• Aucun résultat trouvé

La frontière poreuse acteur / personnage : susciter curiosité et engouement

II. Les téléspectateurs au cœur du processus nostalgique

1.3. La frontière poreuse acteur / personnage : susciter curiosité et engouement

Les fans s'emparent des personnages des séries et leur font traverser le cadre de la fiction au travers de conversations qui dépassent la diégèse et la prolongent, ainsi que des fanfictions qui complètent le sens de la série et l'enrichissent. Mais ils ne sont pas seuls dans cette démarche de création et de fantasme, les médias suscitent également un désir ininterrompu chez le téléspectateur. Ceux que l'on appelle les

« fans » souhaitent s'approprier les personnages qu'ils préfèrent dans leur entièreté, et parfois cette identification devient hybride, quand ils sont à l'origine d'un amalgame entre personnage et acteur. Dans une logique de « buzz », les médias tendent à densifier cette porosité identitaire.

71. « At least one or two readers had put together the extremely subtle and obscure clues that I'd planted in the

books and came to the right solution... » DODDS Eric.« George R.R. Martin Admits Die-Hard Game of Thrones Fans May Have Already Uncovered the Show's Biggest Surprise », 12/08/2014, Time

http://time.com/3104085/game-of-thrones-jon-snow-plot-twist/ consulté le 25/07/2017.

72. O'CONNELL Michael. « The Duffer brothers are reading your « Stranger Things » Reddit theories », 12/10/2016, The Hollywood Reporter, http://www.hollywoodreporter.com/live- feed/stranger-things- season-2-duffer-937408 consulté le 25/07/2014.

73. Entretien avec Aurélien Allin, 19/06/2017, annexe p.108. 74. Ibid, p.112.

Depuis le succès de Shirley Temple à Hollywood avant même d'avoir soufflé ses 10 premières bougies dans les années 50, le concept d' « enfant-star » a vu le jour. De celui- ci découle un attrait pour la vie privée et les agissements hors du champs de la caméra pour les jeunes protagonistes du monde du cinéma. Dans les années 1990, c'est le jeune Macaulay Culkin qui crève l'écran dans Maman j'ai raté l'avion (1990) et devient de ce fait un véritable objet de curiosité médiatique.

Les téléspectateurs ont envie de connaître le quotidien des enfants extraordinaires qu'ils admirent à l'écran. Cette fascination s'exerce aujourd'hui pour les jeunes acteurs de

Stranger Things. Des mises en scènes ingénieuses contribuent à plonger mêler acteur et

personnage. On peut citer la cérémonie des Golden Globes 2016, dans laquelle divers acteurs célébrés dans des films en compétition pour le prix se prêtent, lors d'une vidéo, à un court extrait de comédie musicale sur un air de chanson du film à succès La La Land (2016). Suites aux apparitions de Nicole Kidman ou d'Amy Adams, tout à coup surgissent les jeunes enfants de Stranger Things, qui s'essayent à un morceau de rap. Bobby Milly Brown chante sur ces paroles : "OK, my name is Eleven, I’m 24/7, I'm eating Eggo waffles

by the pound I got a knack to rap about Stranger Things that happen inside the Upside Down. You're my best friends forever, Dustin, Mike, and Lucas, and together we know how to survive... I’ve got a little secret, don’t repeat or tweet it. Barb is still alive! ". Les acteurs,

grimés comme dans la série, se distancient de leur rôle de par le style musical anachronique qu'ils abordent. Ils détournent la diégèse en invoquant la résurrection de Barbara, tuée par le Demogorgon à l'épisode 3.

Les acteurs de Stranger Things dans une courte vidéo projetée lors des Golden Globes 2016

La jeune Bobby Milly Brown surfe sur sa capacité à rapper à plusieurs reprises, comme dans l'émission de Jimmy Fallon The Tonight Show ou lors d'un Comic con, où elle démontre ses talents sur la chanson Monster de Nicky Minaj. Ces apparitions télévisées tendent à ancrer les personnages dans une actualité médiatique chaude, et

contrebalancent à nouveau la nostalgie instillée dans la série de par leur incursion dans le présent. Ce sont non seulement les acteurs qui s'expriment, mais ils sont toujours assimilés à leurs personnages.

De plus, le « backstage » de la fiction prend une place importante dans la médiatisation d'une œuvre audiovisuelle. La jeune actrice interprète d'Eleven a par exemple publié la vidéo captée lors de son rendez-vous chez le coiffeur, qui a dû lui raser la tête pour le rôle. Partager le réel et la fiction permet d'avoir la sensation de mieux connaître le personnage ainsi que l'acteur qui l'inteprète. Les biais modernes permettent une appropriation de la vie privée des personnages, comme les réseaux sociaux. Lors de la fête des pères, la jeune actrice a une fois encore brouillé les pistes en souhaitant sur son compte Twitter personnel un bon anniversaire à son « Papa », qui n'est autre que le nom, dans le texte, qu'elle donne à son bourreau dans Stranger Things. Sur son profil, la jeune fille se présente, poste des photographies personnelles, mais ajoute « some call me Eleven », renforçant une fois encore les identités entre l'actrice et le personnage.

Capture d'écran du tweet posté par Millie Bobby Brown le jour de la Fête des pères

Cet usage des réseaux sociaux possède quelque chose de la « nostalgie du futur », décrite par Svetlana Boym. L'auteure évoque une nostalgie « préfabriquée », qui fonctionnerait par accumulation de traces dans une optique de constitution de souvenirs. Les traces vidéo et textuelles laissées par les acteurs permettent de constituer une base de souvenirs réexploitables par la suite, qui s'ajoute aux épisodes de la série. Le cloud est inépuisable et fixe le présent au sein d'une toile foisonnante et éclectique.