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Relation entre le microbiote intestinal et le cancer

IV. Relation entre le microbiote intestinal et le cancer colorectal :

1. Microbiote intestinal cancérigène :

Aucun lien causal direct entre une bactérie unique et le cancer colorectal n'a été démontré à ce jour mais les mécanismes impliquant le microbiote dans la carcinogenèse colique sont quant à eux de mieux en mieux connus. Les bactéries du microbiote pourraient être impliquées dans la carcinogenèse selon un modèle « driver-passenger ». La première étape consiste en la colonisation de l'intestin par des bactéries pathogènes « driver » à potentiel pro-inflammatoire et pro-carcinogène (B.

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fragilis, E. coli notamment) qui contribueraient à l'initiation du cancer colorectal. La

progression tumorale entraînerait alors une modification dans le micro- environnement tumoral, permettant une colonisation par des bactéries opportunistes « passenger » (F.

nucleatum, Streptococcus gallolyticus notamment) favorisant le développement de la

tumeur [75].

1.1. Bacteroides fragilis : 1.1.1. Description :

Les Bacteroides font partie des germes du microbiote intestinal, on les trouve à raison de 109 germes par gramme de selles. Les Bacteroides du groupe fragilis sont des bacilles à Gram négatif, non sporulés, anaérobies et possèdent une capsule. On observe une forte croissance des B. fragilis en présence de la bile [76].

Figure 23: Bacteroides fragilis en milieu de culture (microscopie optique (coloration de Gram) et

microscopie électronique) [77].

L’espère bactérienne anaérobie la plus souvent retrouvée en cas d’infection de tissus mous est B. fragilis. Les sujets qui consomment de grandes quantités de viande ont des concentrations plus élevées de Bacteroides au niveau intestinal (action favorisante de la bile sur leur croissance) [78].

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B. fragilis est le germe opportuniste le plus fréquent parmi les espèces du groupe B. fragilis [79,80]. Il en existe deux types : B. fragilis entérotoxinogène: « ETBF » et B. fragilis non toxinogène « NTBF ». La dissémination dans la circulation sanguine «

bactériémie » est plus fréquente avec B. fragilis qu'avec toute autre bactérie anaérobie [80].

Les infections sont le plus souvent endogènes (causées par la propre flore intestinale du patient), les manifestations peuvent être diverses : péritonéales, gynécologiques, pleuro-pulmonaires, pariétales, septicémiques ou abcès intra-abdominaux. ETBF peut causer la diarrhée aiguë chez l’enfant et l’adulte [79,80,81].

Les Bacteroides sont productrices de bêta-lactamases qui inactivent les pénicillines et céphalosporines sauf les céphamycines. Les antibiotiques les plus actifs sont le métronidazole et ses dérivés ou la clindamycine [80].

1.1.2. Isolement de B. fragilis dans le CCR :

Le premier isolement de souches d'ETBF a eu lieu en 1987 lors d’une étude non contrôlée chez des patients atteints de maladies diarrhéiques [82].

Les Bacteroides sont délicats, ce qui fait que leur isolement est difficile et nécessite des techniques spécifiques de collecte, transport et culture de spécimens. Trois facteurs principaux rendent le traitement compliqué : croissance lente, résistance croissante aux antibiotiques, et nature synergique poly-microbienne de l'infection [83].

1.1.3. Lien entre l’ETBF, la MII et le CCR :

Les conséquences néfastes, à long terme, de la colonisation chronique d’ETBF ont été démontrées grâce à trois études récentes (2000,2004,2006) (Tableau III). Deux parmi les trois études ont permis d’établir un lien entre ETBF et la maladie intestinale irritable (MII=IBD= irritable bowel disease) [84,85]. La troisième étude (2006) a permis d’étudier la prévalence de l'ETBF dans les échantillons de selles des malades atteints de CCR par rapport à des patients sans aucun antécédent de CCR (personnel

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ou familial). Le but de cette étude était de déterminer s’il existe une relation entre la production de la toxine bft (Bacteroides fragilis toxin produite par B.fragilis) et le

développement du CCR.

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1.1.4. Implication possible de l'ETBF dans l'étiologie du CCR :

Cette étude a été réalisée aux hôpitaux de l'Université de Marmara et de l'école de médecine militaire de Gulhane à Istanbul, en Turquie (2006). On a recueilli chez tous les sujets les données concernant l'âge, le sexe, le stade du cancer, le score ASA (état de santé général), ainsi que leurs échantillons de selles. Ces derniers ont été inoculés sur des géloses de Bacteroides bile Esculine Agar. Après incubation à 37°C pendant 2 à 4 jours dans une jarre anaérobie, plusieurs colonies de B.Fragilis ont été idéntifiées [87].

Au total, cette étude prospective a inclus 73 cas de cancer avec un ratio homme / femme de 33 / 40 et 59 témoins de contrôle classés par âge avec un ratio homme / femme de 26 / 33. L’âge des sujets était entre 24 et 90 ans, avec un âge moyen de la cohorte totale de 63 ans. Tous les sujets (patients et témoins) étaient de même origine ethnique (caucasien). Les stades du cancer étaient les suivants : 29 patients (40%) au stade I; 22 (30%) au stade II; et 22 (30%) au stade III. Il n’y avait pas d’antécédent de diarrhée ni chez les patients ni chez les témoins de contrôle (critère d'exclusion).

