende et se positionne face à un nouveau savoir. On voit également que ce qui touche à l’apprentissage, ne se joue pas que dans le moment de formation même, mais est influencé par tout le contexte extérieur ainsi que le passé de l’individu et ses visées futures.

1.1.4.1.2. Espace d’actions encouragées. Une façon innovante d’appréhender des environnements d’apprentissage ou de médiation peut être vue à travers le concept d’espace d’actions encouragées. En partant du principe que l'apprentissage chez l’adulte porte sur le couplage structurel entre son monde propre et l’environnement, un espace d’actions encouragées est à comprendre comme un environnement d’apprentissage réfléchi.

Les formateurs, le médiateur ou d'autres personnes prenant en charge la formation, quel que soit le contexte donné, « jouent » sur l'environnement de l'acteur, le transforment, de manière à ce qu’il aide à l’apprentissage. Le travail du formateur consiste à favoriser des actions, mettre à disposition des ressources, perturber des connaissances préétablies, faire émerger des

l'environnement pour avoir un effet sur l'activité du public. En définitive il n’y prendra que ce qui est significatif pour lui. Lorsqu'on parle d'espaces d'actions encouragées, on fait référence à un environnement avec des propriétés particulières, des ressources qui ne garantissent pas l'apprentissage, mais l’espèrent.

Chaque acteur n’est pas perturbé par les mêmes éléments : ceux-ci ne signifient pas la même chose pour tous. Le concepteur d’environnements d’apprentissage doit donc s’adapter en permanence aux acteurs, aux publics ciblés, pour proposer un environnement d’apprentissage qui soit adéquat et donc performant. De plus, un espace d’actions encouragées doit également tenir compte de l’environnement plus large dans lequel celui –ci s’inscrit. Il faut donc adapter l’environnement d’apprentissage que l’on conçoit aux contextes et tenir compte des habitudes du lieu, des acteurs, etc.

On ne peut pas déposer une idée dans la cervelle de quelqu’un, on ne peut pas contraindre une action d'un acteur. C'est lui qui choisit dans son environnement ce qui est pertinent pour son action. C'est toujours l'acteur qui fait quelque chose de l'environnement qu'on lui propose et décide au final de ce qui est pertinent par rapport à son monde propre. Les formateurs, les concepteurs d’environnements d’apprentissage enrichissent l’environnement des apprenants ce qui augmente la probabilité d’impacts formatifs. L’environnement doit offrir des ressources pour l’apprentissage, des conditions pertinentes. C’est une forme de

« facilitateur ». M. Durand nous dit :

« Les formateurs déposent des artefacts dans l’environnement des formés, et ces artefacts font ou non signe pour eux, entrent ou non comme ingrédients dans leur couplage situé. Une prescription a un impact potentiel sur l’activité de l’acteur, mais qui n’est qu’un potentiel »13 Il est donc important de proposer différentes sources de perturbations potentielles et de multiple formes de ressources (objets, artefacts, consignes, conseils, métaphores…) afin d’offrir un environnement aidant à l’apprentissage, au développement, à la transformation des conceptions du public. Autrement dit, varier et diversifier les perturbations pour favoriser l’apprentissage, sachant que le couplage structurel se fait entre un acteur et les éléments de son environnement qui sont signifiants pour lui. Le « cahier de jeux » peut être vu comme un espace d’actions encouragées comportant différentes sources de perturbations à travers les

13 Durand, M., (2006) Activité et Formation. Carnet des sciences de l’éducation, Genève. p.81

infos, jeux, illustrations, phrases chocs, l’humour, conseils, liens, etc. Concevoir un espace d’actions encouragées, c’est mettre un maximum de possibilités à disposition du public, afin que chacun trouve ce qui fait sens pour lui. Cela implique que le formateur doit avoir connaissance de son public afin de lui proposer des ressources pertinentes et adéquates. Le formateur doit être un expert de l’environnement et des conditions d’apprentissage.

