• Aucun résultat trouvé

La mobilité dans les villes pétrolières du Casanare Les pratiques migratoires, professionnelles et résidentielles des habitants d'une

UNE APPROCHE DE LA VILLE PAR LES PRATIQUES DE SES HABITANTS

MOBILITES, COMPORTEMENTS RESIDENTIELS ET GESTION URBAINE DANS LES VILLES PETROLIERES DU CASANARE (COLOMBIE)

6.2. La mobilité dans les villes pétrolières du Casanare Les pratiques migratoires, professionnelles et résidentielles des habitants d'une

zone en phase d'expansion rapide.

6.2.1. Un contexte régional original: des petites villes périphériques touchées par l'essor pétrolier.

Le Casanare est un département des plaines orientales de Colombie, les Llanos, une région de savanes située sur le piémont oriental de la cordillère des Andes (Fig. 6.1 et 6.2). C’est historiquement une région périphérique, faiblement peuplée, tournée vers l’agriculture. Cette région, mal reliée aux principaux foyers de peuplement colombiens (Bogotá est pourtant à moins de 200 km), a connu à partir des années 1960, un important mouvement de colonisation agraire et de peuplement: la population du Casanare a triplé entre les recensements de 1964 et 1993, passant de 67 000 à 211 000 habitants. L’économie locale est longtemps restée peu diversifiée, tournée essentiellement vers l’élevage extensif et les cultures de plantations sur le

piémont et le long des rivières. Le secteur agricole représentait encore les deux tiers du PIB départemental en 1985, ce qui n’a toutefois pas empêché la croissance de petites villes en situation de piémont, en particulier Yopal, la capitale, qui est passée de moins de 4 800 hab. en 1973 à 16 400 en 1985.

Tout a changé brusquement avec l’apparition du pétrole. Les abondants gisements de Cusiana (municipe de Tauramena) et de Cupiagua (municipe d'Aguazul), identifiés dès les années 1980, ont été progressivement exploités à partir du début des années 1990. Ils représentent aujourd’hui le tiers environ de la production pétrolière colombienne. Le véritable "boom pétrolier" (bonanza) qui a affecté le département dans les années 1990 est spectaculaire, mais n’a donné lieu à aucune activité de raffinage ou de transformation industrielle sur place. Le pétrole brut est transporté vers des complexes pétrochimiques situés à l’extérieur de la région, ou directement vers les ports exportateurs, ce qui, localement, limite considérablement les effets "industrialisants" du pétrole, et renforce le caractère "enclavé" de son exploitation. Néanmoins, l’économie du Casanare s’en est trouvée radicalement transformée, avec une croissance spectaculaire du PIB départemental, un déclin de l’agriculture (qui ne représentait plus que le cinquième du PIB départemental en 1993) au profit des activités minières (plus de la moitié du PIB) et de l’ensemble des activités induites par le cycle pétrolier: commerce, hôtellerie-restauration, transports, services divers…

Tab. 6.1 - La croissance des villes pétrolières du Casanare jusqu'en 1996

Ville Année Population totale

(habitants)

Taux de croissance annuel moyen

Année Périmètre urbanisé

(hectares) Yopal 1973 1985 1993 1996 4 846 16 351 36 490 43 159 - 10,1 % 10,0 % 6,6 % 1955 1979 1993 1996 30 107 478 620 Aguazul 1973 1985 1993 1996 2 745 5 060 9 367 10 943 - 5,1 % 7,7 % 5,6 % 1970 1989 1996 29 85 223 Tauramena 1973 1985 1993 1996 661 1 016 2 873 7 047 - 3,6 % 13,0 % 32,0 % 1970 1976 1992 1996 4 10 26 40 Source: Dureau & Flórez, 2000. DANE, Recensements de population ajustés de 1973, 1985 et 1993.

Enquête démographique CEDE-IRD, 1996 (population résidant en permanence uniquement). Flórez, Dureau & Maldonado, 1998 (périmètre urbanisé).

