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Contre-mesures cognitives

6.2.1

D´efinition des contre-mesures

Le terme contre-mesure est utilis´e essentiellement dans le domaine mili- taire et particulier de la guerre ´electronique, il d´esigne l’ensemble des moyens (brouillage...) pour contrer une menace ennemie (missile...) [Rey-Debove et Rey, 1994]. En sciences humaines, ce terme est employ´e par un groupe de tra- vail de la Nasa (National Aeronautics and Space Administration) engag´e dans un projet de recherche appel´e “ Fatigue Countermeasure Program “. L’objectif de ce programme [Neri et al., 2002] est l’´etude des probl`emes de s´ecurit´e li´e `a la fatigue des pilotes de long courrier. Il se concentre sur plusieurs points :

– ´evaluer la fatigue et ses r´epercussions sur les cycles circadiens des ´equipages ;

– d´eterminer les effets de la fatigue sur la performance de pilotage ;

– concevoir des contre-mesures et mesurer leur efficacit´e `a r´eduire les effets de la fatigue, augmenter la performance des ´equipages, et am´eliorer leur niveau de vigilance.

Des ´etudes de marqueurs psycho-physiologiques lors de campagnes d’exp´erimentations sur simulateur de Boeing 747 ont permis de d´efinir des p´eriodes de sieste de 26 minutes. Ainsi, les contre-mesures propos´es par la Nasa pour lutter contre les effets de la fatigue consiste en recommandations de prise de p´eriode de repos.

On retrouve ´egalement l’emploi de ce terme dans l’approche accidentologique de la conduite automobile de l’Inrets [Van Eslande, 2001]. Cette approche est motiv´ee par la description des m´ecanismes d’accidents types pour d´egager des g´en´eralit´es sur le comportement des automobilistes. L’int´erˆet d’une telle approche est d’enrichir les connaissances sur l’implication des diff´erents pro- cessus `a l’œuvre lors des accidents mais aussi sous un angle op´erationnel pour proposer des contre-mesures ou aides `a la conduite .

Plus que des recommandations, nous proposons que les contre-mesures soient un v´eritable moyen d’action direct pour contrer les effets ind´esirables (hypovigilance, pers´ev´eration) d’une perturbation (fatigue, stress excessif..). Dans le cadre de notre ´etude, nous parlerons de contre-mesures cognitives qui consistent en l’envoi de stimuli pour pallier un biais cognitif [Evans, 1990], c’est-`a-dire une tendance humaine `a prendre en compte les facteurs non perti- nents pour la tˆache `a r´esoudre.

D ´EF. 6.1 (Contre-mesure cognitive) Une contre-mesure cognitive d´esigne tout

6.2. Contre-mesures cognitives 117

6.2.2

Principe des contre-mesures cognitives

Les contre-mesures que nous cherchons `a mettre au point dans ce cha- pitre sont destin´ees `a contrer la pers´everation dans l’activit´e de pilotage. En pr´eambule, rappelons les signes qui trahissent un comportement de pers´ev´eration dans l’activit´e de pilotage :

– faire face `a une situation conflictuelle dans la gestion du vol ; – s’enfermer dans une mauvaise strat´egie de r´esolution ;

– ˆetre insensible aux alarmes visuelles et sonores.

C’est la d´etection de conflit qui identifie la pers´ev´eration et son objet, puis permet d’´elaborer les contre-mesures au vu des proc´edures et de la situation du pilote.

Conception des contre-mesures : le retrait d’information

Traditionnellement, c’est l’envoi d’alarmes visuelles ou sonores qui permet de pr´evenir ou d’attirer l’attention des pilotes sur une panne d’un syst`eme ou sur un ´ev´enement important ; c’est-`a-dire que l’on ajoute de l’information pertinente dans le cockpit. Or ce principe montre ses limites et n’est d’au- cun effet lorsque les pilotes pers´ev`erent : de nombreux rapports d’´ev´enements a´eriens confirment cette tendance et parmi des analyses r´ecentes du B.E.A. [BEA, 2003b], on trouve des cas de conflit dangereux entre des ´equipages et leurs syst`emes automatiques (du type “ qui dirige quoi dans l’avion ? ”), situa- tions dues en partie au fait que les pilotes n’ont pas port´e attention aux alarmes visuelles et sonores qui les pr´evenaient d’une ´evolution du mode de pilotage automatique.

