5. Mesures de la vitesse de chute des particules en suspension
5.2. Mesures de vitesses de chute hors turbulence
5.2.2. Mesures de vitesses de chute ` a partir du temps de r´esidence dans une colonne de
Le suivi de la concentration en particules (ou de tout autre param`etre li´e `a la suspension) `a la
base d’une colonne de s´edimentation permet de d´efinir le temps n´ecessaire `a la s´edimentation d’un
type de particules. A partir du temps τ
jauquel un type de particules j disparaˆıt de la suspension `a
la profondeur z `a laquelle les mesures sont effectu´ees, il est possible de calculer la vitesse de chute
W s
jde ce type de particules selon :
W s
j= z
capteurτ
j(2.32)
5.2.2.a. Colonnes ´equip´ees de pipettes
Les premi`eres et les plus d´evelopp´ees des mesures bas´ees sur ce principe sont les colonnes ´equip´ees
de pipettes. La pipette permet de pr´elever des ´echantillons `a intervalles r´eguliers (ou logarithmiques).
Ces ´echantillons sont analys´es a posteriori en laboratoire pour en mesurer la masse en suspension.
On obtient ainsi une courbe d’´evolution de la masse en suspension `a la profondeurz en fonction du
tempsC(t). La diff´erence de la concentration en MES (ou de la concentration en un autre param`etre),
entre deux pr´el`evements `a des temps τ
1etτ
2correspond `a des particules dont les vitesses de chute
sont comprises entre W s
2=
τz2et W s
1=
τz1. Par interpolation de la courbe C(t) on peut d´efinir
le temps τ
Xn´ecessaire `a un rabattement de X% de la concentration initiale en suspension, et la
vitesse de chute W s
X=
τzX
correspondante. La vitesse W s
50, correspondant `a un rabattement
de 50% de la masse initiale en suspension, est couramment utilis´ee comme indicateur global des
propri´et´es d’une suspension [Antoine, 2013]. Des analyses chimiques ou granulom´etriques peuvent
ˆetre r´ealis´ees sur les ´echantillons pr´elev´es durant l’essai de s´edimentation. Ceci permet de calculer le
temps de s´edimentation associ´e aux particules porteuses de polluants ou aux particules d’une certaine
taille.
La prise d’´echantillon est la seule m´ethode qui permet de d´eterminer les vitesses de chute
asso-ci´ees `a des param`etres chimiques, ce qui est indispensable pour les ´etudes de transport de polluants
[Huebner, 2011]. Ainsi les nombreux mod`eles de pipettes qui ont ´et´e d´evelopp´es pour la mesure de
la vitesse de chute avec pr´el`evement in-situ directement dans le tube de s´edimentation (FIPIWITU,
RWS tubes, Bigdan tubes [Mantovanelli
&Ridd, 2006]) ou remplies apr`es pr´el`evement (pipettes
d’Andreasen [Antoine, 2013]), sont encore utilis´es aujourd’hui.
Toutefois, ces mesures sont tr`es coˆuteuses en temps d’analyse en laboratoire et la r´esolution sur
les vitesses de chute est limit´ee par le nombre d’´echantillons pr´elev´es durant l’essai de s´edimentation.
C’est pourquoi des colonnes ´equip´ees d’instruments qui mesurent en continu et de fa¸con autonome
des param`etres de la suspension ont ´et´e d´evelopp´ees.
5.2.2.b. Colonnes ´equip´ees de capteurs optiques
Des colonnes ´equip´ees de capteurs optiques ont ´et´e d´evelopp´ees. Ces colonnes permettent de
cal-culer les vitesses de chute correspondant `a une certaine diminution de turbidit´e. Le suivi continu de
la concentration massique en mati`eres en suspension (MES) en rivi`ere ou en mer se fait couramment
`
a l’aide de capteurs optiques calibr´es mesurant la turbidit´e. La mesure de turbidit´e est bas´ee sur le
rapport entre l’intensit´e de la lumi`ere ´emise par une source et mesur´ee par un capteur apr`es
interac-tion avec la soluinterac-tion `a caract´eriser. Si l’´emetteur et le capteur se font face (angle α = 180˚) il s’agit
d’une mesure de turbidit´e en transmission. Les capteurs OBS (optical backsactter sensors) mesurent
quant `a eux la turbidit´e en r´etrodiffusion (0≤α≤90˚) [Downing, 2006].
La turbidit´e est ensuite traduite en masse en suspension par une relation empirique ´etablie `a
partir de mesures ponctuelles de MES. La relation entre MES et turbidit´e est tr`es variable selon le
site de mesure et peut l’ˆetre dans le temps lorsque les propri´et´es des s´ediments varient. En rivi`ere cette
variation est souvent due `a une crue sur certains affluents apportant des particules de types diff´erents,
alors qu’en milieu estuarien la variation saisonni`ere due `a l’activit´e biologique est pr´epond´erante.
