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Comment fonctionne le système de production de logements mis en place par les pouvoirs publics?

• De quels acteurs est composé le système et quelles sont les modalités de leur participation?

• Quelles opportunités et quelles contraintes les pouvoirs publics mettent-ils en place pour orienter lʼinvestissement des promoteurs immobiliers vers les faubourgs Québec et des Récollets?

• Comment ces opportunités et ces contraintes sʼarticulent-elles les unes avec les autres?

• Comment le contexte économique, politique et démographique de Montréal influence-t-il le développement et le fonctionnement du système?

• Quelle place le système laisse-t-il au logement social?

Nous traiterons de cette question dans le quatrième chapitre de ce mémoire, intitulé Un système de production de logements.

3.1.3. Les promoteurs immobiliers

En mettant en place ce système de production de logements pour favoriser lʼétablissement de partenariats avec le secteur privé, lʼadministration locale entend mobiliser les promoteurs immobiliers, ce qui nʼest pas une tâche simple car ceux-ci sont des agents économiques jouissant dʼune grande autonomie (Topalov 1974; Fainstein 2001). Cette autonomie est liée à la nature même de lʼactivité de promotion immobilière.

Quʼest-ce quʼun promoteur immobilier?

Dans son étude sur les promoteurs français des années 1950 et 1960, une étude qui constitue le premier ouvrage majeur de langue française sur la question, le sociologue marxiste Christian Topalov (1974, p. 15) définissait la promotion immobilière comme une activité de « gestion dʼun capital immobilier de circulation dans sa phase de transformation en marchandise logement  ». Dans cette perspective, est considéré comme promoteur immobilier:

«  tout agent qui assure, de façon habituelle, la coordination des opérations nécessaires à la réalisation de programmes immobiliers, quels quʼen soient le mode de financement ou la destination (vente ou location) » (Topalov 1968, p. 30).

Cette définition fait ressortir deux éléments principaux. Dʼune part, il sʼagit dʼabord dʼune activité de coordination, lʼessentiel du travail du promoteur consistant ainsi à conjuguer les intrants du processus de production des logements. En ce que ce travail ne peut se faire quʼau prix dʼune coordination efficace de lʼaction des différents acteurs prenant part à la formation des espaces résidentiels, le promoteur est donc en quelque sorte le chef dʼorchestre du domaine de la construction résidentielle.

Dʼautre part, en raison de la grande diversité des sources de financement, des types de produits et de clientèles, les promoteurs immobiliers constituent un ensemble très hétérogène trop souvent considéré à tort comme monolithique.

Toujours à partir du contexte français, lʼéconomiste Jean-Jacques Granelle définissait plus récemment la promotion immobilière en des termes similaires, comme «  une activité qui consiste à concevoir, organiser et réaliser la construction dʼimmeubles de logements destinés à être vendus en copropriété à des souscripteurs qui financent lʼopération  » (Granelle 1998b, p. 25). En ce sens, le promoteur est celui qui «  assure la gestion dʼun capital monétaire dans sa phase de transformation en bien logement ou tout autre produit immobilier fini ». Il se trouve de ce fait « investi du suivi du programme et de la coordination des différents acteurs  » (Granelle 1998a, p. 114). Pour Granelle, le promoteur est donc responsable de «  lʼensemble des opérations qui rendent possible la réalisation dʼun programme [immobilier] », cʼest-à-dire de:

«  trouver un terrain, vérifier ses conditions de constructibilité, définir le projet en termes techniques et financiers, constituer éventuellement une société ad hoc, demander le permis de construire, établir un bilan financier prévisionnel, réunir les capitaux nécessaires, conclure les contrats avec les maîtres dʼoeuvres et des marchés de travaux avec des entrepreneurs, et enfin chercher des acquéreurs » (Granelle 1998b, p. 26)

Cet inventaire trouve écho dans lʼétude réalisée au Québec dans les années soixante-dix par lʼéquipe de recherche dirigée par Gérard Divay et Marcel Samson, pour qui lʼactivité de promotion immobilière recouvre:

«  la coordination de lʻacquisition dʼun terrain, de la conception technique du projet de développement résidentiel, de son acceptation par les pouvoirs publics, du financement de la construction, de la construction elle-même et de la vente des logements » (Divay & Samson 1984, p. 21)

Pour lʼensemble de ces auteurs, lʼactivité de promotion immobilière est donc dʼabord une opération de coordination dʼun ensemble dʼactivités nécessaires à la construction dʼun bien immobilier résidentiel. Parce quʼelle sʼappuie principalement sur un capital humain, lʼentreprise de promotion immobilière est particulièrement flexible, le promoteur pouvant assez facilement augmenter sa «  capacité de production  » en engageant de nouveaux employés ou en sʼassociant à de nouveaux partenaires (Topalov 1974).

Dans une large mesure, et en dépit de marchés immobilier locaux très hétérogènes, la définition de la profession de promoteur immobilier fait donc lʼobjet dʼun relatif consensus dans la littérature. Mais si la nature et les composantes de lʼactivité de promotion immobilière varient peu dʼun continent à lʼautre, les façons de faire sont au contraire fortement dépendantes du contexte général et du sous-marché où elles évoluent.

