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CHAPITRE 2 : Criblage d’une chimiothèque d’aurones sur des modèles des fibres de tau

I.2 Modèles des fibres de tau : synthèse et étude

I.2.1 Le modèle AcPHF6

Les conditions de fibrillation décrites dans la littérature161-162, 174 ont dû être adaptées de manière à obtenir des résultats reproductibles, la fibrillation étant suivie par l’augmentation de la

fluorescence des sondes (thioflavine) dans des microplaques à 96 puits. Plusieurs paramètres ont donc été ajustés : le type de plaque, le tampon de fibrillation et la sonde fluorescente. En effet, pour les tests en plaques en présence de thioflavine (ThS ou ThT), de fortes variations de fluorescence ont été observées lors de la cinétique de fibrillation du peptide dans les microplaques en polystyrène. Ce

phénomène n’a pas été observé pour des microplaques en polypropylène noir qui se sont avérées plus adaptées pour ces études de fluorescence. Ainsi, une cinétique de fibrillation a pu être observée de manière reproductible en adaptant les conditions décrites.161-162, 174 De même, si dans la littérature

la fibrillation du motif AcPHF6 s’effectue dans 20 mM de tampon MOPS en présence de ThS,

l’incubation du peptide AcPHF6 dans ces conditions n’a pas permis d’obtenir un signal de fluorescence

très intense (Figure 2.I.5.A). Dans ce projet, l’utilisation du tampon phosphate et de la ThT (excitation à 440 nm, émission à 480 nm) a été préférée selon les conditions suivantes : 50 mM de tampon phosphate pour une concentration de 100 µM de peptide et de 10 µM de ThT. En effet, un manque de reproductibilité en présence de ThS couplé à sa nature peu définie (mélange de composés) ont conduit à privilégier la ThT comme sonde fluorescente. Une concentration de 50 mM de tampon a été privilégiée, une concentration moins importante étant synonyme de fluorescence moins marquée dans le test en plaque (Figure 2.I.5.A). Ceci a été confirmé en CD où une signature de feuillets β

(bandes positive vers 198 nm et négative vers 218 nm) moins intense a été observée en présence de 20 mM de tampon phosphate, alors que celle-ci n’est pas observée en présence du tampon MOPS (Figure 2.I.5.B).

Figure 2.I.5. (A) Test de fluorescence en plaque et (B) CD après 24 h de fibrillation du peptide AcPHF6 à 100 µM dans le tampon phosphate 50 mM (noir) et 20 mM (bleu) ou dans le tampon MOPS 50 mM (rouge) et 20 mM (vert).

Les tests de fluorescence en plaque ont été réalisés au moins en triplicatas pour chaque

condition. La fibrillation suit une cinétique d’ordre 1 avec un plateau atteint au bout d’une vingtaine

de minutes, similairement aux cinétiques de fibrillation décrites dans le MOPS.162L’absence de phase de latence est associée à l’agrégation très rapide du peptide AcPHF6 en milieu aqueux.

Enfin, les fibres du modèles AcPHF6 ont été caractérisées par AFM après 2 h (Figure 2.I.6.A) et 24 h (Figures 2.I.6.B et C) d’incubation dans les conditions de fibrillation. Après 2 h, un réseau de

courtes fibres entremêlées est formé alors qu’après 24 h, un mélange de fibres courtes (environ 5 nm de largeur, 60 nm de longueur et 2 nm de hauteur) et de longues fibres matures (environ 18 nm de largeur, 450 nm de longueur et 8 nm de hauteur) est observé. Ces fibres plus longues peuvent

s’enrouler ensemble (Figure 2.I.6.C), similairement aux PHFs de tau.161

Figure 2.I.6. Images AFM du modèle AcPHF6 incubé à 100 µM pendant (A) 2 h et (B et C) 24 h dans le tampon phosphate 50 mM.

