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La matrice extra-cellulaire

Les cellules épithéliales intestinales reposent sur une matrice extra-cellulaire (MEC) spécialisée appelée lame basale, qui est organisée en deux feuillets, la lamina lucida du côté épithélial et la lamina densa du côté des cellules mésenchymateuses de la lamina propria (Figure 19) (Laurie et al., 1982). Elle est composée d’une grande diversité de macro-molécules provenant aussi bien de l’épithélium que du mésenchyme (Seltana et al., 2010; Teller et al., 2007). On retrouve différentes formes de collagène, de laminine, des peptidoglycanes, fibronectine, perlécan, nidogène, etc., agencés selon un réseau organisé. Ces protéines expriment des motifs tri-peptides RGD (principalement dans la fibronectine) qui sont des substrats ubiquitaires des récepteurs d'adhérence exprimés par les cellules. La MEC constitue à la fois un support d’adhérence pour les cellules épithéliales et une source de signaux. En effet, sa composition riche en peptidoglycanes lui donne la consistance d’un gel qui permet de retenir les molécules de signalisation circulantes telles que les facteurs de croissances et neuromédiateurs. Par ailleurs, l’établissement de gradients dans la composition de la MEC pourvoit des messages liés à l’adhérence de nature différente suivant le positionnement des cellules épithéliales sur l’axe crypto-villositaire. Lors des épisodes inflammatoires, de blessure ou encore de développement tumoral, le remodelage de la matrice permet également d’induire des signaux différentiels.

Les collagènes (Col) sont des glycoprotéines composées de trois sous-unités α (Ricard-Blum, 2011). La présence de séquences répétées (G-X-Y) leur donne une forme hélicoïdale permettant de les tresser les unes avec les autres selon une hélice plus ou moins longue avant d’être stabilisées par des ponts disulfures. Elles possèdent également des domaines non hélicoïdaux qui servent de plates-formes d’interaction avec les autres constituants de la MEC. La nature des collagènes et des partenaires avec lesquelles ils interagissent permet la construction d’un réseau à la géométrie et aux propriétés mécaniques variables. Une quarantaine de gènes codant pour des sous-unités α sont répertoriés. Ils entrent dans la composition de vingt-huit sous-types de Col différents, exprimés spécifiquement suivant les tissus. Au niveau de la lame basale intestinale, le Col IV (α1, α1, α2) est la forme la plus représentée et sert de support à l’organisation de la lamina lucida. Le Col VII (α1, α1, α1) est souvent retrouvé dans les épithélia pluri-stratifiés étant donné ses caractéristiques fibrillaires.

Figure 20: Topographie de la MEC sur l’axe cryptovillositaire. Représentation des profils d’expression des divers constituants de la matrice extracellulaire (MEC) chez l’Homme adulte (d’après Teller, IC., 2001). MEC L n 2 1 1 L n 5 1 1 C ry p te V il lo si L n 3 3 2 C o l. I V

Il participe néanmoins à la composition de la lame basale intestinale où il ancre la lamina densa sur le tissu conjonctif de la lamina propria.

Les laminines (Ln) sont des glycoprotéines hétéro-trimériques composées de sous-unités

α, β et γ, parmi cinq α, trois β et trois γ identifiées à ce jour (Aumailley et al., 2005). Leur

assemblage est stabilisé par des ponts disulfures et permettent d’obtenir quinze isoformes de Ln nommées suivant la nouvelle nomenclature Ln-αβγ. Disposées en forme de croix, elles possèdent un domaine fibrillaire qui leur permet de se fasciculer les unes aux autres en formant le corps de la Ln. Les domaines globulaires situés à leurs extrémités établissent des connexions avec les autres constituants de la MEC et les récepteurs d'adhérence exprimés par les cellules épithéliales. Au niveau de la lame basale intestinale, les profils d'expression des Ln varient au cours de l'embyogenèse où ils jouent un rôle probable dans la cryptogenèse et la villogenèse (Teller et al., 2007). Chez l’homme et la souris adulte, on distingue l’expression de quatre formes de Ln, différemment réparties suivant l’axe crypto-villositaire (Figure 20). Les Ln-111 et Ln-211 sont exprimées uniquement à la base des cryptes de l’intestin grêle et du côlon où elles pourraient jouer un rôle dans le maintien de la niche des cellules souches intestinales. L'expression de la Ln-111 est ensuite perdue chez l'adulte. La diminution d’expression de la Ln-211 coïncide avec l’apparition croissante des Ln-332 et Ln-511 (Teller et al., 2007). Un gradient de ces isoformes existe au niveau de la zone de différenciation des cellules épithéliales à la base des villi. Or, des études ont montré que la présence de Ln-332 jouait un rôle dans la différenciation entérocytaire et l’établissement des contacts intercellulaires impliqués dans la barrière épithéliale (Basora et al., 1997; Gout et al., 2001). L’expression différentielle des Ln le long de l’axe crypto-villositaire pourrait dépendre de l’influence des divers facteurs diffusibles impliqués dans les voies de signalisation citées plus haut. Ainsi La Ln-332 est régulée par le TGFβ (Tumor growth factor (BMP)), ce qui explique sa répartition dans les villi au niveau du grêle et dans la partie supérieure des cryptes au niveau du côlon (Zapatka et al., 2007).

