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B/ L’Arménie après le génocide

La 1 ère République condamnée à disparaître

La 1ère République d’Arménie aurait-elle pu faire face à de nouvelles épreuves de l’histoire ou sa disparition était écrite d’avance ?

La Ière République d’Arménie ― 10 000 km² et 326 000 habitants ― naît le 28 mai 1918, dans des circonstances désastreuses en cédant à la Turquie même des provinces faisant partie de la Russie tsariste. Le 4 juin 1918, à Batoum, est signé un traité d’amitié et de paix entre l’Arménie et la Turquie.30 Ironie de l’Histoire : l’article 4 du traité prévoit une aide militaire turque afin d’assurer l’ordre et la paix en Arménie !

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Tcharents évoque d’ailleurs ce « détail » dans le poème Le train blindé « Général

Vardan » : « Nous viendra en aide de Kazakh / L’Armée Rouge russe. — / Que tout ceci

soit ! — Et Dro ? / Et Sépouh, et le peuple affamé / Qui ne vit que d’espoirs / Et mange le pain américain ?... / Et la Géorgie et Kemal ?… Peuvent-ils / Alors faire barrage à tout cela ? » (Œuvres, IV, 1968, p. 271)

La bipolarisation de l’orientation des stratégies géopolitiques à cause des hostilités entre la Russie bolchevique et des pays de l’Entente divise les forces politiques nationales : d’une part, les attitudes divergentes entre ces deux camps ennemis concernant la Question arménienne, et d’autre part, l’incapacité du gouvernement en vigueur à gérer les questions intérieures telles que l’accueil des rescapés du génocide, la famine, les épidémies, les actions ouvertes des Bolcheviks, les attaques tatares, etc. De plus, au sein du gouvernement, il existe des divergences entre les Arméniens orientaux et occidentaux sur le futur statut politique international des deux Arménies.31

Face à la complexité de la situation géopolitique, économique et sociale, le gouvernement adopte une politique attentiste pour régler d’abord ces problèmes socio-économiques, calmer les ardeurs des agitateurs bolcheviks, en attendant la décision de l’Entente concernant la création d’un État unissant les provinces arméniennes de l’Empire ottoman.

Instabilité politique intérieure

En politique intérieure, la République est paralysée entre autres à cause des actions des Bolcheviks d’un côté et des hostilités des Turcs-Tatares de l’autre.

31 Lorsque Lénine et Staline préparent le texte du décret concernant l’Arménie turque - Arménie occidentale – durant les discussions avec le commissaire de Transcaucasie, Vahan Terian dévoile une hésitation profonde concernant l’orientation politique nationale à adopter. Voici le dialogue entre Lénine et Terian, le 12 décembre : « Lénine : "Que désirent les Arméniens. Désirent-ils l’union ou la séparation d’avec la Russie ?" « Terian : "Les Arméniens de Russie ne désirent pas la séparation, mais les Arméniens de Turquie souhaitent l’indépendance."

« Lénine : "Comment cela ? Se diviser en deux parties ?"

« Terian : "Je pense qu’il en sera ainsi. Personnellement je suis partisan de l’union des deux peuples avec une orientation prorusse" », rapporte Serge Afanasyan.

AFANASYAN Serge. L’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie : de l’indépendance à l’instauration du

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La révolte de mai 1920. La liberté d’action des Bolcheviks déstabilise le pays.

Le Comité arménien, l’Armenkom, créé en septembre 1919, au congrès des formations bolcheviks (en janvier 1920) décide d’utiliser le moment propice pour renverser le pouvoir et créer un État soviétique. Le 28 avril 1920, la 11e Armée rouge entre en Azerbaïdjan. Les Bolcheviks arméniens préparent une insurrection à Alexandropol. Les manifestations du 1er mai se transforment en révolte. Ils créent le comité militaire-révolutionnaire d’Arménie. Une partie des soldats passent du côté des Bolcheviks. Le capitaine Sarkis Moussaëlian ― le commandant du train blindé Général Vardan

devient le chef des forces insurrectionnelles. Dans son poème Le train blindé « Général

Vardan », Tcharents raconte ce fragment d’histoire (chapitre 3).

