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Conclusion

A l’analyse de ces trois premiers chapitres, il est possible d’apprécier la pertinence de l’hypothèse selon laquelle les mobilités gagnent à être saisies au regard d’un lieu de passage par excellence : l’aéroport. L’étude de ce lieu est susceptible en effet de rendre compte du rôle des pratiques de mobilité dans l’articulation de véritables territorialités en réseau, à l’échelle individuelle et collective. C’est bien parce que l’aéroport est à la croisée des approches territoriales et des réseaux que son aménagement et sa pratique dans la mobilité sont d’un grand intérêt. De plus, l’aéroport invite à une réflexion sur un vaste spectre d’acteurs, dont les mobilités et les territorialités peuvent être comparées et confrontées pour saisir les logiques de pouvoir en jeu.

L’état de l’art élaboré dans le chapitre 1 identifie quatre grands courants de pensée qui positionnent les réseaux et les mobilités comme l’un des dispositifs majeurs de la construction territoriale. Le premier correspond à une appréhension dichotomique des territoires et des constructions spatiales plus réticulaires. Il interroge ainsi l’approche classique des territoires mais n’avance pas de véritable concept alternatif intégrateur des territoires d’un côté et des réseaux et des mobilités de l’autre. L’état de l’art montre à ce sujet tout l’intérêt d’un deuxième courant de pensée, attaché aux mobility studies, qui propose une appréhension plus englobante des réseaux et des territoires informés et transformés par les

164 mobilités. Riches en réflexions que la thèse fait siennes, ce courant ne permet néanmoins pas de saisir pleinement la question de l’ancrage et des rapports de pouvoir qu’un troisième courant de pensée permet d’aborder. Par une approche critique des territoires, il permet d’envisager la constitution de territorialités dans la mobilité, envisagées dans cette thèse comme des territorialités en réseau formées et informées par des pratiques de mobilités. Appelant à dépasser des approches segmentées des formes de mobilités et à investir des notions de circulation migratoire, de transnationalisme comme d’habiter polytopique, ce chantier de recherche présente les avancées les plus innovantes, concrètes et fructueuses pour l’investigation de la thèse. Un quatrième courant de pensée permet enfin de préciser le changement de regard porté sur les lieux dans la circulation. Il opère une redéfinition du lieu abordé dans son extraversion, inséré dans la mobilité et dans ses pratiques. Le lieu agence alors des relations à de vastes échelles et engage des va-et-vient réguliers entre échelles microscopique et macroscopique. L’analyse des travaux menés sur les espaces publics de circulation en général et les commutateurs de la mobilité en particulier souligne l’intérêt d’aborder les lieux de passage pour appréhender les mobilités, leur sens territorial et les relations de pouvoir qu’elles mobilisent. L’investigation des aéroports se révèle particulièrement fructueuse dans cette perspective.

L’aéroport, caractérisé par sa qualité de commutateur, se distingue par sa capacité d’articulation d’une vaste gamme d’échelles spatiales et de mise en relation de multiples acteurs. Mais il est également un lieu mondial par excellence où se donnent à comprendre des relations de pouvoir multiformes. Les quatre figures de l’aéroport identifiées à partir de l’analyse de la littérature et présentées au chapitre 2 sont autant de référents pour préciser l’approche privilégiée dans cette thèse. Celle-ci propose une analyse des espaces publics aéroportuaires non idéalisés, figure prometteuse pour saisir des relations de pouvoir. Cette figure est mise en relation étroite avec la figure de l’aéroport comme dispositifs de contrôle des mobilités. L’approche par les espaces publics permet de ne pas négliger la marge de manœuvre des acteurs non institutionnels et en particulier des passagers dans ces dispositifs. La thèse replace aussi l’étude de l’aménagement de ces espaces publics et des pratiques à micro-échelle qui s’y déploient à l’échelle plus large des mobilités entreprises et des territorialités en réseau auxquelles elles participent. Une telle perspective implique tout particulièrement de mettre en rapport l’investigation des espaces publics aéroportuaires avec l’analyse plus vaste de constructions territoriales d’échelle mondiale, comme l’archipel métropolitain mondial. La figure de l’aéroport comme nœud de réseau aérien travaille plus particulièrement cette échelle mondiale de l’aéroport mais reste presque exclusivement dans une analyse en termes de réseau. L’approche par les espaces publics précisément permet de l’intégrer dans une saisie aussi territoriale. En outre, la figure de l’aéroport comme centralité urbaine, d’échelle intermédiaire, qui reste principalement dans une approche territoriale, est aussi mise en regard des espaces publics en tant que ceux-ci en constituent le centre. L’approche combinée des mobilités et de territorialités en réseau par l’étude des espaces publics aéroportuaires permet ainsi de mobiliser à nouveaux frais la réflexion opérée dans la littérature.