Certains constituants de la matrice ne sont pas produits par les mêmes populations de cellules (Simon-Assmann et al., 2010; Teller et al., 2007). Par exemple, le collagène IV (α1,

α1, α2) et les Ln-111 et Ln-211 de la lame basale intestinale ne sont synthétisés que par les

cellules mésenchymateuses de la lamina propria (Teller and Beaulieu, 2001). Ainsi, la mise en place de la MEC fait intervenir la coopération des cellules épithéliales et du mésenchyme. Au cours de leur différenciation, les cellules épithéliales sont par ailleurs elles mêmes à l'origine

Figure 21: Les intégrines.

A/ Les sous-unités des intégrines reconnaissent des épitopes particuliers leur permettant de se fixer aux collagènes, aux laminines ou aux motifs RGD. Certaines intégrines sont exclusivement exprimées par les leucocytes. B/ Les intégrines sont soumises à une activation « outside-in » par la MEC, et « inside-out » par des voies de signalisation intra-cellulaires. Le changement de conformation des intégrines conduit à une augmentation de leur affinité tandis que leur regroupement induit une augmentation de leur avidité. Ces activations des intégrines participent à la survie, l’adhérence et la migration des cellules. (d’après Barczyk, M., 2010 et Shattil, SJ., 2010). Activation outside-in Activation inside-out adhérence survie adhérence migration Collagène Laminine RGD Leucocytes B A Augmentation de l’avidité Augmentation de l’affinité

de la sécrétion de ces isoformes de Ln dont l'incorporation au support d'adhérence renforce ces processus de différenciation (Gout et al., 2001; Halbleib et al., 2007; Simon-Assmann et al., 1990). La régulation des contacts intercellulaires et de la différenciation entérocytaire par l'expression de facteurs de transcription spécifiques tels que Cdx2 est contrôlée par certaines Ln (Simon-Assmann et al., 2010; Turck et al., 2006)

Les récepteurs d'adhérence à la MEC : Les intégrines

Les intégrines sont des glycoprotéines membranaires impliquées dans l’ancrage et la migration des cellules sur la MEC, la formation des hémidesmosomes ou encore la diapédèse lymphocytaire (Barczyk et al., 2010). Elles sont constituées de deux sous-unités, une α et une

β, parmi 24 α pouvant également subir un épissage alternatif et 9 β associées de manière non

covalente (Figure 21). La sous-unité α est composée d’une partie transmembranaire reliée à la partie Nterm extra-cellulaire par un pont disulfure et la sous-unité β possède un domaine intra-cytoplasmique court capable de recruter des protéines adaptatrices et des molécules impliquées dans la signalisation intra-cellulaire. Leur fonction dépend de la présence des cations divalents Ca2+ et Mg2+. Les couples d'intégrine αβ ont une affinité variable suivant leurs ligands et une spécificité dépendante de la sous-unité α. Ainsi, certaines isoformes sont impliquées dans la reconnaissance des collagènes (les intégrines α1, α2, α10, α11), des laminines (les intégrines α3, α6, α7) ou des motifs RGD (les intégrines α5, α8, αV). D'autres isoformes sont exprimées spécifiquement par les leucocytes (αL, αM, αX, αD, αE). Les sous-untités β reconnaissent uniquement les motifs RGD et ne montrent donc aucune spécificité vis-à-vis des constituants de la MEC. Les correspondances entre intégrines et substrats sont redondantes et permettent des mécanismes de régulation variables suivant les types cellulaires. Les intégrines β1 assurent le recrutement de protéines adaptatrices comme l’α-actinine, la taline, la paxilline et la vinculine, impliquées dans l’organisation du cytosquelette d’actine, ou des protéines de signalisation comme les kinases de la famille Src, l’integrin linked kinase (ILK) ou la focal adhesion kinase (FAK). Cet assemblage appelé "complexe focal" (Figure 22) est amené à se renforcer par association de plusieurs complexes focaux pour former des adhérences focales, des invadosomes ou des podosomes. Les intégrines β4 ont un domaine cytoplasmique plus long (Hogervorst et al., 1990) qui est responsable du recrutement de protéines différentes impliquées dans la formation de complexes d'adhérence spécialisés avec les sous-unités α6: les hémidesmosomes (Figure 22). Contrairement aux

Figure 22: Hémidesmosomes et complexes focaux. (d’après Simpson CL., 2011).

