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A/ Le milieu politico-littéraire hostile à la vision de Tcharents

En 1933, pour Tcharents, l’hostilité du milieu politico-littéraire à l’endroit de sa poésie, en particulier envers son Livre du chemin, n’est qu’un regard local, « arméno-arménien », en somme une simple jalousie. D’où peut-être sa naïveté dans sa volonté de s’expliquer devant Staline. Le livre sera réimprimé, en juillet 1934, avec des changements significatifs. Ce n’est pas, bien évidemment, l’image philosophique de l’enseignement de la voie taoïste ou l’inspiration goethéenne du recueil qui attisent l’ire de la censure, mais le contenu de certains textes, comme on peut en juger d’après les interrogatoires enregistrés et les témoignages des contemporains.

Suite aux caviardages de la censure dans la partie Ars poetica de l’édition de 1934, Tcharents prend comme responsables de cette situation les critiques littéraires en Arménie : « Ամենից առաջ քննադատ է / Նա այսօր, ― ես ծանոթ եմ նրան. / Նա սիրումէդնելիրթաթը / Իմգրքերիվրա: / Avant tout, c’est un critique / Aujourd’hui,

― lui, je le connais, / Il aime poser sa patte / Sur mes livres. » (Œuvres, IV, 1968, p. 453, vers 53-56). Ces philistins bruts et obtus qui lui ont toujours jeté la pierre ne peuvent pas lui causer tristesse et chagrin, car ils ne comprennent rien à la poésie : « Ձեր խավարիհանդեպ ―ոգիս միշտհրակ է: / Face à vos ténèbres, mon esprit est toujours un œil de feu. » (Œuvres, IV, 1968, p. 399) lance le poète déçu, mais rebelle.

Pour comprendre les raisons de cette hostilité du milieu politico-littéraire à l’égard de Tcharents et de son recueil, mais aussi l’acharnement du GlavLit, nous avons essayé de faire un descriptif de l’enlisement politique de Tcharents et de présenter la structure du recueil afin de saisir le sens des changements apportés après la censure.

Le début des ennuis avec le régime politique

Le recueil est à l’imprimerie, lorsqu’on ordonne l’arrêt de l’imprimatur par la décision du 14 novembre 1933 du Comité central du PC(b) d’Arménie. Le recueil est qualifié de « diffamation contre-révolutionnaire trotskiste contre le parti et son guide, qui

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donne une interprétation fort idéaliste à l’histoire de l’Arménie, exprimant ouvertement le nationalisme fort combattif. »135

Tcharents, comme tant d’autres artistes soviétiques, essaie de clarifier le « malentendu » autour du poème Intermède, taxé d’antistalinisme. Le poème sera traduit mot à mot et envoyé à Staline qui trouvera l’œuvre bonne, mais pour certaines raisons, voire des raisons certaines, il ne trouvera pas opportun de le publier. Tcharents est contraint de s’adresser à Beria, à Staline, à la romancière Marietta Chahinian (1888-1982). Dans sa lettre, il demande à la romancière de devenir son Émile Zola : « Aidez-moi ! On vous convoquera sans doute au Comité central du PCU, puisque ma lettre adressée à Staline contient aussi cette lettre adressée à Vous. Beaucoup dépend de Vous. Je Vous prie : devenez un nouvel Émile Zola pour moi. »136 Ces prières et ces « suppliques » auront une efficacité éphémère.

En Arménie, le comité central conclut que le recueil véhicule une pensée « nationaliste qui idéalise l’histoire de l’Arménie ». Aghassi Khandjian, premier secrétaire du comité central du P(b)C d’Arménie, fait l’impossible auprès de l’Union des écrivains arméniens pour atténuer les méfaits de l’incident. Mais l’Intermède n’est pas la seule raison de la « colère » du Parti. D’après les souvenirs des proches du poète, il y a eu une dénonciation de la part d’un ou deux « amis » concernant l’acrostiche, créé à partir de la deuxième lettre de chaque vers et dissimulé dans le poème Précepte (Պատգամ, Patgam) écrit le 9 mai 1933 qui exprime l’idée suivante : « Ո՛վ հայ ժողովուրդ, քո միակ փրկությունը քո հավաքական ուժի մեջ է: / Ô peuple arménien, ton unique salut est dans ta force collective » (Œuvres, IV, 1968, p. 605). Dans le poème, Tcharents réutilise les images symboliques telles que le soleil et sa lumière, à savoir la Révolution et l’avenir en construction. Il se souvient de la Patrie où un fleuve coulait étranger à la captivité, depuis des siècles et qui portait en lui cette aube