Le 5 mai, le gouvernement de Khatissian démissionne et se met en place le bureau-gouvernement de Hamazasp Ohandjanian (1873-1947) qui décrète de sévères mesures : interdiction de grèves et de manifestations, création des tribunaux spéciaux et mis en vigueur de la condamnation à mort, etc. Le 10 mai, le Comité militaire-révolutionnaire prend le pouvoir à Alexandropol. Quelques jours plus tard, les forces gouvernementales sous le commandement de Sépouh (Archak Nersissian) reprennent le pouvoir. Le parti communiste bolchevik d’Arménie passe à l’activité clandestine. 32

Par ailleurs, cette action des Bolcheviks dévoile la désunion des Arméniens et discrédite l’État aux yeux des pays de l’Entente, enlisés dans la guerre civile en Russie entre les Rouges et les Blancs au détriment de l’opinion publique de leurs propres pays où les actions ouvrières (grèves, émeutes, sabotages, etc.) en faveur de l’État soviétique se multiplient. Par conséquent, la probabilité de leur intervention en Transcaucasie, notamment en Arménie, s’éloigne peu à peu. L’aide financière et militaire tant espérée par l’État arménien est donc compromise : « En tout état de cause, les conséquences de l’insurrection de mai ne pouvaient être que catastrophiques. Une économie paralysée, une armée démoralisée, l’interruption du ravitaillement arrivant par Batoum, tous ces facteurs ne pouvaient qu’ébranler les fondements fragiles d’un État qui pourtant conservait encore l’espoir de sortir de cette situation avec l’aide de l’Entente. »33

Les troubles turco-tatars. Le but de la Turquie est d’en finir avec

l’indépendance de la République d’Arménie. Après la guerre, les soldats turcs restent

32 Beaucoup sont arrêtés. Certains seront fusillés : Stepan Alaverdian, Bagrat Karibdjanian, Sarkis Moussaë-lian, Roukas Roukassian et autres.

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en Arménie et regroupent les Musulmans hostiles au gouvernement pour déstabiliser le pays. Ces groupements ne reconnaissent pas la légitimité du pouvoir étatique de la République d’Arménie et mènent des actions de troubles de l’ordre public : ils terrorisent, ils persécutent les populations sur les routes, etc. Au milieu de 1919, les troubles turco-tatars s’intensifient et risquent de se transformer en révolte organisée. Le gouvernement est obligé de passer à l’offensive. En été 1920, les troubles sont stoppés suite à l’installation des familles de rescapés de l’Arménie occidentale et celles venues des régions passées à l’Azerbaïdjan.

Le poème Chavarche le chef ― un fragment d’un projet de roman versifié ― a comme toile de fond ces événements (Œuvres, II, 1963, p. 286-300). Un chef de troupe de soldats volontaires, ayant perdu toute sa famille, sa terre natale pendant le génocide, est devenu une bête sauvage. Ce n’est un personnage hors d’atteinte de jugements, ni en bien ni en mal. Tcharents invite le lecteur à réfléchir sur la complexité des actes d’un homme au destin tragique en réaction aux guerres et aux injustices.

L’incertitude sur le plan de la politique extérieure

En politique extérieure, la petite République d’Arménie à peine née est tiraillée entre les Puissances. Elle doit choisir son camp, avec l’impératif de ne pas se tromper.

La carte d’Arménie de Wilson. L’armistice du 30 octobre 1918, signé entre les

Alliés et l’Empire ottoman au port de Moudros de l’île grecque Lemnos entre les pays de l’Entente et la Turquie, stipule la sortie des forces armées turques de la Transcaucasie et de la Cilicie. Les divisions turques quittent l’Arménie, et le territoire de la République rentre dans les frontières de 1914 : 56 000 km². Les pays de l’Entente font ressurgir le rêve de la patrie antique, millénaire de Tcharents et la réalisation de ce rêve paraît si proche.

Entre janvier 1919 et janvier 1920, la Conférence de Paris qui étudie entre autres la Question arménienne dans le cadre du traité de Sèvres (le 10 août 1920) prépare des traités de paix avec les pays vaincus.34 Ces traités s’orientent selon l’axe

34 Le traité de Versailles : le 28 juin 1919, avec l’Allemagne, le traité de Saint-Germain, le 10 septembre 1919, avec l’Autriche, le traité de Neuilly, le 27 novembre 1919, avec la Bulgarie.