Hémidesmosomes Complexes focaux

Lamina lucida Lamina densa α6β4 intégrines αβ1 α β1 laminines Collagène FI MF α-actinine taline vinculine paxillin FAK Src plectine vinculine paxillin Col XVII BP230 ILK

autres intégrines, α6β4 joue principalement un rôle d'adhésion avec le recrutement de FI (Wiche et al., 1993).

Les intégrines sont à l'origine de mécanismes de signalisation bi-directionnels appelés "inside-out" et "outside-in" (Dedhar, 1999) (Figure 21B). Les intégrines exprimées à la membrane plasmique sont présentes sous des formes actives capables de fixer leurs ligands extra-cellulaires et responsables de l'induction de voies de signalisation intra-cellulaires, ou sous des formes inactives. De manière réciproque, les intégrines peuvent être activées par des voies de signalisation intra-cellulaires, ce qui conduit à une augmentation de leur affinité pour la MEC. Des études de crytalographie ont montré que les intégrines inactivées étaient présentes dans une conformation repliée qui masque les épitopes de reconnaissance de leurs ligands. Parallèlement à cette notion d'activation et d'affinité des intégrines pour leurs ligands, leur regoupement dans la membrane régule leur avidité. Cette agrégation peut dépendre à la fois de signaux intra-cellulaires et de la présence de ligands. Les complexes formés autour des intégrines assurent ainsi différentes fonctions suivant leur structure et leurs constituants.

Différents couples d’intégrines sont exprimés par les cellules épithéliales intestinales, où ils jouent un rôle dans la prolifération, la différenciation et la migration (Beaulieu, 1999) (Figure 23). Les isoformes β1 et β4 sont les sous-unités majoritairement exprimées dans tous les épithélia. La sous-unité β4 s’associe avec α6 pour former des hémidesmosomes qui organisent le cytosquelette de kératine au niveau cytoplasmique (Jones et al., 1998). Les intégrines α6β4 interagissent principalement avec les laminines et plus particulièrement avec la Ln-332 (Giancotti, 1996). Deux variants d'épissage alternatif ont été décrits pour la sous-unité β4 avec une distribution différentielle sur l'axe crypto-villositaire (Basora et al., 1999). L'intégrine β4A qui est exprimée au niveau des cryptes perd sa capacité d'interaction avec la Ln-332. Pour la sous-unité α6, de manière analogue, plusieurs variants sont présents dans l’épithélium: une forme α6A est restreinte à la base des cryptes tandis qu'une forme α6B est exprimée au niveau des entérocytes différenciés (Dydensborg et al., 2009a). Des dimères avec

α6β1 sont également formés mais ils restent minoritaires. La sous-unité β1 peut également

dimériser avec les sous unités α2, α3, α7 et α8 également réparties différenciellement selon l’axe crypto-villositaire. Leur association est impliquée dans l’organisation du cytosqulette d’actine au niveau des adhérences focales. Chez l'homme, lors de la différenciation entérocytaire, le profil d’expression ou d’activation des intégrines passe de l’expression de α2 et α8 à la base des cryptes, à celle de α3 et α7 au niveau des villosités (Teller and Beaulieu,

Figure 23: Topographie des intégrines sur l’axe crypto-villositaire. Représentation des profils d’expression des différents constituants de la matrice extracellulaire (MEC) et des intégrines le long de l’axe crypto-villositaire chez l’homme adulte (d’après Teller, IC., 2001).

MEC L n 2 1 1 L n 5 1 1 C ry p te V il u s L n 3 3 2 C o l. I V α 2 β 1 α 3 β 1 α 6 A β 4 α 6 B β 4 α 7 β 1 α 8 β 1 Intégrines

2001). La sous-unité α8 est exprimée dans les cellules de la crypte où elle régule de manière positive la prolifération et la migration des HIEC (Benoit et al., 2009). Au cours de la différenciation dans le modèle cellulaire HT-29, l’expression de α2 et α3 est inchangée. Cependant, les modifications progressives de la composition de la MEC par déposition de Ln-332 peuvent rendre compte de différences d'activation des intégrines et de signalisation intra-cellulaire associées à l’adhérence cellule-MEC par des mécanismes dépendants de l'inhibition de Rho-A (Gout et al., 2001). L’interaction entre α3, α6 et la Ln-332 est également responsable, par la voie de signalisation PI3K/AKT, du renforcement des contacts intercellulaires formés par les jonctions adhérentes (Chartier et al., 2006). Des mécanismes équivalents ont été mis en évidence avec une matrice enrichie en Ln-332, Ln-211 ou en Col-IV dans les cellules Caco2, dont les effet sont diminués avec des anticorps bloquants dirigés contre les intégrines α6 ou β1 (Schreider et al., 2002).