La relation entre turbidit´e et MES est en particulier extrˆemement sensible `a la granulom´etrie des
particules (voir chapitre 4 section 5 ; Van De Hulst [1957] ; Clifford et al. [1995] ; Downing
[2006] ; Vousdoukas et al. [2011] ;Vongvixay[2012]).
De nombreux auteurs [Kineke et al., 1989 ; Murray et al., 1996 ; You, 2004] ont traduit les
valeurs de turbidit´e mesur´ees durant un essai de s´edimentation en valeurs de concentration `a partir
d’une calibration ´etablie sur le site de pr´el`evement. Toutefois, une telle approche risque d’apporter un
biais consid´erable dans les r´esultats puisque la distribution granulom´etrique et le type de particules
en suspension varie durant un essai de s´edimentation : les particules les plus grosses et les plus
denses s´edimentent en effet en premier. Hill et al. [1994] abordent ce probl`eme et proposent une
correction bas´ee sur le calcul de la contribution `a la turbidit´e de chaque type de particules formant la
suspension `a partir de leurs vitesses de chute. Toutefois, comme le soulignent ces auteurs, la correction
demande de faire des hypoth`eses sur la densit´e, la forme et les propri´et´es optiques des particules, et
n’est donc pas applicable directement de fa¸con fiable.Murrayet al. [1996] proposent quant `a eux de
calibrer directement la relation turbidit´e - concentration durant un essai de s´edimentation en r´ealisant
des mesures `a la pipette au sein de la colonne ´equip´ee de capteurs optiques. Ils obtiennent ainsi une
relation turbidit´e -concentration qui varie en fonction du temps de s´edimentation. Toutefois, une telle
calibration est difficile `a mettre en oeuvre sur le terrain et une relation constante y est g´en´eralement
utilis´ee [Murray et al., 1996].
5.2.2.c. Colonnes ´equip´ees de granulom`etres laser
La miniaturisation des granulom`etres laser permet aujourd’hui d’en ´equiper des colonnes de
s´edi-mentation de terrain. Ainsi Sequoia Scientific commercialise sous le nom de LISST-ST un syst`eme
comportant une colonne de s´edimentation `a la base de laquelle se trouve un granulom`etre laser
(iden-tique au LISST-100X), coupl´e avec un module d’ouverture, de vidange et de fermeture de la colonne.
Ce syst`eme permet d’emprisonner un ´echantillon de la suspension du milieu ambiant et de mesurer
l’´evolution de la granulom´etrie `a la base de la colonne lors de sa s´edimentation hors turbulence. Les
LISST-100X (Laser In-Situ Scattering and Transmissometry) mesurent la distribution des tailles de
particules par diffractom´etrie laser, ainsi que la concentration surfacique par une mesure de
trans-mission, ce qui permet de recalculer la concentration volumique en particules dans une gamme de
classe granulom´etrique (1,25 `a 250, 2 `a 500 ou 7,5 `a 1500 µm, selon les instruments)
1.
Les LISST donnent des concentrations dans 32 classes de tailles r´eparties logarithmiquement.
Tou-tefois, la diffractom´etrie laser a tendance `a ”lisser” les distributions. Une certaine taille de particules
va ˆetre mesur´ee dans la classe qui lui est propre, mais ´egalement dans les classes voisines. Ainsi
Agrawal
&Pottsmith [2000] concluent qu’il est possible de d´efinir 8 classes de granulom´etrie
ind´ependantes `a partir des mesures d’un LISST. En reconstituant les chroniques de concentration
dans chacune de ces 8 classes, il est possible de d´efinir le temps τ
ipour lequel la concentration en
particules de la classe i devient nulle. Ce temps permet de calculer la vitesse de chute associ´ee `a la
i
emeclasse de taille [Agrawal
&Pottsmith, 2000].
Les colonnes de s´edimentation ´equip´ees de granulom`etres donnent donc acc`es `a une vitesse de
chute globale des particules pour 8 classes de granulom´etrie. Ces syst`emes ont ´et´e valid´es pour des
particules non coh´esives [Agrawal
&Pottsmith, 2000] et utilis´es avec succ`es pour des particules
naturelles [Agrawal
&Pottsmith, 2000 ;Williams et al., 2008]. La concentration dans la colonne
doit ˆetre suffisamment faible pour ´eviter que la diffraction multiple ne prenne de l’importance, ce
qui devient probl´ematique lorsque l’att´enuation du faisceau en transmission d´epasse 30% [Agrawal
&
Pottsmith, 2000]. Il est possible d’adapter l’´epaisseur de la cellule de mesure `a la turbidit´e du
milieu. Ainsi, en milieu naturel, les LISST ont ´et´e utilis´es `a des concentrations de l’ordre du mg.l
−1`
a quelques centaines de mg.l
−1[Mikkelsen
&Pejrup, 2000 ; Thonon et al., 2005 ; Guo
&He,
2011].