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Washington. Le 19 janvier 1919, la Conférence reconnaît de facto la République d’Arménie.35 La délégation arménienne36 demande le rattachement des six provinces arméniennes de l’Empire ottoman à la République d’Arménie sous le mandat d’un pays européen, pendant 20 ans, nommé par la Société des Nations, ainsi que des compensations. D’ailleurs, la formulation six vilayets représentera dans la poésie de Tcharents, avec ironie et tristesse, le territoire national unifié.

Or, la discorde entre les puissances européennes et les États-Unis est palpable concernant le sort des trois républiques transcaucasiennes. L’État arménien, inquiet de l’indécision des États européens, se retourne vers les États-Unis, mieux disposés envers les Arméniens : en est témoin l’aide alimentaire, restée dans les mémoires comme le

pain américain.37

Le Président Wilson présente le souhait de prendre le mandat avec l’approbation de la Société des Nations. Le 5 juillet 1919, le colonel Haskell est nommé Haut-Commissaire en Arménie. Il envoie le général Harbord en mission exploratoire en Anatolie et en Arménie.38 D’après le compte-rendu de septembre des envoyés, en novembre, le Président Wilson propose les frontières de l’Arménie : les deux tiers des régions de Van et de Bitlis, pratiquement toute la région d’Erzeroum, une grande partie de Trébizonde y compris le port ; tout de 100 000 km² ; en somme, 160 000 km² avec la République d’Arménie. Mais le 1er juin 1920, le Sénat américain rejette la demande du mandat. Le 10 août 1920, les pays de l’Entente, l’Arménie et la Turquie signent le Traité de paix de Sèvres où les articles 88-93 traitent la partie « Arménie ». D’après le

35 Entre 19 et 26 avril 1920, à San Remo, à la séance du Conseil suprême de l’Entente est élaboré le projet du traité de paix avec la Turquie. Le traité de Sèvres sert de base pour la Conférence.

36 Délégation, représentée par Nubar pacha (1851-1930) le président de l’Union Générale de la Bienfaisance Arménienne et Avetis Aharonian (1866-1948) président du conseil de l’Assemblée nationale de la Ière

République d’Arménie,

37 Le peuple dénommait ainsi l’aide humanitaire américaine : d’ordre privé (Near East Relief), d’ordre public (American Relief Administration)

38 Serge Afanasyan cite dans son livre quelques fragments des rapports des hauts placés français (les archives du Ministère des Affaires étrangères français : A.M.A.E.F., Europe-Russie, 627, f°326) dont celui de l’attaché militaire Poidebard sur l’entretien que Harbord a eu avec les dirigeants arméniens : « Le général ne croit pas que l’Arménie ait actuellement à craindre une attaque turque, il vient de traverser toute la Turquie en auto et a vu très peu de soldats turcs (!), seulement des bandes nombreuses sous les ordres de soldats turcs. (…) Les Turcs lui ont dit avoir peur que les Arméniens, dont ils exagèrent la force (50 000), ne passent la frontière pour s’emparer du territoire attribué à l’Arménie à la conférence (de Paris) (…) il lui semble qu’une paix serait facile entre Arméniens et Turcs (!). […] Il est à craindre que le voyage rapide du général à travers la Turquie ne lui ait donné une impression pas très exacte des forces turques. Guidé par un chef tatar dans les régions, dévastées de Bayazet à Nakhitchevan par la dernière guerre arméno-turque (1918), il lui montrait les villages en ruines comme étant turcs, et les villages turcs comme étant arméniens. »

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traité, la Turquie ottomane reconnaît l’Arménie comme un État libre et indépendant. Le tracé des frontières reste à l’arbitrage du président Wilson. Il est aussi prévu des compensations, le jugement des coupables des massacres, le retour des biens des Arméniens, l’annulation de la loi de 1915 du gouvernement jeune-turc concernant les biens des victimes, etc. Les frontières avec l’Azerbaïdjan et la Géorgie seront réglées directement par les pourparlers entre les pays concernés.

Ainsi, le démembrement de l’Empire ottoman voulu par Wilson finit par devenir réalité. Mais en réaction à ce plan de démembrement, la société turque se reconnaîtra davantage dans la politique nationaliste de Mustafa Kemal39 qui proposera sa version de la résolution de la Question arménienne et de plus, son amitié avec la Russie bolchevique portera le coup de grâce à la République d’Arménie.