135Հակահեղափոխական-տրոցկիստականզրպարտությունկուսակցությանեւնրաառաջ-նորդի դեմ, որը թունդ իդեալիստական մեկնաբանում է տալիս Հայաստանի պատմությանը,

ակնհայտորենարտահայտելովհայկականմարտնչողնացիոնալիզմը:

Publié dans le journal Xorhrdayin Hayastan, n°267 du 18 novembre 1933. In: GASPATIAN D., Le Tcharents

tragique, (arm.), p. 25.

136Extrait de la lettre de Tcharents à la romancière Marietta Chahinian : « Помогите мне. Вас наверное позовутв ЦеКаВКП, таккакв письмек Сталину вложеномоеписьмо к Вам. От Васзависиточень многое. ЗаклинаюВас: станьтедляменяновымЭмильЗола. »

La lettre publiée dans Պատմաբանասիրականհանդես, Patmabanasirakan handés, [Revue

historique-philologique], n°2 de 1987, p. 226-230. [en ligne]. Disponible sur : http://hpj.asj-oa.am/4787/1/1987-2(226).pdf (consultée en janvier 2013).

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lointaine. Mais ici, l’image poétique semble exprimer la déception du poète, liée à la

révolution et à son rêve, resté inaccompli. Malgré cela, il invite son peuple à réfléchir et comprendre le vrai sens de ce nouveau soleil et de sa lumière qui « lave, purifie notre esprit immortel ». Le peuple doit également être attentif pour ne pas perdre à cause d’une bêtise sa sagesse créatrice qui est mise sur la balance (Œuvres, IV, 1968, p. 428)

Les ennuis commencent pour ne plus finir. Pendant les interrogatoires, Tcharents expliquera qu’à travers ce message, il a voulu inviter ses compatriotes de diaspora à rentrer en Arménie soviétique. Mais la censure en fait une autre lecture. Tcharents devient un « élément à contrôler ». Plus tard, pendant l’interrogatoire du 16 novembre 1936, au NKVD d’Arménie, les deux juges d’instruction Mourdoussi et Guévorgov, non seulement reprennent les motifs de l’interrogatoire de 1935, mais évidemment, ils n’oublient pas l’acrostiche dissimulé dans le poème Précepte. Voici l’explication de Tcharents à ce sujet : « […] je ne le [l’acrostiche] considère pas du tout de devise contrerévolutionnaire, dachnak, parce que j’ai employé le terme peuple dans un sens foncièrement opposé à celui de nation […] Cette poésie est écrite en 1933, quand, comme on le sait, la situation des régions montagneuses d’Arménie était catastrophique, c’était le présupposé objectif de ma disposition quelque peu pessimiste, et qui avait transparu sur quelques pages de mon livre, en particulier dans ce slogan. […] J’avoue que malgré ma perception personnelle de ce slogan en tant que non contrerévolutionnaire, il est tout à fait possible qu’elle puisse être perçue comme contrerévolutionnaire. » 137

La réédition du recueil en 1934 suscite davantage la rage de certains hommes littéraires « haut placés » qui voient dans cette poésie des « idées nationalistes incompatibles avec les idéaux de l’internationalisme soviétique ». Même les quatrains dédiés à Alexandre Miasnikian (Œuvres, IV, 1968, p. 436) où le poète exprime son

137« […] ես դա (l’acrostiche) ամենեւին չեմ համարում հակահեղափոխական, դաշնակցական լոզունգ, որովհետեւ ժողովուրդ հասկացությունը ես կիրառել եմ սկզբունքորեն հակադիր ըմբռնումներով ազգ տերմինին […] Այդ բանաստեղծությունը գրված է 1933 թվականին, երբ, ինչպես հայտնի է, Հայաստանի լեռնային շրջանների դրությունը աղետալի էր, դա օբյեկտիվ նախադրյալ էր հանդիսացել իմ որոշ չափովհոռետեսական տրամադրության համար, ինչը եւ արտահայտվելէ իմ գրքիմի քանիէջերում, հատկապես այդլոզունգի մեջ: […] Խոստովանում եմ, որ չնայած այդ լոզունգի բովանդակության վերաբերյալ իմ ունեցած սուբյեկտիվ պատկերացմանը, որպեսոչ հակահեղափոխական, ամբողջապես եւլիովինկարող էընկալվել նաեւորպեսհակահեղափոխական: »