1.1.4.1.3. Notion de dérive dans l’apprentissage. La notion de dérive dans l’apprentissage fait référence à un processus qui n’est pas finalisé, à des savoirs non achevés. On y voit une construction du savoir au fur et à mesure des rencontres avec ce qui fait sens pour un acteur et dans une temporalité non prévue à l’avance. Dans cette approche dite du cours de l’action, les buts ne seraient pas nécessaires car l’action est vue comme une dérive permanente, tenant compte du contexte, de l’environnement. Le formateur accompagne la dérive des acteurs qui choisissent ce qui est perturbant ou pas. Il les accompagne par des actions encouragées.

Cette conception de l‘apprentissage fait référence aux réflexions de F. Jullien (1996) dans son ouvrage « Traité de l'efficacité ». Il y est avancé que notre conception du monde, le regard que nous portons sur lui et son fonctionnement, mais également la façon dont nous nous représentons notre place ainsi que notre façon d’agir, sont liés à notre socialisation dans une certaine culture. Cette culture, dans laquelle nous nous développons et évoluons, est imprégnée de la philosophie qui l’a engendrée. L’individu intègre cette conception du monde, qui devient un implicite partagé socialement, un allant de soi, une disposition.

En prenant position pour une conception de l'action finalisée, ou au contraire pour le potentiel d'une situation, on se réfère à deux philosophies différentes : l'une occidentale, l'autre orientale. La première soutient que l'action humaine est dirigée vers un but, et qu'elle se doit d'être finalisée pour prétendre à une efficacité. Tandis que la seconde démontre le potentiel des situations, c’est-à-dire n’impose pas un but préétabli à l’action mais se laisse porter dans l’action par le potentiel de la situation.

Selon F. Jullien, dans les théories occidentales, on agit à partir d’un plan, d’un modèle.

L'action humaine est dirigée vers un but. La théorie est pensée avant la pratique, le but avant l’action. A travers l’action, on cherche à réduire l’écart entre la situation réelle et le but visé, la situation idéale.Une limite évidente d'une telle conception de l'action est qu’il y a toujours un décalage entre l’idéal et la réalité. On peut identifier ici un manque du modèle occidental qui ne permet pas de faire face à l’imprévu, aux irrégularités, et qui n’offre pas réellement de place au changement, à l’évolution. Comment prendre en compte le global et le long terme en

la réalité, l’application d’un plan, d’une théorie, ne suffit pas ? Et si, à force d’avoir les yeux rivés sur le but, on risquait de ne plus voir tout ce qu’il y a autour ? La théorie est en décalage si elle n’est pas ancrée dans la réalité actuelle.

F. Jullien met en doute l'efficacité de cette conception occidentale et nous décrit le modèle de la philosophie chinoise, où tout se joue dans la situation, dans l’action. Tous les processus sont pensés en termes de potentialité et d’interaction. Au lieu de s’imposer un plan qui puisse être en décalage avec la réalité, le modèle oriental préfère s’appuyer sur le potentiel de la situation et se laisse porter par celui-ci, qui se développe de lui-même. Le potentiel est ce qui tire en avant, donne l’impulsion. Il y a donc une idée de mouvement, de dérive.

Dans ce modèle, la situation est prise dans sa globalité. Il faut donc agir en prenant en compte le contexte global, c’est-à-dire agir sur le tout et non sur des parties qui rendraient le résultat global aléatoire. Cette conception défend une forte idée d'adaptabilité à la situation, à son contexte singulier. L’action est efficace quand elle fait partie du tout et colle à ce qui l’entoure. La réalisation du « cahier de jeux » va dans ce sens. Il est important d’offrir un environnement d’apprentissage qui colle et s’adapte à la réalité du contexte sociohistorique, mais également au public, ses activités, ses intérêts, ses questions.

Penser en potentiel de situation implique un travail d’évaluation et d’hypothèses permanent sur l’état de la situation. On ne définit pas à l'avance le cours des événements, puisqu'on les exploite et en tire parti. Mais il y a quand même un travail préalable qui n'est pas un travail de planification, mais un travail d'évaluation. Ici est développée une conception de l’apprentissage qui me paraît particulièrement convenir au concept de développement durable qui demande de voir le global et le local en interaction, de penser sous forme de système et d’optimum, qui demandent une adaptation constante face aux données changeantes. Il pourrait donc être intéressant de « former » le public à l‘imprévu, à s’adapter aux situations changeantes qui font la réalité quotidienne.