La Question arménienne vue par l’alliance turco-soviétique

L’année 1920 devient l’annus horribilis et laisse chez le peuple des ressentiments, des frustrations et des incompréhensions : comment une année de tous les espoirs à ses débuts se transforme à la fin en cauchemar et hante encore aujourd’hui la mémoire collective.

En parallèle au traité de Sèvres, en janvier 1920, l’Assemblée turque élabore un document ― Promesse nationale ― selon lequel la Turquie doit garder tout le territoire de l’Arménie occidentale, ainsi que les régions orientales de Kars et d’Ardahan. Mais l’inaction et les faiblesses du gouvernement ottoman vis-à-vis de l’Entente, donne à Kemal la légitimité politique et l’assurance de ses actions : « Bientôt, il annoncera à grand fracas qu’il ne reconnaît aucun des traités, accords, contrats ou conventions signés par le gouvernement d’Istanbul après le 16 mars 1920, date de l’occupation officielle de la capitale ottomane par les forces de l’Entente. »40

39 Kemal mène une politique binaire : gagner du temps avec les Alliés et jouer l’amitié avec le camarade Lénine. Par ailleurs, il écrase les faibles tout en jouant la carte de victimisation. Sa politique ― conquérir pour exiger ― s’avère payante. Le futur Ataturc propose la création d’un État turc délimité clairement dans des frontières définies. Les officiers du front de l’Est, stationnés dans la ville d’Erzeroum, acceptent Kemal comme l’homme providentiel d’une Turquie moderne à naître sur les ruines de l’Empire ottoman. Pour réussir son entreprise, Kemal ruse, car cela ressemble à un véritable coup de poker.

Voir DUMONT Paul. La mémoire du siècle 1919-1924 : Mustafa Kemal, Paris, éd. Complexe, 1983.

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Kemal tient des liens plus qu’amicaux avec la Russie de Lénine. L’axe Moscou-Ankara au nom de la révolution socialiste en Orient et de la lutte contre l’impérialisme capitaliste lui assure des aides inespérées pour réaliser son dessein politico-militaire. Il se présente auprès des autorités soviétiques étant l’unique garant de la propagande de l’idéologie soviétique en Turquie. Il laisse aux Soviétiques le territoire, peuplé des Tatares du Caucase, appelé aujourd’hui azéri, et il continue à chasser les populations arméniennes vers la Transcaucasie afin de préparer les futures frontières de sa Turquie. Les réussites militaires sur divers fronts lui permettent de renverser la situation et de passer de quelqu’un qui va aux concessions à quelqu’un qui dicte ses exigences. Les enjeux géopolitiques des soviets offrent une passe favorable pour la stratégie de Kemal. Il négocie le sort des Tatares du Caucase en contrepartie de la création d’un Azerbaïdjan soviétisé, il encaisse l’or, le blé russe (alors qu’en Russie et en Ukraine la famine faisait des ravages), et bien sûr, des armes que Lénine lui envoie pour la lutte contre les impérialistes du Caucase : « Cette lune de miel turco-soviétique atteindra son point culminant en août, avec l’arrivée du premier convoi bolchevik à la frontière turque. Il n’a que 400 kilos d’or, une bagatelle par rapport à ce qui avait été demandé, mais pour les kémalistes il s’agit néanmoins d’un secours inespéré. Du reste, les Russes ont promis que le reste – fusils, mitrailleuses, canons, uniformes, camions, munitions, aide financière, matériel médical, etc. – serait acheminé dès que les circonstances le permettraient. »41

Fin avril, le gouvernement arménien cherche à établir des rapports de bon voisinage avec la Russie soviétique.42 En mai, une délégation en tête Lévon Chant (1869-1951) part pour Moscou. La Russie exige la cession de certains territoires à l’Azerbaïdjan et à la Turquie, un passage de l’Armée rouge en Turquie. L’Arménie ne l’accepte pas, et les pourparlers entrent dans une impasse. Il est décidé à les reprendre à Erevan.