L'adhérence cellule-MEC dans un contexte pathologique

Un remodelage de la matrice extra-cellulaire est observé dans des situations pathologiques comme l'inflammation ou le cancer, où il joue un rôle dans l'adhérence et la signalisation. Dans les cas où l’épithélium est fortement endommagé, les cellules mésenchymateuses permettent de maintenir l’intégrité de la niche en sécrétant des Ln-111 et Ln-211 et de régénérer le squelette élémentaire de la lame basale avec le Col IV. D’autres substrats d’adhérence impliqués dans la cicatrisation sont produits tels que la fibronectine ou la fibrine (Seltana et al., 2010). Il arrive parfois que ces cellules soient lésées, notamment dans la maladie de Crohn (MC) qui occasionne des lésions transmurales, mais l’épaisseur de la lamina propria permet de cicatriser ces lacunes par migration et prolifération. La répartition des gradients des différentes formes de Ln sur l’axe crypto-villositaire de la lame basale est également affectée dans les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (MICI). En effet, le TNFα (Tumor necrosis factor) et l’IFNγ (Interferon) libérés lors des poussées inflammatoires induisent la sécrétion de Ln-332 et Ln-511 au niveau des cellules épithéliales de la crypte tandis qu’elles produisent peu voir pas de Ln-211 (Francoeur et al., 2004; Zboralski et al., 2010). Une surexpression des Ln-332, Ln-511 et Ln-α1 est également décrite dans les cellules de la bordure des carcinomes coliques (Akimoto et al., 2004; De Arcangelis et al., 2001). La déposition de ces substrats d'adhérence participe aux phénomènes de prolifération, de migration et d'invasion tumorale. La culture des Caco2/TC7 sur un substrat

de Ln-211,-332 ou-511 est responsable d'une augmentation de la prolifération cellulaire (Turck et al., 2005).

L'ensemble des modifications de la composition de la MEC dans ces situations pathologiques est à mettre en regard des modifications d'expression des intégrines. Lors de la progression tumorale, les cellules subissent une dé-différenciation. Il semblerait que l'augmentation de la prolifération et de la migration des cellules cancéreuses fasse intervenir des modifications d’expression des intégrines vers un profil semblable à celui des cryptes. Ces changements sont également impliqués dans l’adhérence des cellules métastatiques au niveau des organes cibles des tumeurs digestives. Dans les cancers colorectaux, l’expression de α6 est augmentée avec un changement d’épissage alternatif passant de B à A. L’expression de l’intégrine α6Aβ4 n'est pas impliquée dans la prolifération cellulaire mais semble en revanche jouer un rôle dans l’inhibition de la prolifération et de l’activité de c-myc, qui est affectée dans 70% des cancers colorectaux (Dydensborg et al., 2009b). La sous-unité α2 est également augmentée dans de nombreux cancers colorectaux ainsi que les sous-unités α5 et αV qui, au départ, sont peu ou pas exprimées dans le tissu sain. Elles sont fortement impliquées dans la prolifération ou l’acquisition d’un caractère métastatique. Dans les cellules normales HIEC issues de la crypte, la sous-unité α8 procure une sensibilité à l’anoïkose qui est perdue dans les cellules cancéreuses. L’expression d’α8 est perdue dans les lignées issues de cancers colorectaux et son expression exogène restaure cette capacité à mourir (Benoit et al., 2010a). Les processus d'adhérence et de signalisation étant altérés dans de nombreuses pathologies, des KO de certaines intégrines ont été faits chez la souris pour comprendre les mécanismes de ces phénomènes. Par exemple, la délétion de la sous-unité β1 intégrine est létale durant les stades précoces de l'embryogenèse (Fassler and Meyer, 1995). Les KO conditionnels des cellules épithéliales intestinales conduisent à des défauts de différenciation entérocytaire et à une augmentation de la prolifération responsable d'hyperplasies (Jones et al., 2006). Ces conséquences ne sont pas dues à des altérations de l'adhérence mais plutôt à la diminution d'expression des Hh impliqués dans la communication entre l'épithélium et la lamina propia.

Figure 24: La transition épithélio-mésenchymateuse (TEM). La TEM intervient dans divers processus physiologiques et pathologiques comme le développement, le cancer et l’inflammation digestive (d’après Acloque, H., 2009).

Migration des cellules de la crête

neurale

Activité métastatique

Restitution épithéliale intestinale Développement Cancer