Afin de valider le peptide AcPHF6 comme modèle de fibrillation pour la recherche

d’inhibiteurs dans les conditions utilisées ici, celui-ci a été incubé en présence d’inhibiteurs connus de la fibrillation de tau : un dérivé d’aminothiénopyridazines (ATPZ), ainsi que des polyphénols tels que la curcumine et la myricétine (Figure 2.I.4).71, 93, 122 A ce jour, les inhibiteurs de la fibrillation de tau

reportés dans la littérature sont peu spécifiques : ils sont généralement également actifs sur les fibres

amyloïdes d’Aβ. En 2009, Crowe et al. décrivent le caractère inhibiteur de composés de la famille des ATPZ.71 Les auteurs notent en particulier que cette famille de composés est plus efficace pour inhiber

la fibrillation de tau que d’Aβ. L’ATPZ évaluée sur le modèle AcPHF6 dans ce projet présente dans les travaux de Crowe et al. une IC50 de 2,5 µM sur le mutant K18 de tau utilisé à une concentration de 6,25 µM. Par ailleurs, la curcumine a fait l’objet de nombreuses études portant sur l’AD, en particulier

sur l’agrégation du peptide Aβ in vitro. Yang et al. décrivent initialement que la curcumine est capable

d’inhiber la formation des oligomères et des fibres d’Aβ in vitro et in vivo chez la souris transgénique.124 Outre son activité sur la fibrillation d’Aβ, la curcumine présente un potentiel thérapeutique dans l’AD de par ses propriétés d’inhibition de la phosphorylation de tau mais aussi son

activité anti-oxydante et anti-inflammatoire.123 Enfin, Mohamed et al. ont récemment montré dans un test de fluorescence à la ThS que la curcumine est capable d’inhiber partiellement la fibrillation du peptide AcPHF6.162 Très récemment, Berhanu et al. ont étudié le mécanisme d’inhibition de l’agrégation des fibres amyloïdes de tau par des polyphénols à travers l’étude des interactions in silico

entre la séquence VQIVYK et la curcumine, ainsi qu’avec la myricétine.122 Cette dernière est un flavonol naturel décrit comme capable d’inhiber la formation de fibres d’Aβ (15 µM) avec une IC50 de 0,9 µM et de tau (22 µM) avec une IC50 de 1,2 µM.93 Berhanu et al. mettent notamment en avant le rôle de la planarité et des interactions hydrophobes apportés par les composés aromatiques, ainsi que

l’importance des liaisons hydrogènes au sein des polyphénols.

L’incubation du modèle AcPHF6 à 100 µM dans le tampon phosphate à 50 mM en présence de ces trois inhibiteurs à une concentration de 100 µM, soit à un ratio peptide/inhibiteur 1:1, résulte en une diminution notable de la fluorescence de la ThT (Figure 2.I.7.A). L’ATPZ diminue la fluorescence

de 56 %, alors que la curcumine et la myricétine diminuent la fluorescence de 90 et 95 % respectivement. En CD, l’incubation pendant 24 h du peptide AcPHF6 en présence de ces inhibiteurs de tau conduit à un profil caractéristique de structures en feuillets β similaire au profil du peptide AcPHF6 incubé seul (Figure 2.I.7.B). Enfin, l’AFM révèle qu’en présence d’ATPZ et de curcumine, un réseau intense de fibres est formé, alors qu’en présence de myricétine, de rares fibres courtes sont observées en présence de petits agrégats sphériques (Figure 2.I.8).

Figure 2.I.7. (A) Test de fluorescence en plaque et (B) CD après 24 h de fibrillation dans le tampon

phosphate 50 mM du modèle AcPHF6 seul (noir) et en présence d’ATPZ (jaune), de curcumine (violet) ou

de myricétine (orange) à 100 µM.

Figure 2.I.8. Images AFM du peptide AcPHF6 incubé à 100 µM pendant 24 h dans le tampon phosphate 50 mM en présence de 100 µM de (A) ATPZ, (B) myricétine et (C) curcumine.

La myricétine montre une activité inhibitrice sur le modèle AcPHF6 caractérisée en AFM (Figure 2.I.8.B) par une faible présence de fibres et la présence d’agrégats qui sont structurés en feuillet β, comme l’atteste le profil obtenu en CD (Figure 2.I.7.B). Ceci est en accord avec la littérature où la myricétine est décrite comme un inhibiteur de la fibrillation de tau,93 ainsi que dans le cas du peptide Aβ où elle semble inhiber plutôt la phase d’élongation des fibres que la phase

d’oligomérisation.180 Pour la curcumine en revanche, si le test de fluorescence à la ThT semble montrer une inhibition de la formation des fibres du peptide AcPHF6, le profil en CD (Figure 2.I.7.B) et l’AFM (Figure 2.I.8.C) ne corroborent pas cet effet inhibiteur. Il est important de noter que l’inhibition de la

