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Le milieu communautaire du quartier Centre-Sud et le « détournement » du système de production.

RESPON SABLE

4.4. Le milieu communautaire du quartier Centre-Sud et le « détournement » du système de production.

Tous ces efforts déployés pour attirer des promoteurs privés relèguent à lʼarrière-plan un objectif de départ, celui de créer des environnements résidentiels mixtes sur le plan social.

Ainsi, en dépit de la grande sympathie de lʼadministration du RCM à lʼégard de lʼhabitation sociale, les projets urbains des faubourgs ne sont en aucun moment considérés comme des projets de logement social. En effet, si le SHDU soutient dès la fin des années 1980 quʼil est « souhaitable de prévoir lʼapport de logements subventionnés à même le territoire de faubourg Québec  », il souligne néanmoins quʼil faut «  attirer principalement le logement correspondant au marché du centre-ville (privé, locatif)  » (SHDU 1988, p. 34). On réitère cette orientation en 1992 lorsquʼon explique que le projet urbain «  vise à développer des logements destinés à la classe moyenne qui répondent à des normes élevées de qualité » (BPFQ 1992, p. 4).

Au départ, si le projet du faubourg Québec est considéré comme bénéfique pour les couches populaires, cʼest dʼabord parce que lʼadministration y voit une occasion de «  freiner la pression spéculative qui affecte la population traditionnelle de ces quartiers » (SHDU 1988, p. 34). Le principe sous-jacent est que si les projets immobiliers 106 Lorne Jackson, de la SDM, cité dans C. Hébert. « La croissance résidentielle au faubourg des Récollets », La Presse, 16 octobre 1999, p. K6

réussissent à concentrer dans le faubourg une part importante de la demande pour les logements centraux, on pourra réduire la pression sur lʼhabitat populaire du quartier Centre-Sud et ainsi permettre aux résidents de ce secteur de demeurer dans leurs logements. Le faubourg Québec est en quelque sorte envisagé comme une « soupape » à la gentrification des quartiers limitrophes.

Le milieu communautaire du quartier Centre-Sud nʼentend cependant pas laisser passer une telle opportunité. Regroupées depuis 1985 dans une coalition particulièrement dynamique baptisée Alerte Centre-Sud, une trentaine dʼassociations de citoyens militent pour améliorer les conditions de vie de la population traditionnelle du quartier (Fontan 1988). Le collectif est très actif dans le domaine de lʼhabitation grâce à lʼaction de son comité logement et aménagement (CLACS). Le CLACS commence ainsi dès la fin des années quatre-vingt à réclamer 40 % de logements sociaux dans le projet du faubourg Québec107. En sʼappuyant sur les besoins criants des habitants du quartier, sur le passé

ouvrier du faubourg ainsi que sur le lourd passif de lʼadministration municipale en matière de rénovation urbaine108 le milieu communautaire maintient pendant plus de quinze ans

une pression continue sur les autorités gouvernementales, tant au niveau municipal que chez les paliers supérieurs de gouvernement. Outre ses bases solides dans le quartier, le collectif bénéficie dans ses démarches de lʼouverture de lʼadministration du RCM à la question du logement social, de sorte quʼen 1992, la SHDM conclut finalement avec le CLACS une entente selon laquelle la société paramunicipale «  sʼengage à ce que soit réalisés entre 1993 et 1999, 1073 logements sociaux en lien avec le faubourg Québec, [cʼest-à-dire] 358 logements sur le site du projet et 715 logements dans le quartier Centre- Sud109   ». Cette répartition des unités se justifie par le coût plus important des

constructions sur le site du faubourg.

107 Voir notamment à ce sujet: B. Malo, «  Le faubourg Québec: toujours une priorité  », La Criée dʼAlerte Centre-Sud, vol. 1, n° 1, jan 1990; M. Plante, « Faubourg Québec: 800 nouveaux logements abordables ? », La Criée dʼAlerte Centre-Sud, vol. 2, n° 1, nov. 1990 et M. Plante, «  Faubourg Québec: La ville doit se

brancher », La Criée dʼAlerte Centre-Sud, vol. 2, n° 3, mai 1991.

108 La construction des voies ferrées des gares Dalhousie et Viger, lʼélargissement du boulevard Dorchester,

lʼaménagement de lʼautoroute Ville-Marie ou la construction du siège social de la Société Radio-Canada ont ainsi considérablement grugé le stock de logements populaires du secteur. Voir Marsan 1974.

109 «  Parmi ces 715 unités à réaliser dans le quartier, on compte 165 unités de construction neuve dont le

financement devra être assuré par les gouvernements fédéral et provincial, et 550 unités qui seront réalisées par le biais du programme dʼacquisition de la SHDM (la gestion de ces unités devra être confiée à des coops ou des OSBL  ». Voir M. Plante, «  Faubourg Québec: La SHDM promet 1000 logements pour les gens du quartier », La Criée dʼAlerte Centre-Sud, vol. 3, n° 1, mai 1992, p. 1.

