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III. Nostalgie ou stratégie ?

2. La stratégie de Netfl

2.1. Un modèle économique efficace

Netflix, une machine en pleine croissance

Il est d'abord important de rappeler les fondements de la plateforme de vidéo à la demande par abonnement et de s'appesantir sur les clés de son succès. Contrairement à la VOD (video on demand) qui propose des contenus à l'achat ou à la location à l'acte, Netflix est une plateforme de SVOD (subscription video on demand), qui se caractérise par un abonnement tarifaire mensuel fixe donnant accès à un catalogue illimité. La vidéothèque de Netflix est riche et concurrence son ennemi principal, le piratage, grâce à ses tarifs compétitifs qui donnent accès à une offre pléthorique et en haute définition. Le tarif est croissant en fonction du nombre d'écrans inclus dans l'abonnement, ainsi la délinéarisation est poussée à son paroxysme et les contenus peuvent basculer d'un écran à l'autre tout au long de la journée, permettant une lecture nomade qui s'adapte au mode de vie des urbains. Netflix jouit d'une forme de monopole, car, en proposant du contenu à faible coût pour les abonnés, un peu moins de 10€ par mois, ilgénère du chiffre d'affaires en continu et peut donc investir et se développer tout en accroissant sa base d'abonnés.

La plateforme a d'ailleurs effectué un bond au deuxième trimestre 2017, gagnant plus de 5 millions d'abonnés, devenant ainsi une plateforme géante forte de 104 millions

d'abonnés117. Entre 2016 et 2017, Netflix a vu son chiffre d'affaires total croître de 32,3%,

il s'élève désormais à 2,8 milliards de dollars 118

. Pourtant, la plateforme fonctionne sans publicité pour des tiers, elle promeut ses propres programmes.

Stranger Things et Netflix, un cocktail paradoxal

« Lorsque nous produisons une série comme « Stranger Things », il faut d'abord dépenser beaucoup de capital, mais les revenus affluent pendant de nombreuses années »119

, déclare Reed Hastings. Stranger Things émerge de la toile, c'est une œuvre entièrement dématérialisée, car produite par la plateforme elle-même. Cette série entièrement délinéarisée s'apparente aux pratiques de consommation actuelles des séries, sur divers écrans qui permettent un visionnage ATAWAD (anytime, anywhere, any device), selon le principe de « mobiquité » forgé par Xavier Dalloz. La diffusion de la série nous permet de soulever des paradoxes avec l'essence même de Stranger Things. Le format de la série, tout d'abord, est très prisé par les téléspectateurs. Il a permis aux frères Duffer de développer l'intrigue des habitants d'Hawkins sur le temps long, et de prolonger la diégèse au travers d'une seconde saison qui verra le jour en octobre 2017. Ce format, propice à un visionnage nomade, entre en tension avec les valeurs exacerbées tout au long de la série, celles d'un temps long lié aux technologies des années 80, à savoir le poste de télévision qui occupait une place centrale dans les foyers, comme en prouve la démonstration de Mike à Eleven dans l'épisode 2. De Stranger Things, visionnée sur des écrans mobiles, résulte une situation atypique : un visionnage individuel, voire individualiste, met en scène des valeurs et des situations familiales et communautaires.

De plus, la série est placée dans une ère « pré-web, pré-téléphone portable »120

. Il est amusant de savoir que c'est Netflix qui produit Stranger Things, faisant de la série une série « pro-web », inscrite dans et pour les nouveaux médias. C'est peut-être là que réside la disruption des créateurs de la série, celle d'un retour à des valeurs centrales et à des médias tombés

117. « Netflix dépasse les 100 millions d'abonnés ». Le Monde.fr, 18/07/2017.

http://www.lemonde.fr/entreprises/article/2017/07/18/pour-la-premiere-fois-netflix-passe-la-barre- des- 100-millions_5161739_1656994.html consulté le 19/07/17.

118. Ibidem.

119.MADELAINE Nicolas. « Pourquoi Netflix mise de plus en plus sur ses propres séries et films ». 18/07/2017,

https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/030453116316-pourquoi-netflix-mise-de-plus-en-plus-sur-ses- propres-series-et-films-

2102749.php consulté le 24/07/2017.

en désuétude, et comment les rendre « cool » aux yeux des plus jeunes. La série plonge dans une époque révolue lors de laquelle on visionnait des cassettes VHS que l'on devait louer ou acheter, à l'instar des plateformes VOD aujourd'hui, et que l'on ne pouvait visionner qu'à condition de posséder un lecteur de cassettes. Netflix, géant de la SVOD, propose le contraire de ce procédé en ne fonctionnant que grâce à des abonnements. Et d'un point-de-vue stratégique, c'est évidemment efficace car la série est placée dans le même catalogue que les séries aux thématiques et aux diégèses plus actuelles, donc susceptible à la fois de plaire à des personnes ayant vécu dans les années 80 mais également à des curieux qui surfent dans l'offre proposée par Netflix et sont curieux de visionner les nouveautés – terme encore une fois pardoxal, si tant est que la série puisse être qualifiée de « nouvelle » à différents égards – auxquelles ils sont soumis.

Mais, comme l'expliquen les frères Duffer, dans cette logique, « ce qui paraît rétro pour

certains doit sembler surprenant et novateur pour d'autres »121

. Et les points d'ancrage varient selon le bagage du spectateur, car « les enfants vivent une histoire façon E.T et [...] les ados

sont plus dans un film de John Carpenter »122

. Stéfany Boisvert évoque le fait de « valoriser

une série en tant qu'œuvre qui se détache du flux télévisuel et possède, pour cette raison,

une valeur supérieure »123

, qui correspond tout à fait à la statégie opérée par Netflix, qui « anoblit » ses contenus en les différenciant de simples feuilletons télévisés sans sous- texte et sans profondeur. Cette différenciation passe par une stratégie de communication qui ne ressemble à aucune autre.