fluorescence de la ThT observée dans le test en plaques (Figure 2.I.7.A) n’est pas forcément synonyme d’inhibition de la fibrillation. En effet, les composés testés peuvent entrer en compétition avec la ThT

et l’empêcher de se fixer aux fibres amyloïdes, ou encore la substituer, ce qui résulte aussi en une diminution de fluorescence.39, 181 Ces composés auraient alors un comportement de sonde plutôt que

d’inhibiteur des fibres.C’est pourquoi l’utilisation de techniques complémentaires comme le CD et de

l’AFM, qui permettent respectivement de donner la structure dominante ainsi que de visualiser

l’allure des fibres ou agrégats formés, est essentielle afin de différencier une sonde (fibres en AFM et

CD). Il est à noter cependant que certains composés peuvent agir à la fois comme sonde et comme inhibiteur, comme cela a été décrit dans la littérature.39 Le curcumine a d’ailleurs un effet inhibiteur

sur la formation des fibres amyloïdes Aβ, mais également la capacité de se lier à ces fibres.182 Les résultats obtenus en CD et AFM vont dans ce sens pour la curcumine qui n’est pas capable de prévenir la formation des fibres du peptide AcPHF6 et tendrait plutôt à se fixer aux fibres sur un site voisin de celui de la ThT. Une conclusion similaire peut être tirée pour le cas de l’ATPZ. En effet, si l’ATPZ interagit avec le peptide AcPHF6, cette interaction n’est caractérisée que par une inhibition partielle

de fluorescence dans le test en plaque (Figure 2.I.7.A), ce qui est confirmé en CD avec un profil de feuillets β (Figure 2.I.7.B), ainsi qu’en AFM avec une forte présence de fibres (Figure 2.I.8.A). Ces

données suggèrent que l’ATPZ n’est pas capable d’inhiber la fibrillation du modèle AcPHF6. En

revanche, elles n’excluent pas que ce composé pourrait agir en tant que sonde, à l’image de la

curcumine.

Néanmoins, un autre aspect doit être contrôlé avant de conclure sur l’interaction des

composés testés sur les fibres au regard des tests de fluorescence à la ThT. En effet, les composés absorbant dans la gamme des longueurs d’onde utilisées pour détecter la ThT liée aux fibres (excitation à 440 nm et émission à 480 nm), peuvent être responsables d’interférences spectroscopiques.39, 181, 183 Ce phénomène peut conduire à des faux-positifs dans le test en plaque. Cela peut être le cas en particulier des polyphénols. Une étude de Hudson et al. a ainsi montré que

l’inhibition de fibres amyloïdes (κ-caséine et Aβ) par la curcumine est biaisée par ses propriétés

spectroscopiques intrinsèques dans des tests de fluorescence utilisant la ThT.181 A une concentration de 100 µM, concentration utilisée dans le test en plaque, mais aussi à 10 µM, la curcumine absorbe fortement à 440 et à 480 nm, ce qui n’est pas le cas de la myricétine (Figure 2.I.9). Cela implique que

l’inhibition de fluorescence de la ThT observée dans le test en plaque peut résulter avant tout de ses

Outre l’absorption des composés testés, la fluorescence propre émise par ces composés

pourrait également biaiser l’analyse des tests de fluorescence. La fluorescence observée dans les puits de mesure résulterait alors de la combinaison de la fluorescence émise par la ThT ainsi que celle émise par les composés exogènes. Néanmoins, cette fluorescence propre aux composés testés est prise en compte dans les puits de contrôle du test en plaque et est soustraite à la valeur de fluorescence mesurée dans les puits de mesure.

Ces résultats montrent que le modèle AcPHF6 est un bon modèle de fibrillation dans les conditions développées, mais aussi qu’il peut être utilisé pour la recherche d’inhibiteurs de la protéine

tau. Cependant, il est à noter qu’une diminution de la fluorescence dans le test à la ThT n’est pas toujours synonyme d’inhibition de la formation de fibres, comme en atteste les résultats obtenus pour

l’ATPZ et la curcumine. Ceci souligne la nécessité de combiner ce test avec d’autres techniques, telles que le CD et l’AFM. Néanmoins, ce test étant facile à mettre en œuvre pour suivre la fibrillation du peptide AcPHF6, il sera utilisé dans la suite de ce projet comme premier outil de criblage de composés potentiellement inhibiteurs de la fibrillation de tau.