GASPARIAN David. Փակ դռների գաղտնիքը, P’ak dr’néri gal’tniqe, [Le secret des portes fermées], Erevan, éd. Apollon, 1994, p. 28-29.

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regret de la perte d’un fidèle des idées de Lénine ― défenseur des arts et des littératures nationales ― seront censurés. Tcharents interpelle Miasnikian comme un grand dirigeant. Il trouve en lui un éclat du génie sublime léniniste. En 1933, oser mettre en avant les idées de Lénine, penser qu’il pût exister un dirigeant meilleur que Staline était déjà suspect. On peut y voir l’attachement de Tcharents aux idéaux révolutionnaires et à la force dirigeante des vieux Bolcheviks, mais aussi son rejet du culte de la personnalité grandissant autour de Staline et de ses actions. Le Glavlit a ses critères de contrôle, même si le quatrain Sans titre, deux pages plus loin, dédié à Staline, est élogieux. Le poète peint un tableau allégorique où on voit le nom de Staline monté comme un soleil sur l’océan. Cela rappelle les affiches de propagande à dimensions monumentales très en vogue à l’époque : « Le siècle était grandiose comme l’océan, et dans cet océan profond, / Comme un soleil infini ― ton nom monte. / Et notre siècle avance ton nom lumineux, / Ô, notre dirigeant de génie, de hautes idées, de renom » (Œuvres, IV, 1968, p. 440). Cependant, cela n’aide pas à expier les « péchés » du poète

égaré.

Ainsi, les poèmes et les vers censurés seront remplacés, afin de conserver le travail éditorial déjà effectué : le nombre des lignes et la numérotation des pages, etc.

La structure du recueil

Un exemplaire de l’édition de 1933 se trouve dans le Fonds Tcharents des archives du Musée de l’Art et de la Littérature de Tcharents, sous le n° 407. C’est l’exemplaire de la bibliothèque personnelle du poète. Une émouvante dédicace datant du 15 juin 1936 y figure : « À mes chères enfants : Arpénik Tcharents et à sa sœur Anahit – « Adok ». De la part de leur père infortuné Yéghiché Tcharents, poète naïrien.»138 Grâce aux efforts du poète Zoulal Kazandjian et de l’écrivain Hrant Matévossian, en 1997, une publication facsimilé de l’édition de 1933 (320 p.) a pu être réalisée à Venise, d’un tirage de 1000 exemplaires à l’occasion du centenaire de Tcharents. L’édition de 1933 regroupe des poèmes, courts et longs, écrits principalement entre 1932 et 1933, sauf le

138Իմանգինբալիկներին՝ԱրփենիկՉարենցինեւիրքրոջը՝Անահիտին - «Ադոկին»: Իրենց դժ-բախտհորից՝նայիրյանպոետՅեղիշեՉարենցից:

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long poème Intermède, écrit entre avril 1929 et juin 1933. Dans l’édition de 1934, deux parties sont rajoutées afin de remplacer les pages censurées : Ars poetica et Livre de la

Connaissance.

Il s’agira ici de comprendre en quoi la déception du poète influence sa poésie et si la fin de sa confiance envers le système politique dictatorial esquisse les contours de sa révolte, de sa résistance silencieuse en poésie.

