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1. La pêche, son étude, et sa gestion : des grandes pêcheries hauturières à la pluralité des

1.3. Les mesures de gestion des pêcheries

La réalisation des objectifs de gestion fixés idéalement en concertation entre gestionnaires, scientifiques et acteurs des activités concernées, se concrétise par la mise en place de mesures de gestion et de réglementation pour contrôler et limiter l'impact des activités de pêche sur les ressources. Il s'agit le plus souvent de limiter l'effort de pêche global, de l'orienter sur certaines espèces ou catégories de taille, ou de protéger certains processus clefs identifiés dans la dynamique des espèces (par exemple la

34 reproduction). Il existe une grande variété de mesures de gestion pouvant être regroupées en 3 catégories : le contrôle de l'effort de pêche (licences, limites du nombre d'engins, limite de taille de navire, etc.), le contrôle des captures (quotas) et les mesures dites techniques (restrictions sur les caractéristiques des engins, les saisons, les zones, les tailles, les captures, etc.) (Charles, 2001). Ces mesures de gestion peuvent être combinées afin d’augmenter leur efficacité. Ainsi, les limitations de taille et les restrictions sur les engins sont habituellement utilisées simultanément (par exemple règlementation sur la taille de la maille des filets de manière à limiter la capture de poissons juvéniles). Les principales mesures de gestion utilisées en halieutique sont présentées dans les paragraphes suivants de manière synthétique en s'intéressant à leurs champs d'applications et aux objectifs visés lors de leur mise en œuvre. L'accent sera mis sur les mesures de gestion spatialisées en fort développement à l'échelle mondiale et considérées dans cette étude.

Les TAC (Total Autorisé de Capture)

Les TAC sont des quantités de captures maximales, généralement en poids, mais aussi parfois en nombre ou en volume, qui peuvent être appliquées à une nation, une pêcherie ou à un pêcheur. Les fractions de TAC sont appelées quotas. Les TAC sont fixés pour une année, une saison, un mois ou une sortie. Certains TAC sont dit transférables, c'est-à-dire que l'entité qui possède un quota peut sous certaines conditions, donner, vendre ou échanger son quota avec quelqu'un d'autre. Cette mesure de gestion a été largement utilisée pour les grandes pêcheries internationales, comme la morue de l'atlantique Nord-ouest (Duplisea & Fréchet, 2011), les thons du Pacifique ou de l'Atlantique (Allen et al., 2010), les petits pélagiques d'Amérique du Sud ou d'Europe (Lehuta et al., 2006 ; Aranda, 2009), les pêcheries profondes (Marchal et al., 2009), etc. Elle s'applique alors à une espèce en particulier. Les TAC sont aussi utilisés pour la gestion de la pêche récréative, principalement dans les pays anglo-saxons.

Cette mesure de gestion est fortement liée au concept de "Prises Maximales Soutenues" (PMS) ou "Maximum Sustainable Yield" (MSY) les anglo-saxons (Russel, 1931 ; Hjort et al., 1933 ; Graham, 1935). Bien que largement répandues au niveau des instances internationales, la pertinence des PSM et l'efficacité des TAC ont été remises en cause dès les années 1970 (Larkin, 1977 ; Sissenwine, 1978).

35 Les licences

Les licences sont établies et gérées par les autorités compétentes des états. Il s'agit avant tout de contrôler la flotte de navires. Cette mesure de gestion permet de limiter l'effort de pêche. Elle peut être accompagnée de contraintes sur les navires, de manière à contrôler la puissance des unités de pêche.

Les restrictions sur les engins

Les restrictions sur les engins visent soit l'interdiction de certains engins, soit la limitation de leur nombre, soit la limitation d'une caractéristique technique de l'engin (taille de la maille d'un filet, type et taille des hameçons, etc.). L'objectif est le plus souvent le contrôle de la sélectivité des engins, de manière à réduire la capture des plus petits individus immatures ou des gros reproducteurs. L'interdiction d'engins de pêche a pour but de supprimer les engins peu ou pas sélectifs (filet à poche sur les récifs par exemple), ou ayant un impact avéré sur l'environnement (chalut de fond, dynamite, etc.).

Les tailles limites de capture

Il existe 2 mesures de gestion sur les tailles. La première fixe une taille minimale de capture, le plus souvent, de manière à protéger les individus juvéniles jusqu'à leur maturité sexuelle. La seconde, beaucoup moins répandue, fixe une taille maximale de capture, de manière à protéger les gros individus, qui représentent le stock reproducteur.

Ce type de mesure est le plus souvent accompagné de restrictions sur les engins (taille de maille par exemple) qui facilite techniquement le respect de cette mesure. Lorsque la répartition spatiale ou temporelle des individus diffère en fonction de la taille ou pour certaines techniques de pêche (comme la chasse sous-marine où chaque individu est vu avant d'être capturé) cette mesure est applicable sans autre mesure complémentaire. Les tailles minimales de capture sont largement utilisées, mais cette mesure a été controversée dans de nombreux cas en raison des rejets occasionnés quand la technique de pêche n'empêche pas la capture d'individus sous la taille légale (Alverson et al., 1994). Le taux de mortalité des individus rejetés est peut être très élevé et varie selon plusieurs facteurs, notamment l'espèce, l'engin, le temps passé hors de l'eau et la

36 taille des individus (Cook, 2003). Le développement d'engins particulièrement sélectifs cherche à limiter le problème des rejets (voir par exemple les travaux de l'IFREMER : http://wwz.ifremer.fr/peche/Le-role-de-l-ifremer/Recherche/TECOS/Selectivite). Les tailles maximales de capture restent difficilement applicables pour des engins tels que les filets, dans une moindre mesure pour la ligne, mais sont bien adaptées aux techniques de capture à vue telle que la chasse sous marine ou la pêche à pied.

