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Le déplacement cellulaire

La migration cellulaire est impliquée dans de nombreux processus biologiques au niveau de l’embryogenèse, de la réponse immunitaire, de la réparation tissulaire et du cancer. Elle représente la capacité d’une cellule isolée ou d’un groupe de cellule à se déplacer au sein d’un tissu et fait intervenir différentes stratégies dont les mécanismes de régulation sont complexes (Figure 27) (Friedl and Wolf, 2010). Au niveau intestinal, ces processus de migration sont impliqués dans le renouvellement de l’épithélium en permettant aux cellules de se déplacer en cohorte de la base des cryptes à l’extrémité des villosités (dans l’intestin grêle) ou à la surface de l’épithélium (dans le côlon). Ces mécanismes font intervenir des gradients de protéines de la MEC et d’expression des récepteurs d’adhérence parmi lesquels les intégrines α6β4 semblent jouer un rôle important (Dydensborg et al., 2009a). Dans le cadre de blessures, d’inflammation ou de cancers, la TEM permet également la migration individuelle des cellules.

Lors de la migration, les cellules utilisent leur cytosquelette d’actine comme support sur lequel elles tirent et s’appuient pour avancer dans une direction donnée (Yamazaki et al., 2005). La migration nécessite une organisation polarisée de la cellule, dans laquelle une partie avance en créant de nouveaux contacts cellule-MEC et l’autre suit en retirant ses contacts. On observe alors un désassemblage des adhérences focales par endocytose des intégrines situées à l’arrière pour les recycler dans la membrane située au niveau du front de migration en formant de nouvelles adhérences focales (Ulrich and Heisenberg, 2009). La répartition

Figure 29: Systèmes d’adhérence cellule-matrice

Les contacts cellules-matrices impliquant les intégrines peuvent s’organiser selon différentes architectures: adhérences focales, podosomes ou invadopodia. Les adhérences focales présentent une organisation du cytosquelette d’actine parallèle au support d’adhérence et permettent l’étalement et la migration des cellules sur la MEC. Les podosomes et invadopodia organisent les micro-filaments d’actine de manière perpendiculaire au support d’adhérence. La production de MMP à la base des cellules leur permet ainsi de digérer la MEC. Cette dégradation est associée à des phénomènes de migration à travers la MEC dans le cas des invadopodia (d’après Gimona, M., 2006 ; Albiges-Rizo, 2009).

Adhérence focale Podosome Invadopodia

MMP MMP

Actine Actine

Digestion de la MEC Migration

différentielle des Rho GTPases activées avec Rac et Cdc-42 devant et Rho-A à l’arrière permet de faire avancer la cellule (Figure 28). Les autres composants du cytosquelette participent également aux processus de migration. En effet, l’organisation des MT favorise le trafic des protéines dans la cellule en mouvement et le positionnement des organelles, qui joue un rôle dans la répartition des charges dont le déséquilibre tire la cellule en avant. La flexibilité de l’organisation des FI est également impliquée dans la migration. Ainsi, lors de la TEM la nature des constituants des FI est régulée de manière transcriptionnelle via Slug, également régulateur des protéines de jonction intercellulaires (Ivaska, 2011). Les cellules subissent ainsi une perte d’expression des kératines au profit de la vimentine (Mendez et al., 2010).

Dans un contexte tissulaire où les cellules migrent dans un même plan, tel que retrouvé lors de la restitution des cellules épithéliales intestinales sur la lame basale, le modèle de migration présenté ci-dessus semble évident. En revanche, lors de la progression tumorale colorectale, les cellules évoluent à travers la MEC de la paroi intestinale qui est organisée en trois dimensions. Pour répondre à cette configuration, l’invasion cellulaire est un processus qui fait intervenir la digestion de la MEC, associée à des processus de migration. Les mécanismes d’adhérence impliqués dans l’invasion forment des structures particulières appelées podosomes et invadopodias, entre lesquels les distinctions font encore débat (Murphy and Courtneidge, 2011). Leur constitution ressemble fortement aux adhérences focales mais ils diffèrent dans la dynamique de leur organisation, leur architecture et certains de leurs constituants comme la cortactine (Albiges-Rizo et al., 2009). Dans les adhérences focales, l’actine est polymérisée de façon parallèle au support d’adhérence. Dans le cas des podosomes et des invadopodias, l’actine est organisée de manière parallèle à la MEC (Figure 29). Ils peuvent s’organiser sous forme d’anneaux organisés autour d'un centre de nucléation de l’actine et l’augmentation de leur diamètre peut former des rosettes. Ces structures étant fortement dynamiques, leur apparition et leur agrandissement peuvent être stabilisés par l’utilisation d’inhibiteurs de phosphatases (Badowski et al., 2008). Ils jouent un rôle prépondérant dans la digestion de la MEC en concentrant la sécrétion de MMP au centre des anneaux de podosomes (Gimona and Buccione, 2006). Ce remodelage rapide et ciblé de la MEC permet notamment au cellules métastatiques de s’échapper.