Au contraire, les contre-mesures que nous proposons en prennent le contre- pied et r´esident sur l’id´ee d’un retrait d’information. Son principe en est le suivant :

– il est cibl´e, c’est-`a-dire que l’information (ex : cadrans) sur laquelle le pilote pers´ev`ere est enlev´ee ;

– il s’intercale avec l’envoi d’un message visuel d’alerte ;

– il est momentan´e, puisque la suppression ne dure que quelques instants. L’objectif suivi est de briser la pers´ev´eration en retirant l’objet de l’obnubi- lation du pilote, puis d’envoyer un message `a la place de l’information sup- prim´ee. Ce message a pour but de pr´evenir express´ement de surveiller un param`etre de vol important (ex : l’altitude) ou de fournir des ´el´ements de r´esolution de conflit. En envoyant ce message l`a o `u le pilote est excessivement focalis´e de par sa pers´ev´eration, on glisse une information pertinente dans son champ visuel, forc¸ant ainsi sa prise en compte.

118Chapitre 6. Ghost : environnement exp´erimental de contre-mesures cognitives Cela n´ecessite :

– soit une connaissance experte sur les zones de prise d’information sp´ecifique des pilotes en fonction des phases de vol (ex : mod`ele d’ac- tivit´e de pilotage) ;

– soit d’utiliser un moyen en temps r´eel de d´etermination de la zone de vision fov´eale (ex : eye tracker).

Exemple de contre-mesure cognitive

Illustrons ce principe par un exemple : dans nos exp´erimentations pr´ec´edentes, nous avons d´ecrit le cas d’un pilote qui a pers´ev´er´e `a atteindre un point tournant (le waypoint 5) en croyant qu’il s’agissait d’une zone de ra- vitaillement (en fait le waypoint 6). Le conflit est d´etect´e par notre outil de suivi de situation, et l’analyse de l’activit´e de pilotage permet de d´eterminer que le pilote se focalise sur une boussole en V.T.H.1pour rejoindre le point tournant 5.

On rompt ce m´ecanisme de pers´ev´eration en enlevant momentan´ement cette boussole, puis en envoyant `a la place le message “ Aller au point 6 pour ravi- taillement ”.

Justification th´eorique du retrait d’information

En neuropsychologie, Posner [Posner, 1975] propose que l’attention re- pose sur un m´ecanisme antagoniste d’accrochage et de d´ecrochage. Ce qui veut dire que pour poser son regard sur un item, il faut pr´ealablement d´ecrocher son attention de l’item courant pour ensuite accrocher celui sur le- quel on souhaite s’int´eresser. Ces m´ecanismes ont pu ˆetre d´ecrits par l’´etude de patients c´er´ebrol´es´es pr´esentant des troubles de d´ecrochage de l’atten- tion (h´emin´egligence, extinction). Par ailleurs, dans le cadre de l’attention vi- suelle [Camus, 1996], on montre l’existence d’un couplage fonctionnel entre un syst`eme post´erieur d’orientation du regard et un syst`eme ant´erieur qui consti- tue la base du contr ˆole volontaire de l’attention (contr ˆole frontal). Dans la sec- tion 3.3 nous avons trait´e de l’effet du stress sur le contr ˆole frontal : ainsi, si l’on se positionne dans le paradigme d’un continuum cognitif entre des pa- tients c´er´ebrol´es´es et des op´erateurs stress´es ou fatigu´es [Pastor, 1999], alors on peut postuler que les op´erateurs qui pers´ev`erent ne sont pas sensibles aux alarmes ou ont du mal `a trouver de l’information pertinente puisqu’ils sont incapables de d´ecrocher volontairement leur attention de la tˆache qui les ac- capare pour accrocher de nouveaux stimuli. Le principe des contre-mesures est justement de pallier cela en faisant “ d´ecrocher ” l’interface `a la place des

6.3. Ghost 119