Les stratégies dʼaffaires des promoteurs immobiliers

En tant quʼentreprises, les promoteurs immobiliers développent des stratégies dʼaffaires, que Christian Topalov (1974, p. 151) appelle des «  politiques immobilières  », et qui se définissent par «  les formes de réponse du promoteur considéré individuellement aux variations conjoncturelles des sous-marchés  ». Elles sont par conséquent «  le résultat dʼune organisation spécifique à chaque type de promoteur des éléments qui constituent le cadre de son activité » (Topalov 1974, p. 155).

Le savoir-faire du promoteur consiste donc, à lʼintérieur dʼune conjoncture donnée, à jouer avec les contraintes et les opportunités qui sʼoffrent à lui dans le but dʼen tirer le plus grand profit possible. En modifiant son niveau dʼactivité où en orientant cette activité vers un sous-marché donné, il cherche ainsi à tirer avantage, plus que ses concurrents, de contingences qui sʼappliquent à tous. Mais la réponse du promoteur aux conditions du marché nʼest pas automatique. Elle est fonction de lʼaptitude du promoteur à identifier les opportunités et de sa capacité à les saisir, deux variables qui peuvent différer grandement dʼune entreprise à lʼautre.

Pour Susan Fainstein (2001, p. 69), les promoteurs immobiliers se posent ainsi deux grandes questions avant dʼinvestir. Ils cherchent dʼabord à savoir quelles seront les conditions générales du marché immobilier à la fin de la construction, et ensuite quel type dʼimmeuble et quel site offre le meilleur rendement. Pour Fainstein, ce processus simple dʼévaluation des opportunités dʼaffaires sʼalimente dʼinformations généralement assez sommaires. Les promoteurs immobiliers ont en effet tendance à investir de manière intuitive, en se basant sur des études souvent partielles et sur une connaissance toute personnelle du marché. Les réseaux de contacts (networking) en seraient ainsi la principale source dʼinformation:

«  intuition and connections remain fundamental to the way the industry operates. Several developers indicated that they relied on tips and chance encounters when identifying a site on which to build [...] In the United States strategic analyses tend to be [...] fragmented and impressionistic » (Fainstein 2001, p. 69-70).

Dans lʼélaboration de ses politiques immobilières, le promoteur semble donc faire preuve de ce que Crozier et Friedberg appellent la rationalité limitée, cʼest-à-dire que lorsquʼil est confronté à une situation donnée, « il décide de façon séquentielle et choisit pour chaque problème quʼil a à résoudre la première solution qui correspond pour lui à un seuil minimal de satisfaction » (Crozier et Friedberg 1977, p. 46), ce qui rend difficile, voire improbable, lʼélaboration de stratégies à long terme. Cette courte vue affecte la capacité du promoteur à voir et saisir les opportunités dʼaffaires, qui sʼavèrent néanmoins cruciales pour la réussite de ses activités. Dans toute entreprise, « cʼest [en effet] uniquement en fonction des opportunités qui se présentent et dans le cadre dʼun processus dʼapprentissage continu que peuvent sʼexpliquer les comportements  », ce qui implique de considérer «  lʼopportunisme comme une déterminante clé des comportements réels  » des promoteurs immobiliers (Crozier 1988, p. 62).

Ces stratégies «  opportunistes  » basées sur un réseau de contacts témoignent du fort degré dʼinterpénétration entre les politiques des entreprises de promotion immobilière et les intérêts personnels de leur(s) propriétaire(s). Des études ont ainsi régulièrement rappelé que les stratégies dʼaffaires des entreprises de promotion immobilière sont souvent fortement influencées par les desseins personnels du promoteur lui-même (Lorimer 1981; Divay & Samson 1984; Frieden & Sagalyn 1989, Fainstein 2001). Comme le souligne Fainstein (2001, p. 4):

« [projects] have been driven by individual male egos that find self-expression in building tall buildings and inprinting their personae on the landscape [and] development continues to be a highly entrepreneurial industry, and particular enterprises strongly reflect the aspirations of the men who run them »

Les politiques immobilières seraient donc inévitablement influencées par les valeurs des promoteurs. Cʼest quʼau-delà du choix économique rationnel, «  il reste une part irrationnelle, irréductible à un calcul instrumental [et] fondée sur les expériences antérieures de lʼindividu  » (Crozier et Friedberg 1977, p. 402). Cʼest le domaine des attitudes, que Crozier et Friedberg (1977, p. 400) définissent comme des «  orientations

normatives relativement permanentes  » qui guident lʼacteur dans lʼélaboration de ses stratégies. Ainsi, «  lʼexpérience passée des acteurs, leurs valeurs et attitudes [...] conditionnent [...] pour une bonne part la perception que les acteurs auront des opportunités [dʼaffaires], et surtout elles structurent leurs capacités à sʼen saisir » (Crozier & Friedberg 1977, p. 407). La prise en compte de ces attitudes représente donc un défi pour les planificateurs, parce que:

« si lʼobjectif essentiel des planificateurs se révèle être dʼinfluencer la stratégie dʼagents économiques autonomes ou au moins à demi autonomes, [...] il devient indispensable de connaître les limites dʼordre essentiellement psycho- sociologique qui pèsent sur les prises de décision et de trouver les moyens dʼintégrer une telle connaissance dans un raisonnement global  » (Crozier 1965, p. 149).

À la suite de ces quelques repères sur la prise de décision des promoteurs immobiliers, nous pouvons maintenant énoncer une seconde question de recherche:

Question 2: Comment les promoteurs immobiliers de la région montréalaise