L’impact du pétrole n’a pas été seulement économique, mais aussi démographique, avec un formidable afflux migratoire vers les villes pétrolières, dont la croissance a été spectaculaire: Tauramena est passé de 1 000 hab. en 1985 à 2 900 hab. en 1993, et 7 000 hab. lors de l’enquête démographique CEDE-IRD réalisée en 1996. Sur la même période Aguazul est passé de 5 100 hab. à 9 400 puis 10 900 hab., et Yopal de 16 400 hab. à 36 500 puis 43 200 hab. Cette accélération rapide des rythmes de croissance, sur une période très courte, en phase avec les étapes successives de l’exploitation pétrolière, n’a pas manqué de provoquer

socioculturelles de la population, dans la configuration de l’espace urbain, dans les conditions de vie (et notamment d’accès aux services collectifs) de ses habitants, et dans les conditions même de la planification urbaine, désormais "dopée" par l’apport massif des royalties pétrolières, mais qui a dû résoudre les nombreux problèmes posés par l’afflux massif de populations migrantes sur une très courte période.

6.2.2. Des villes construites par l'immigration

Les chiffres spectaculaires d'accroissement de la population qu'on vient d'évoquer entre 1993 et 1996, dates qu'on peut en gros assimiler au début et à l'apogée du cycle d'exploitation pétrolière, doivent tout d'abord être replacés dans un contexte régional où la mobilité était déjà forte avant le pétrole, et où, même au plus fort de son exploitation pétrolière, d'autres facteurs contribuaient rendre les populations mobiles. Le processus de colonisation agraire qui a affecté l'ensemble du piémont llanero et des basses terres orientales a fait de toute cette zone un pôle très attractif depuis les années soixante, en même qu'une région instable pour les migrants, du fait du caractère très conflictuel de la colonisation agraire, et de la précarité des conditions de vie des colons. Si l'ensemble des indicateurs qu'il est possible de calculer sur les migrations depuis 1973 (poids des immigrants dans la population totale, solde migratoire départemental ou municipal, migration par rapport au lieu de naissance ou au lieu de résidence cinq ans plus tôt…) indiquent l'ampleur de l'afflux migratoire dans le Casanare, il est vrai que les flux d'émigration sont également nombreux (Mesclier & Gouëset, 1999: 67). En 1993 d'ailleurs l'immigration n'était pas plus importante à Yopal, Aguazul ou Tauramena que dans le reste de la région: la proportion de personnes nées en dehors du municipe y était respectivement de 54, 58 et 52%, contre 48% en moyenne pour le Casanare, et 54% pour l'ensemble des Llanos (Fournier & Gouëset, 2000: 15).

Ces villes étaient donc déjà des villes de migrants avant le cycle pétrolier, et les flux migratoires observés depuis ne sont pas tous liés au pétrole: l'instabilité des cycles de production agricole et les conflits liés à la propriété agraire alimentent aujourd'hui encore des mouvements très nombreux, souvent dans les villes situées à proximité (on a vu dans le Chap. 1 qu'il s'agissait là d'un moteur de la croissance de nombreuses petites villes colombiennes), et de façon plus générale l'insécurité qui frappe l'ensemble du département, un des plus violents du pays, est la source de nombreux déplacements, qui ne sont pas directement liés au pétrole (Fournier & Gouëset, 2000: 38-43).

Néanmoins, les enquêtes CEDE-IRD ont permis d'étudier en détail l'ampleur du processus migratoire dans les villes pétrolières du Casanare, lié au pétrole ou non, et permis de combler certaines lacunes dans la connaissance des migrations en Colombie, dues notamment aux insuffisances des sources habituellement exploitées sur le sujet. En effet les données les plus simples et les plus couramment utilisées pour étudier les migrations sont celles des recensements de population, qui présentent plusieurs limites d'ordre méthodologique:

- elles ne se réfèrent qu'au "lieu de résidence habituel", ce qui exclut toutes les pratiques de multi-résidence des personnes qui alternent leur vie entre plusieurs logements, quelle que soit la raison de ces pratiques, généralement liées (mais pas toujours) à l'éloignement géographique entre le lieu de travail principal et le lieu de résidence principal de la famille des migrants (ou d'une partie de celle-ci). Or, ces pratiques sont fréquentes en Colombie, et notamment dans ces villes pétrolières, où les cas rencontrés

Outline

Documents relatifs