Sur 73 échantillons de selles des patients cancéreux, B. fragilis a été isolée dans 56 échantillons (soit 77%) et sur 59 échantillons de selles des témoins de contrôle, elle a été isolée dans 40 échantillons (68%). Ainsi, le taux d'isolement n'était pas statistiquement différent. Néanmoins, le gène Bacteroides fragilis toxin (bft) a été détecté parmi les isolats de B. fragilis dans 21 des 56 échantillons de selles des patients atteints de cancer (38%), contre seulement 5 des 40 échantillons de selles des témoins de contrôle (12%). Ainsi, le taux de détection des gènes bft dans les isolats de B.

fragilis chez les patients atteints de CCR était plus élevé que dans les isolats des

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Tableau V : Présence du gène bft dans les isolats de B. fragilis chez des patients cancéreux et des

témoins de contrôle [88].

Les scores ASA et le stade du cancer n'étaient pas des facteurs significatifs de la positivité du gène bft parmi les cas de cancer (Tableau V). On n’a pas comparé l’état de santé général de l’ensemble de la cohorte puisque les témoins de contrôle étaient des sujets sains, on a donc déduit que leur état de santé était meilleur que celui des malades [89, 90].

Tableau VI: Détection du gène bft dans les isolats de B. fragilis aux différents stades de la maladie,

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Les limites de cette étude de corrélation entre l’ETBF et le CCR sont la taille trop petite de la cohorte, ainsi que l’absence de recueil de certaines données auprès des patients inclus dans cette étude (comme les données environnementales, les habitudes alimentaires, facteurs de risque de cancer tel que le tabagisme… étant donné que le CCR est multifactoriel).

1.1.5. Caractère cancérogène :

La pathogénicité de B. fragilis est due à sa capsule glucidique, aux protéines de la membrane externe et à la production d'enzymes spécifiques, y compris une entérotoxine récemment reconnue appelée fragilysine ou bft [91,92].

Cette toxine n’est produite que par certaines souches de B. fragilis et comporte trois sous-types (bft-1, bft-2 et bft-3) [93]. Les souches qui produisent cette toxine sont appelées entérotoxinogènes (ETBF, enterotoxigenic B. fragilis) ; celles qui ne la produisent pas sont non toxinogènes (NTBF, non toxigenic B. fragilis) [94, 156].

On a décrit de nombreux mécanismes d’action de la fragilysine qui pourraient expliquer le potentiel carcinogène des ETBF (Figure 24).

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Les souches ETBF, toxinogènes, productrices de fragilysine, sont capables d’induire une inflammation et de provoquer le développement de tumeurs coliques [96]. La fragilysine se fixe sur un récepteur exprimé au niveau des cellules épithéliales, ce qui entraîne l’activation des voies de signalisation MAPK(mitogen-activated protein kinases), NFκB (nuclear factor-kappa B), STAT3(signal transducer and activator of transcription 3) et COX2 (cyclooxygénase2) et induit l’expression et la sécrétion de cytokines telles que le TGFβ (transforming growth factor beta) et l’IL8 (interleukine8), et de PGE2 (protaglandine E2) ainsi qu’à la mise en place d’une réponse immunitaire de type Th (T helper) 17. L’activation du facteur de transcription STAT3 entraîne une colite caractérisée par une réponse immunitaire sélective de type Th17, connue pour être associée à un mauvais pronostic dans le CCR [96, 155].

On attribue aux ETBF également des propriétés mutagènes, car ils sont capables d’induire l’expression de la spermine oxydase (SMO) qui est responsable de la production de radicaux libres de l’oxygène (ROS) à l’origine de cassures double brin de l’ADN, ce qui pourrait conduire à l’accumulation de mutations.

Les ETBF induisent la prolifération cellulaire et la résistance à l’apoptose. En effet, la fragilysine provoque le clivage de l’Ecadhérine impliquée dans les complexes de jonctions et d’adhésion cellulaire, entraînant une diminution de la fonction barrière de la muqueuse colique, ce qui pourrait contribuer à l’exacerbation de l’inflammation. Ce clivage de l’Ecadhérine provoque aussi la séquestration cytoplasmique de la βcaténine [97], ce qui entraîne la libération de cette dernière dans le cytoplasme. La βcaténine peut alors passer dans le noyau des cellules et activer la transcription de gènes impliqués dans la prolifération cellulaire tels que l’oncogène c-myc. Cette toxine induit aussi une augmentation de l’expression de la protéine inhibitrice de l’apoptose cIAP2 (cellular inhibitor of apoptosis protein 2) qui dépend de la cyclooxygénase COX2 [98].

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1.2. Escherichia coli : 1.2.1. Description :

E. coli (ou colibacille) est une bactérie commensale du tube digestif, c’est un

bacille à Gram négatif, en forme de bâtonnet, coccobacillaire ou filamenteuse (dans les vieilles souches) et non sporulée. Dès la naissance, cette grande famille d’entérobactéries colonise le tractus digestif. Elles constitueront les espèces bactériennes les plus dominantes de la flore aérobie intestinale tout au long de la vie d'un individu ; E. coli à elle seule représente 108 bactéries par gramme de selles (flore aérobie totale : 1011 à 1012 bactéries par gramme) [99,100].

Figure 25: Escherichia coli en milieu de culture (microscopie optique (coloration de Gram) et

microscopie électronique) [101].

Ce sont des germes pathogènes opportunistes, ne provoquant normalement pas de maladie, mais ayant un potentiel pathogène qu'ils expriment dans certaines circonstances, entraînant des maladies très diverses. On distingue plusieurs pathovars au sein d’E. coli, nommés en fonction de leur pouvoir pathogène [99,100].

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