Figure 30: Les principales métaloprotéases matricielles (MMP). 30kDa Gélatine MMP 26 Matrilysine 2 23kDa Elastine, fibronectine, laminine, Col. IV,

E-cadhérine, TNF-α MMP 7

Matrilysine 1 Les matrilysines

60kDa Inhibiteurs des serines protéases

MMP 11 Stromélysisne 3

47kDa Col. IV, V, IX, X, fibronectine, élastine,

gélatine, laminine, aggrécan, E-cadhérine, protéoglycanes

MMP 10 Stromélysisne 2

52kDa Col. IV, V, IX, X, fibronectine, élastine,

gélatine, laminine, aggrécan, E-cadhérine, fibrilline, ostéopontine

MMP 3 Stromélysisne 1

Les stromélysises

92kDa Gélatine I et V, Col. IV et V, élastine

MMP 9 Gélatinase B

72kDa Gélatine type I et col. Type I, IV, V, VII, X,

fibronectine, élastine MMP 2

Gélatinase A Les gélatinases

48kDa Col. I, II, III, IX, X, XIV, aggrégann,

laminine, gélatine, fibrilline, ostéonectine MMP 13

Collagénase 3

52kDa Col. I, II, III, VII, VIII, Xaggrégane, gélatine,

serpines MMP 1 Collagénase intersticielle Les collagénases Poids moléculaire Substrats principaux MMP Nom de fonction

Les métaloprotéases matricielles

Le remodelage de la lame basale est assuré par des MMP dont, à ce jour, vingt-cinq isoformes ont été identifiées. Ce sont des endopeptidases membranaires ou sécrétées qui digèrent les différents composants de la MEC selon certaines spécificités (Figure 30) (Amalinei et al., 2007). Produite sous une forme inactive zymogène, leur maturation est généralement achevée dans le milieu extra-cellulaire par un clivage protéolitique via d’autres MMP ou des sérine/thréonine protéases. Comme leur nom l'indique, les MMP ont une activité dépendantes de métaux, avec la fixation d'ions Zinc au niveau de leurs site catalytique (Tallant et al., 2010). L’expression des MMP est souvent augmentée dans l’inflammation (Manicone and McGuire, 2008) et les cancers où elles jouent un rôle dans la croissance tumorale, l’angiogenèse et la migration (Zucker and Vacirca, 2004). Le clivage des constituants de la MEC permet de renouveler et/ou modifier sa composition, influençant ainsi les propriétés d’adhérence cellulaires. Il permet également la libération de fragments de dégradation qui favorisent la progression tumorale par l’activation de certains récepteurs. Le clivage du collagène IV et de la Ln-332 révèle des sites d’interaction avec les récepteurs d’adhérence qui favorisent respectivement la néo-angiogénèse via les intégrines α1β1 et la migration tumorale via les intégrines αVβ3 (Giannelli et al., 1997; Xu et al., 2001). Certains facteurs de croissance sont encapsulés par des protéines qui masquent les sites d’interactions avec leurs récepteurs. Ces protéines sont également la cible de certaines MMP et permettent l’activation des récepteurs aux facteurs de croissance.

Au niveau de la muqueuse intestinale, les cellules épithéliales et mésenchymateuses expriment différentes MMP à l’état basal (Sengupta and MacDonald, 2007). Leur régulation participe au développement de l’inflammation et aux processus cancéreux. Chez les patients atteints de MICI et dans les modèles animaux de colites, l’expression de certaines MMP est augmentée (Makitalo et al., 2010; Meijer et al., 2007; te Velde et al., 2006; von Lampe et al., 2000). Les différents profils d’expression varient suivant le type de pathologie et les phases de l’inflammation, permettant de définir des outils de diagnostic et thérapeutique (Newell et al., 2002). La MMP7 est par exemple plus élevée dans les cas de MC que de rectocolite hémorragique (RCH) et permet de distinguer les deux maladies (Makitalo et al., 2010). Les MMP jouent parfois un rôle ambivalent dans l’inflammation étant donné qu’elles participent activement à la fois au processus inflammatoires qui sont à l’origine de l’altération des tissus, et au processus régénératifs qui les suivent. Des expériences menées in vitro ont mis en évidence que l’augmentation d’expression de la MMP7 dans des conditions inflammatoires,

favorise la restitution des cellules épithéliales intestinales (Hayden et al., 2011). Par ailleurs, l’expression des collagénases (MMP2 et MMP9) est augmentée dans les MICI et les modèles animaux correspondants. Bien que ces deux protéases clivent les mêmes substrats, elle semble jouer un rôle protecteur pour la MMP2 et aggravant pour la MMP9. Leur inactivation génétique dans des animaux double KO réduit le score inflammatoire dans les modèles de MC et de RCH (Garg et al., 2009).