Un débat similaire émerge quelques années plus tard dans le faubourg des Récollets lorsque la population locale, quelques jeunes professionnels et des artistes vivant dans des lofts, décide de sʼopposer au projet du Quartier des Écluses en raison de son impact sur le patrimoine et sur la qualité de vie du secteur (Sénécal 1998; Bordeleau et al. 2001). Ici aussi, on craint particulièrement la gentrification110 du quartier qui pourrait forcer les

habitants à déménager. Ainsi, lors dʼune consultation publique tenue en 1996 sur le développement du secteur111, ils soutiennent que «  le repeuplement du centre-ville ne

peut se faire sans le soutien, ou à tout le moins lʼaccompagnement de lʼadministration municipale  » (Sénécal 1998, p. 52) et ils exigent de la part des pouvoirs publics «  des mesures destinées à favoriser le maintien de la population résidente [, cʼest-à-dire] aux pionniers de la reconquête du secteur  » (Sénécal 1998, p. 52). Ce mouvement de protestation connaît cependant un succès mitigé, en partie parce quʼil ne fait pas partie dʼun front commun, comme dans le cas du faubourg Québec. En effet, dʼautre groupes, tels que lʼorganisation culturelle Quartier Éphémère et lʼagence du faubourg des Récollets soutiennent des objectifs différents (maintien des ateliers dʼartistes, développement économique) qui ne sont pas nécessairement liés à lʼhabitation (Bordeleau et al. 2001). En outre, lʼadministration Bourque, si elle nʼest pas hostile au logement social, nʼentend pas dépenser les ressources limitées pour soutenir des jeunes «  urbains  » alors que des personnes plus démunies attendent par ailleurs un logement. De son côté, la SDM en a déjà plein les bras avec lʼentente du faubourg Québec pour envisager réitérer lʼexpérience de lʼautre côté de lʼarrondissement historique.

En somme, alors que les pouvoirs publics cherchent sans succès à vendre les faubourgs aux promoteurs privés, cʼest le milieu communautaire qui répond à lʼappel et qui réussit même, dans le cas du faubourg Québec, à « détourner » le système de production à son avantage. Le système se transforme ainsi en un curieux triangle de relations qui mène les pouvoirs publics dans une impasse. En effet, comme le coût de construction des logements sociaux est «  supérieur à celui des logements sociaux habituellement administrés par les programmes gouvernementaux en raison des infrastructures et de la préparation du site  », lʼadministration compte « amorti[r] en partie [le financement des

110 Notons quʼil sʼagit dʼun usage quelque peu tordu du terme gentrification. Les artistes et les jeunes pionniers

de la revitalisation sont généralement considérés comme la première étape du processus et non comme ses « victimes ». Voir Smith (1996).

111 Pour Bordeleau et al. (2001, p. 18), cette consultation publique nʼaurait été organisée que pour « apaiser

unités] par la vente des terrains aux promoteurs immobiliers » privés (BPFQ 1992, p. 28). Le sort des faubourg apparaît donc, plus que jamais, lié à la participation des promoteurs immobiliers privés112.

112 Notons que cette entente sur la réalisation des unités de logement social rend encore plus pressant

Le chapitre précédent a permis de mettre au jour un système de contraintes et dʼopportunités graduellement mis en place par les pouvoirs publics dans le but dʼinciter les promoteurs immobiliers résidentiels à investir au centre-ville dans le cadre de projets urbains. Le présent chapitre est consacré aux promoteurs que ces mesures ont cherché à mobiliser.

Il cherche ainsi à répondre à notre seconde question de recherche:

Question 2: Comment les promoteurs immobiliers de la région montréalaise réagissent-ils au système mis en place par les pouvoirs publics?

• Quels facteurs objectifs (concrets) et quels facteurs subjectifs (attitudes) expliquent cette réaction?

• Quelles sont les caractéristiques des promoteurs qui investissent dans les projets urbains des faubourgs et pourquoi y investissent-ils?

• Le système de production de logements a-t-il permis lʼémergence dʼun nouveau type de promoteur (changement des attitudes)?

Pour ce faire, nous examinerons dans un premier temps le marché montréalais de la promotion immobilière des années 1970 et 1980, cʼest-à-dire pendant les décennies précédant le lancement des projets urbains du faubourg Québec et du faubourg des Récollets. À partir de ce diagnostic, nous identifierons les éléments permettant dʼexpliquer le parcours difficile de ces projets urbains. Nous nous tournerons dans un second temps vers un groupe relativement restreint de promoteurs ayant décidé dʼinvestir dans les faubourgs à partir du milieu des années 1990. Après avoir présenté les principales caractéristiques de ces promoteurs que lʼon peut qualifier de «  pionniers 113   », nous

identifierons les principales raisons qui ont poussé ceux-ci à investir dans les faubourgs. Enfin, dans un troisième temps, nous montrerons comment les mesures mises en place par les pouvoirs publics dans le cadre des projets urbains des faubourgs du Vieux- Montréal ont favorisé lʼémergence dʼun nouveau type de promoteur immobilier, plus sensible au contexte urbain.

113 Lʼexpression est utilisée notamment par G. Pinard, « Claude Gazaille, pionnier de Faubourg Québec », La Presse, 12 juin 1993, p. K1 ainsi que par certains promoteurs pour désigner leurs premiers clients.

5.1. Lʼ «  exception montréalaise  » et lʼindifférence des promoteurs à lʼégard des