Cette partie confirme ainsi le caractère incontournable de ces lieux de mobilité dans la mise en réseau du Monde et dans l’émergence de nouvelles territorialités en réseau. Forte de constat, cette partie valide l’approche générale déployée dans la thèse visant à saisir le déploiement des pratiques de mobilités à fine et à large échelle à partir des plateformes aéroportuaires. Elle conduit à considérer l’aéroport comme un ensemble d’espaces publics, afin d’apprécier la manière dont les pratiques et les représentations des populations

165 participent des diverses relations de pouvoir attachées aux mobilités.

En cohérence avec l’appréhension de l’aéroport comme espace public mondial, cette première partie explicite, dans le chapitre 3, les choix méthodologiques effectués. Il montre l’originalité de la mise en œuvre de la méthodologie et du matériau mobilisé dans le croisement des méthodes et de l’approche comparative des terrains. La thèse se fonde tout d’abord sur un travail de terrain approfondi qui privilégie la démarche comparative par la confrontation de quatre aéroports intensément mis en réseau. Le rapprochement des terrains est ainsi réel et pas seulement conceptuel. La fréquentation des trois aéroports inscrits dans la dorsale européenne est à la fois intense, d’une durée non négligeable et diversifiée, en raison de la diversification des relations métropolitaines engagées par leurs métropoles d’ancrage mais aussi de l’importance des pratiques de correspondance. Dans chacun d’entre eux, les passagers ressortissants du pays d’ancrage de l’aéroport sont minoritaires, soulignant bien l’originalité de ces espaces publics. Cette spécificité est encore exacerbée à Dubaï, où les passagers nationaux à proprement parler sont très fortement minoritaires, et où les horizons sociaux et spatiaux des passagers sont particulièrement variés. En outre, l’insertion progressive de Dubaï dans le champ des pratiques des passagers liés aux aéroports européens comme dans celui des représentations des gestionnaires, justifie pleinement la prise en compte de cette plateforme comme horizon de comparaison.

L’analyse du matériau constitué au prisme de ces quatre terrains est effectuée ensuite dans le croisement de plusieurs méthodes. Celles-ci sont de nature qualitative, notamment par l’observation de terrain, qui occupe une place majeure dans cette thèse. La réalisation des entretiens au sens large avec les individus mobiles comme avec divers opérateurs de réseau et d’autres acteurs institutionnels impliqués à l’aéroport y contribue aussi. C’est encore le cas de l’analyse large des catégories et des représentations en jeu dans les documents produits par ailleurs par les divers acteurs, institutionnels mais aussi des passagers. Ces méthodes sont aussi quantitatives, par le dépouillement de diverses enquêtes réalisées par les acteurs et l’exploitation plus fine de certaines d’entre elles, par l’analyse des questionnaires réalisés avec les passagers, et par l’analyse des entretiens. Elles le sont aussi par l’analyse exploratoire de dénombrements qui en complètent la compréhension. Ces diverses méthodes ont permis la constitution à l’échelle individuelle d’un matériau d’analyse à l’interface entre les mobilités à large et à fine échelles, qui constitue une des originalités de cette thèse. Ce matériau contribue aussi à alimenter une analyse réflexive de la mise en terrain des quatre aéroports et des conditions de réalisation du travail. Cette analyse permet de confirmer la pertinence de l’approche de ces plateformes comme des lieux où la mobilité est affaire de savoirs, de pouvoirs et de territorialités.

Forte de cette approche, la thèse visera, dans une seconde partie, à apporter une meilleure connaissance du rôle des espaces publics aéroportuaires dans l’agencement des pratiques de mobilités très variées de multiples acteurs.

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Partie II

La mise en scène et en catégorie