5.2.3. Mesures de vitesses de chute `a partir de l’´evolution du d´epˆot de fond
Mesurer au cours du temps la masse qui se d´epose au fond d’une colonne donne directement acc`es
au flux de chute massique. Ce flux peut ˆetre mesur´e en continu par une balance immerg´ee. L’int´egrale
du flux sur une fenˆetre de temps peut quant `a elle ˆetre mesur´ee par des trappes `a s´ediments ou en
pr´elevant des ´echantillons de suspension `a la base d’une colonne de d´ecantation. La th´eorie d’Od´en
(Fisher
&Od´en, 1924 cit´e par Mantovanelli
&Ridd, 2008) permet de calculer une distribution
massique de vitesses de chute `a partir de l’´evolution de la masse s´ediment´ee au cours du temps `a la
base d’une colonne de s´edimentation. La d´eriv´ee temporelle de la masse s´ediment´ee est proportionnelle
au flux de chute `a la base de la colonne. En supposant que la suspension est homog`ene en d´ebut de
s´edimentation et que l’on n’est pas en r´egime de floculation, le flux de chute initial correspond `a la
somme des flux de chute de toutes les populations de particules pr´esentes au sein de la suspension.
Ce flux est constant jusqu’`a ce que les particules de la population chutant le plus rapidement aient
toutes s´ediment´e, c’est `a dire lorsque celles situ´ees initialement `a la surface de la colonne ont atteint
le fond, soit `a un temps t
1=
zcW s1
avec z
cla profondeur de la colonne, et W s
1la vitesse de chute
des particules de la population la plus rapide. Ensuite, seules les particules chutant plus lentement
contribuent au flux de chute. Le flux de chute diminue donc au cours du temps au fur et `a mesure
que des populations de particules s’´epuisent (figure 2.31a). A un instantt, la masse s´ediment´eeM(t)
correspond `a la somme de (i) la masse initialement en suspension des populations dont la vitesse
de chute est sup´erieure `a W s >
zct
(M
CS), qui ont totalement s´ediment´e, et (ii) d’une fraction de
1. LISST-100X Particle Size Analyzer, User’s Manual version 4.65 et LISST-ST Particle Size Analyzer, User’s
la masse des populations dont la vitesse de chute est plus faible W s <
zct
(M
P S), qui n’ont que
partiellement s´ediment´e [Sedimentation, 1953 ;Mantovanelli
&Ridd, 2008 ;Malarkey et al.,
2013]. Imm´ediatement apr`es l’instant t, le flux de chute correspond au flux de chute des particules
partiellement s´ediment´ees, la tangente `a la courbe d’Od´en (masse s´ediment´ee en fonction du temps)
recoupe donc l’origine des temps pour une valeur de masse correspondant `a M
CS(figure 2.31b).
En calculant num´eriquement les tangentes `a la courbe d’Od´en pour plusieurs tempst
1,t
2, ..., t
n, il
est donc possible de calculer la r´epartition de la masse initialement en suspension dans n classes de
vitesses de chute (figure 2.31c ; Mantovanelli
&Ridd, 2008).
t1 t2 t3 t4 d1 d2 d4 d3 Odén curve t1 t2 t3 t4 d1 d2 d4 d3 d1 d2 d4 d3 Odén curve A B C D O t M(t) time ac cu m ul at iv e m as s (b) M(t) MCS(t) MPS(t) α A B C D O t M(t) time M(t) MCS(t) MPS(t) α OB1 M(t)
time/ settling velocity (c) OB2 t1 dM dt m5 m4 m2 m 3 m1 OB1 M(t)
time/ settling velocity
OB2 dM dt (a) time t1 t3 t4 t5 m1 m1 m1 m1 m1 m2 m2 m2 m2 m3 m3 m3 m4 m4 m5
Figure 2.31 – (a) Courbe d’Od´en pr´esentant la masse accumul´ee en bas de colonne durant un essai de
s´e-dimentation d’un ´echantillon contenant quatre types de particules (d1,d2,d3,d4). Au temps
t0, toutes les particules sont en suspension, au tempst1, toutes les particules du type d1, ainsi qu’une fraction des particulesd2, d3 et d4 ont s´ediment´e, ainsi `a chaque fois qu’un type de particules a disparu de la suspension, sa contribution au flux devient nulle et celui-ci diminue. (b) Repr´esentation sch´ematique de la m´ethode graphique d’Od´en pour obtenir la contribution en masse des types de particules totalement s´ediment´eesMCS(t) et partiellement s´ediment´ees
MP S(t) `a la masse totale s´ediment´ee M(t).
(c) Application de la m´ethode d’Od´en, `a plusieurs temps (t1, t2 ,.. ,tn), afin d’obtenir la frac-tion de masse s´ediment´ee (m1, m2, ... , mn), correspondant `a n classes de vitesses de chute (W si = zcolonne
ti ). L’histogramme de la r´epartition des masses dans ces classes de vitesse est pr´esent´e en-dessous du graphique. Adapt´e deMantovanelli[2005].