Dans les cancers colorectaux, l’expression des MMP1, MMP2, MMP3, MMP7 et MMP9 est augmentée comparée à la muqueuse saine (Wagenaar-Miller et al., 2004; Zucker and Vacirca, 2004). Ces régulation sont souvent corrélées aux stades tumoraux invasifs et métastatique et donc au faible pronostique vital pour les patients (Masaki et al., 2001; Miyoshi et al., 2005; Surlin et al., 2011). Les cancers colorectaux développés suite à l’inflammation chronique constituent une famille particulière. En contradiction avec d’autres données, une étude a montré dans le modèle animal AOM/DSS (Azoxymethan/Dextran sulfate sodium) que l’invalidation du gène de la MMP9 conduit à l’augmentation du nombre de tumeurs intestinales et de la morbidité associée. Ces mécanismes passeraient par l’implication de la MMP9 dans la régulation des voies de signalisation Notch, Wnt et du cycle cellulaire (Garg et al., 2010). Dans cette situation l’absence d’expression de MMP9 altère de manière basale ces voies de signalisation. Notch étant dépendant d’un clivage protéolytique, son activation serait donc diminuée. Par ailleurs, les voies Notch et Wnt interagissent l’une avec l’autre, ce qui explique l’augmentation de la prolifération.

L’activité des MMP peut être régulée de différentes façons : par clivage de la partie pré-pro-peptide, par régulation transcriptionnelle et traductionnelle, ou par la régulation de leurs inhibiteurs. L’expression génique des MMP est régulée par des mécanismes encore mal connus. L’activation des voies MAPK et PKC (Protein kinase C) par les récepteurs aux cytokines et aux facteurs de croissance, associées aux facteurs AP-1 et EST semblent constituer des mécanismes commun de régulation (Chakraborti et al., 2003). Les collagénases MMP2 et MMP9 peuvent toutes deux être régulées par les voies MAPK, cependant le temps d’activation de ERK est crucial pour leur induction. Dans les kératinocytes, l’activation soutenue de ERK par l’EGF ou l'Hepatocyte growth factor (HGF) est responsable de l’induction de MMP9. En revanche, l’insuline-like growth factor (IGF) et le KGF n’induisent qu’une activation transitoire de ERK, qui ne parvient pas à réguler la MMP9 (McCawley et al., 1999). STAT3 (Signal transducer and activator of transcription) est souvent activé de

manière aberrante dans les cancers colorectaux où elle est fortement impliquée dans la progression tumorale, associée à un faible pronostic vital (Morikawa et al., 2011). Elle peut être activée par la phosphorylation de résidus tyrosine via les kinases JAK (Janus kinase) associées au RTK ou de résidus sérine/thréonine par ERK, en aval de la signalisation MAPK. Dans les tumeurs, l’expression des MMP1, MMP3, MMP7 et MMP9 coïncide fortement avec l’activité de STAT3 (Tsareva et al., 2007). D’autres voies de signalisation peuvent également réguler l’expression des MMP et pourraient agir de manière plus sélective. Lors de la dissociation des cellules épithéliales, la libération de p120ctn au niveau du cytoplasme régule l’activité des Rho GTPases, notamment par l’activation de Rac. Or, Rho-A et Rac augmentent l’expression des MMP1, MMP2 et MMP9 et inhibent celle des inhibiteurs de MMP dans plusieurs modèles cellulaires tumoraux. A l'inverse, l'inactivation des Rho GTPases diminue l'expression de ces mêmes molécules (Lozano et al., 2003). Au niveau nucléaire, la MMP7 est régulée négativement par le facteur de transcription Kaiso. La p120ctn est capable d’interagir avec Kaiso et lève la répression qu’il exerçait sur le promoteur de la MMP7. Les voies Kaiso/p120ctn et Wnt/βctn agissent souvent de manière complémentaire (Daniel and Reynolds, 1999; Park et al., 2005; van Hengel et al., 1999). Ainsi, la translocation nucléaire de la βctn lui permet d’interagir avec le facteur de transcription TCF-4/LEF et d’activer le gène de la MMP7. Les voies MAPK, les Rho GTPases et la localisation des caténines sont soumises à l’influence des contacts intercellulaires. La perte des jonctions adhérentes impliquée dans la TEM pourrait constituer un facteur suffisant pour l’induction des MMP.