Tcharents admire la poésie de Goethe et, à cette époque, il traduit beaucoup ses poèmes : « Le livre contient une dizaine de poèmes traduits du poète allemand. Il contient aussi toute une partie, le « Livre de la sagesse », dont l’inspiration est ouvertement goethéenne. Cette partie a été écrite par Tcharents au printemps 1934, après l’interdiction de l’ouvrage en sa première version, et donc pour remplacer les morceaux censurés. »

explique Marc Nichanian.139

L’acrostiche introductif, formé des initiales du prénom et du nom de sa fille aînée, Arpenik Tcharents, à qui Tcharents a dédié le recueil, précise l’orientation thématique et l’intention poétique du recueil ― voir son enfant protégée et éduquée par le feu de la révolution. Il considère la révolution comme le garant de l’esprit de la lutte, de la construction de la nouvelle société et de l’éducation des générations à venir. Il s’adresse à la révolution en lui demandant de donner force et puissance à « cette créature de chant et d’amour », car elle est encore petite et si faible (Œuvres, IV, 1968, p. 173). La révolution lui a donné et donne des forces pour qu’il soit dévoué à la lutte et qu’il écrive des chants à sa gloire. En revanche, le second quatrain est complexe, difficile à comprendre à cause de sa syntaxe torturée. Le poète craint que ses pensées soient mal interprétées : « Qu’il ne soit pas [je surligne] de sorte que dans ce monde / Que je ne chante pas, ô soleil, / Dans ce siècle ouvrier, festif, / Empli de ton essence, embrasé, / Voué à cette lutte et à toi, / Des chants et des vers jusque-là inexistants. »

C’est complexe pour plusieurs raisons. On peut penser que Tcharents complique la syntaxe pour obtenir les initiales du nom ՉԱՐԵՆՑ Čarénc’ ; une hypothèse. Mais cette hypothèse est faible, quand on connaît la force de la parole poétique de Tcharents. Créer des rimes n’était pas un problème pour lui. En revanche, la crainte de ne pas respecter volontairement ou involontairement les principes, les critères de la commande idéologique peut être une autre hypothèse. Dans les deux cas, il invite le lecteur à faire une lecture

139 NICHANIAN Marc. Entre l’art et le témoignage, littératures arméniennes au XXe siècle, La Révolution nationale, t. 1, éd. Metispresses, coll. Prunus Armeniaca, 2006, p. 106.

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intentionnelle pour repérer et comprendre l’inédit de ces vers, c’est-à-dire voir l’envers de ses propos.

Comme toujours, Tcharents organise la publication de ses œuvres selon sa

compréhension de leur ordre chronologique interne : « …publication « according to

Charents’s understanding » means publication in, precisely, inner chronological order. The systematic makes manifest, on the basis of the law of succession, what was written in inner time. But this « systematicity » is premised on an authorial choice, that is, a classification which, although temporal, corresponds to the author’s understanding of his own work, his self-understanding. » 140

Première partie Aux croisées de l’Histoire ― réunit dix longs poèmes qui seront conservés dans l’édition de 1934, sauf l’Intermède. Leur objectif didactique est de tirer des leçons du passé, proche et éloigné, pour construire le présent et préparer l’avenir.

Deuxième partie Chants et conseils― composée de treize chants et conseils, est dédiée ou adressée aux différentes composantes de la société sous forme de conseils et de messages. Le poème Sept conseils aux bâtisseurs de ville, écrit le 16 février 1933 (Œuvres, IV, 1968, p. 389), sera remplacé par le poème Message à nos maîtres de génie (36 vers), écrit le 6 juin 1934.

Troisième partie ― Ars poetica contenant dix textes assez courts est un

regard contemplatif sur l’art poétique.

Quatrième partie ― Le Livre de la connaissance ― composée de vingt-quatre

roubaïs,141 de cinquante-et-un distiques142 et de huit beïts143 (Œuvres, IV, 1968, p.

140 BELEDIAN Krikor.The Poet of Poetry. In : Yeghishe Charents : the poet of the Revolution, NICHANIAN Marc (sous la direction), ed. Mazda Publishers, 2003, p. 286.

141 Le robâî, roubaïyat au pluriel, attribué à l'écrivain et savant perse Omar Khayyam (1048-1131) a été repris par les poètes arabes. Les deux premiers vers d'un robâî riment avec le dernier vers, le troisième étant un vers libre. Il existe des roubaïyat dans lesquels les quatre vers riment les uns avec les autres.