Les restrictions temporelles

Les restrictions temporelles ont pour objectif de protéger tout ou partie du stock à un moment clef de sa dynamique annuelle, généralement au moment de la reproduction ou de forte concentration de juvéniles. Les restrictions temporelles sont fortement liées aux mesures de gestion spatialisées, notamment quand les processus écologiques cités précédemment donnent lieu à des regroupements d’individus ce qui augmente leur vulnérabilité et les rendements de pêche.

Les restrictions spatiales

Les mesures de gestion spatialisées sont communément appelées Aires Marines Protégées (AMP). Il en existe différentes catégories, pouvant aller d’une interdiction totale de présence à une pratique de la pêche de certaines espèces réservée à certains pêcheurs (voir entre autres PDT, 1990 ; Claudet, 2011 ; www.iucn.org ; www.aires-marines.fr).

Les objectifs de gestion visés lors de la mise en place d'AMP, sont multiples et en ont fait leur intérêt. Ces objectifs peuvent combiner la protection ou la restauration d'un habitat, d'une partie de la ressource exploitée, mais aussi la gestion des usages (PDT, 1990 ; Claudet, 2011), ce qui en fait un outil adapté à l'approche écosystémique de la gestion des pêches (Charles, 2001). De nombreuses AMP soutiennent le développement des activités touristiques et de loisir en contrepartie d'une limitation ou d'une interdiction des activités de pêche. L'objectif pour les gestionnaires est alors de valoriser ces zones d'un point de vue économique et social.

La disparition de la pression de pêche induite par l'établissement d'une AMP dans laquelle tout prélèvement est interdit, entraîne un ensemble d'effets positifs à l'intérieur de la réserve, tels que l'accroissement de biomasse, d'abondance, de taille moyenne et

37 de biodiversité (Russ & Alcala, 1996 ; Wantiez et al., 1997 ; Mosquera et al., 2000 ; Roberts et al., 2001 ; Halpern 2003 ; Micheli et al., 2004 ; Guidetti et al., 2005 ; Micheli & Halpern 2005 ; Claudet et al., 2008). Plusieurs études ont montré que des effets similaires peuvent être observés à l'extérieur des limites des réserves, par l'intermédiaire de l'export (effet "spillover") d'adultes, de larves ou d'œufs (Russ & Alcala, 1996 ; McClanahan & Mangi, 2000 ; Sanchirico, 2000 ; Stobart et al., 2009 ; Russ et al. 2003 ; Abesamis et al., 2006 ; Goñi et al., 2006, 2008 ; Chateau, 2008 ; Kellner et al., 2007 ; Harmelin-Vivien et al., 2008 ; Chateau & Wantiez, 2009), ce qui résulte en un bénéfice économique pour les pêcheries professionnelles (White et al., 2008). En milieu tropical, où les espèces sédentaires et territoriales sont plus fréquentes qu'en zones tempérées, l'augmentation de la fécondité moyenne des poissons est un bénéfice supplémentaire particulièrement attendu par la mise en place d’une AMP (PDT, 1990 ; Russ, 1984). Cependant, l'augmentation du recrutement larvaire suite à la mise en place d'une AMP a rarement été mise en évidence (Kellner et al., 2008). Les conditions initiales du peuplement lors de la mise en place d'une AMP puis l'ancienneté de celle-ci influencent les bénéfices qui peuvent en être tirés (Myers et al., 1997; Jennings, 2001). Ceux-ci sont parfois observés après plusieurs dizaines d'années (Molloy et al., 2009). Les effets des réserves varient de manière importante (Côté et al., 2001) en fonction de leur configuration, tels que taille, connectivité et niveau de protection (Boehlert, 1996 ; Halpern, 2003 ; Parnell et al., 2006 ; Claudet et al., 2008 ; Planes, 2011). Des facteurs sociaux tels que le niveau de contrôle et l'acceptation, affectent aussi le succès d'une AMP (Walmsey & White, 2003 ; Guidetti et al., 2008). L'acceptabilité des AMP par les communautés de pêcheurs (professionnels, récréatifs et vivriers), dépend en partie de la potentialité d'un flux d'individus des espèces cibles de la pêche vers l'extérieur des frontières de la réserve et de l'effet de ces flux sur les pêcheries (Alcala & Russ, 1990 ; Bohnsack, 1993 ; Russ & Alcala, 1996).

Les flux sortant d'une AMP dépendent largement des possibilités de traverser ces frontières (changement d'habitat, côte, etc.) (Buechner, 1987), mais aussi de la taille de la réserve par rapport à la mobilité des espèces et leur de home range8 (Holland, 1996 ;

8 Le terme anglais "home range" est utilisé dans cette étude pour définir une surface parcourue par un individu dans son activité habituelle de recherche de nourriture et de repos sur une période donnée. Lorsqu'ils existent, les déplacements occasionnels d'exploration et de reproduction ne sont pas considérés comme ayant lieu à l'intérieur du home range. Cette définition est adaptée de Burt (1943) et Kramer & Chapman (1999).

38 Holland et al., 1993 ; Chateau, 2008 ; Chateau & Wantiez, 2009). Cependant, l'efficacité d'une réserve repose d'abord sur les individus résidant à l'intérieur de la réserve. Pour ces derniers, le rapport entre taille, forme, positionnement de la réserve et home range influencera l'efficacité de la protection (Kramer & Chapman, 1999 ; Nowlis, 2000 ; Nowlis & Friedlander, 2005). Les effets de la protection d'une zone peuvent parfois se faire sentir rapidement à l'intérieur de celle-ci, mais l'effet de spillover n'intervient généralement que plus tard, notamment lorsque des effets d'émigration densité-dépendants apparaissent (Kramer & Chapman, 1999).