Le 24 août, à Moscou, est signé le préambule d’un traité d’amitié entre la Russie et la Turquie de Kemal. La Russie veut récupérer l’Arménie. La Turquie veut annuler le traité de Sèvres. Début septembre à Bakou se tient le Congrès des Peuples d’Orient,

41 Ibid., Paul Dumont, p. 87.

42 La République d’Arménie ne reconnaît pas l’État soviétique de Russie. Elle entretient des liens avec des formations étatiques non soviétisées, telles que l’État du Caucase du Nord dirigé par le général Dénikine, l’État de la Sibérie de Koltchak, etc. La défaite de l’armée de Dénikine au Caucase du Nord représente un danger pour les républiques de la Transcaucasie.

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organisé par l’Internationale communiste où la Turquie est qualifiée de bastion de la

révolution permanente en Orient, et l’Arménie agent de l’impérialisme

international. Cette propagande prépare en fait les attaques turques sur l’Arménie.

La guerre arméno-turque. Le 2 septembre 1920, sans déclarer la guerre, la

Turquie attaque l’Arménie. Le gouvernement arménien compte vainement sur l’intervention des pays de l’Entente, ainsi que sur les sanctions de la Société des Nations contre la Turquie. L’indifférence des puissances occidentales porte le coup de grâce à l’organisation militaire et surtout au moral du gouvernement et de ses forces armées. De son côté, la Russie applique la politique de non-interventionniste en attendant le moment propice pour faire entrer les divisions de la 11e Armée rouge en Arménie.

Le pays, rongé de l’intérieur par la propagande révolutionnaire soviétique, et affaibli de l’extérieur par des attaques turques, est incapable de résister seul et pour longtemps. La guerre dure deux mois. Le 28 septembre, les Turcs reprennent Sarikamich et Merdenek. L’avantage numérique de l’armée turque décide de l’issue de la guerre.

En octobre, la délégation russe aux pourparlers russo-arméniens d’Erevan, représentée par Boris Legran (1884-1936), plénipotentiaire de la Russie des soviets en Arménie, s’octroie la mission d’incarner le rôle de médiateur entre l’Arménie et la Turquie. En réalité, elle veut préparer la soviétisation du pays. À la séance du 28 octobre est formulé le préambule d’un traité de paix. D’après ce projet de traité, la Russie doit containdre les armées turques de se retirer jusqu’aux frontières de 1914 et de reconnaître les droits de l’Arménie sur le Nakhitchevan et le Zanguézour, à condition que l’Arménie refuse le traité de Sèvres et donne le corridor pour le passage de l’Armée rouge en Turquie. Le projet est rejeté par les autorités soviétiques. Le court poème, intitulé Vision de mort (Œuvres, I, 1962, p. 324) écrit le 6 octobre 1920, décrit le désarroi d’un poète vis-à-vis de la tragédie nationale, la perte définitive du rêve national et la défaite de la lutte de libération nationale (chapitre 2).

Le 30 octobre, les Arméniens quittent la ville de Kars sans livrer bataille. Les Bolcheviks font circuler l’idée que le gouvernement dachnak a vendu le pays aux Turcs. Début novembre, Alexandropol est aux mains des Turcs. Le gouvernement de la

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République d’Arménie, obligé, entame les négociations avec les Turcs. Le 18 novembre est signé le cessez-le-feu définitif. Le traité de paix d’Alexandropol prévoit des conditions humiliantes pour l’État arménien. Les régions de Kars et de Sourmalou (plus de 20 000 km²) passent à la Turquie avec le droit de mettre en place un referendum, mais en stipulant que ces régions sont turques de facto. La région du Nakhitchevan passe sous la protection de la Turquie. L’Arménie n’a pas droit de maintenir une armée. Elle doit refuser le traité de Sèvres et n’avoir aucune exigence compensatoire ; près de 19 millions de francs selon les données de la Conférence de Paris, etc.

À la fin de novembre, Boris Legran demande la soviétisation du pays sans conflits.43 Le 2 décembre à Erevan, entre Legran et Dro (Drastamat Kanayan 1884-1956), le représentant de l’État d’Arménie, est signée la convention de la proclamation de la République socialiste soviétique d’Arménie. Le gouvernement de Vratsian démissionne, le comité militaire-révolutionnaire prend le pouvoir. Le 1er décembre, la délégation arménienne accepte le texte du traité des Turcs. La nuit du 3 décembre, Khatissian signe le traité. Or, le 2 décembre à Erevan, le gouvernement de coalition démissionne et donc, la signature de Khatissian devient par conséquent invalide in jure.