Dans la poésie arménienne, le roubaïyat est devenu une variante de quatrain à côté du quatrain arménien, connu sous le nom de hayren ou khaghik. Les textes préislamiques - l’histoire des rois du Grand

Iran, Médjnoun de Leïla ou la vie d’Aboul Alaa El-Maari (973-1057), entre autres, ont aussi alimenté

l’imagination des poètes arméniens. Tcharents, Avetik Issahakian, Hovhannes Toumanian ont composé des roubaïyats. Les thématiques des roubaïyat à l’arménienne sont construites au travers du prisme de la philosophie existentielle de l’aire iranien : des réflexions sur la vie, sur l’existence, sur la place de l’homme dans l’univers, sur l’amour, etc.Chez Tcharents, les roubaïs sont tous rimés en aaba, sauf le roubaï XII qui est en rime abab. Les césures ne sont pas égalitaires, parfois il y a trois césures dans un vers. Ce sont de longs vers de 14, de 16, de 15 syllabes.

142 Les distiques sont inspirés des distiques de Goethe. Ce sont des réflexions sur l’être et le devenir de l’acte poétique, le rôle de la poésie et sa force. L’historique et le mythique se retrouvent de nouveau : Goethe, Terian, Medzarents, Toumanian, le Pan, Lénine, révolution d’Octobre, Naïri, Iran, Allemagne, Weimar, Dante, Homère, Alexandre le Grand, Alexandre Pouchkine, Fauve, Nymphes, Apollon, Daphnée et Chloé,

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426) de l’édition de 1934, témoignent de l’amertume et de la colère du poète suite à la censure.

Les pensées de ces textes en forme d’aphorismes se marient avec leurs formes poétiques et assurent ainsi une émotion esthétique, une observation contemplative où la

sagesse devient l’élément central.

Cinquième partie ― Diverses poésies, poèmes et traductions ― est composée

de 25 textes et de 12 traductions dont neuf sont de Goethe, trois de Pouchkine. Parmi ces textes, outre les poèmes Précepte, Notre langue, trois variantes de l’Acrostiche introductif et huit quatrains, dédiés aux écrivains Goethe, Maïakovski, Toumanian, Medzarents et Abovian, on compte des quatrains dédiés à Alexandre Miasnikian, à Staline, à la révolution, deux quatrains dédiés à un ami, nommé N.N., ainsi que le poème Sans titre dédié à sa fille Arpénik et enfin deux poèmes dédiés au poète Heinrich Heine.

Pour ne pas attirer davantage les foudres de la censure aguerrie, Tcharents inclut des textes répondant explicitement aux attentes simplistes de la commande idéologique. Par exemple, le thème des 9 derniers roubaïs se résume en louange de l’Union soviétique, du régime politique, ainsi que de son guide et dirigeant, en traitant des sujets tels que la lutte ouvrière dans le monde, la situation politique dans les pays capitalistes, par exemple, les événements de 1933-1934, en Allemagne (Œuvres, IV, 1968, p. 413). Dans les textes panégyriques concernant le Guide, le Dirigeant ou le

Gouverneur, on repère aisément la personne désignée – Lénine ou Staline. Le quatrain,

écrit le 16 avril 1933, louange la révolution d’octobre, puisqu’elle annonce l’heure du salut, la fin de l’esclavage impérial et national. Elle donne un État, une patrie, mais pas

la patrie : « Nous n’avions pas durant des siècles – de patrie. – / Et elle nous donna une

patrie. » (Œuvres, IV, 1968, p. 435). Une patrie à l’indéfini ? N’existait-elle pas déjà la patrie ? Fallait-il en créer une autre ? Le poète veut se persuader du bienfait de cette révolution.

Est-ce que les changements des circonstances et les résultats décevants le font douter de son choix irréversible ?

Thersite, Patrocle, Ulysse, Achille…

143 Dans la poésie persane, le beït est un vers composé de deux hémistiches. C’est un distique où les deux vers riment en a/a. Le sujet poétique s’exprime souvent par un vocatif de soi par je ou tu.

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En tout cas, le temps s’écoule et presse le poète. Il doit tout dire avant la fin de son chemin. Dans le roubaï 11, il sent qu’il est incapable d’arrêter l’effusion de ses pensées comme « une mine profonde et inépuisable » qui contient des « trésors immenses, infinis ». Il est prêt à extraire ces richesses sauf si « sur ta vie inquiète ne pèse la nuit sans issue » (Œuvres, IV, 1968, p. 412) ― une autre prophétie tragique de Tcharents.